Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion

Les entreprises et les gestionnaires sauront-ils tirer des leçons de la pandémie de COVID-19? Et au Canada, étions-nous d’ailleurs prêts à affronter ce type de crise exceptionnelle ? Joé T. Martineau, professeure adjointe au Département de management de HEC Montréal, apporte son éclairage sur la question.

Quels sont les réflexes et les méthodes des gestionnaires d’ici pour anticiper les crises?

Les origines des crises peuvent être multiples et, bien que nous soyons complètement mobilisés par la pandémie de COVID-19 à l’heure actuelle et que cette crise éclipse toutes les autres, il en existe de nombreux types. On pense notamment aux crises informationnelles ou médiatiques, par exemple les récentes dénonciations d’inconduite sexuelle de la part de certains artistes, avec toutes les répercussions que celles-ci ont eues sur les entreprises qui faisaient affaire avec ces personnalités publiques.


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Il y a également des crises technologiques, notamment la fuite de données chez Desjardins en 2019, ainsi que des crises économiques et environnementales ou encore sociales et culturelles, par exemple la crise ferroviaire au Canada au début de 2020.

Il faut se rappeler que les organisations ne fonctionnent pas en vase clos. Ainsi, pour anticiper les crises, les dirigeants et les gestionnaires n’ont d’autre choix que d’être vigilants, tant à l’interne qu’à l’externe, en ce qui a trait au contexte social, politique et économique. Ils doivent aussi envisager tous les risques propres au champ d’activité de leur entreprise. Il faut avoir des antennes partout!

Comment les gestionnaires gèrent-ils les crises?

Au cours des dernières décennies, la gestion de crises a beaucoup évolué. Ainsi, nous sommes passés d’une approche réactive à une approche davantage proactive. Auparavant, on réagissait à un incident, on était plutôt centré sur les procédures et sur les relations publiques et on en tirait peu d’enseignements.

Aujourd’hui, on met davantage l’accent sur l’anticipation et sur la prévention. On cherche à développer des habiletés et des compétences chez les gestionnaires. On mise sur une approche systémique et sur la notion d’organisation apprenante.

Sur le terrain, on trouve deux grandes écoles de pensée. Selon la première, on doit tenter de tout prévoir et de tout prévenir pour éviter au maximum de connaître des crises organisationnelles. Cela demande aussi d’établir des plans et des protocoles exhaustifs pour parer à toute éventualité. L’autre école considère que les crises sont inévitables et qu’on doit créer les habiletés managériales pour les anticiper, pour y répondre rapidement et pour en tirer des leçons.

À mon avis, la bonne approche se situe plutôt entre les deux, car il est impossible de tout anticiper. La crise de la COVID-19 que nous traversons actuellement en est un bon exemple. On doit donc élaborer des plans de contingence, de continuité des opérations ou de mesures d’urgence solides et adopter des protocoles qui ont fait leurs preuves pour pouvoir faire face à toutes les situations envisageables. Il faut aussi créer les bons réflexes chez les gestionnaires et chez les décideurs, qu’on doit accompagner dans le développement d’habiletés de gestion en situation de crise.

Quelles sont les meilleures méthodes d’intervention?

Elles sont variées. Une des approches structurelles les plus courantes est la cellule de crise. C’est une bonne pratique, mais elle ne suffit pas nécessairement en soi. Une cellule de crise ne devrait pas se limiter à piloter la période de crise dans l’urgence : elle pourrait aussi être permanente ou activée de façon régulière. Elle permettrait ainsi de réfléchir à la prévention, d’évaluer les pratiques en matière de gestion de crises, de contrôler les actions et de réfléchir aux apprentissages pour ultimement décider et coordonner le déploiement de nouvelles pratiques et de nouveaux outils en matière de prévention et de gestion des crises dans l’organisation.

Il existe d’autres pratiques : la sensibilisation et la formation, l’élaboration de plans, les mesures de sécurité, les simulations, les analyses de risques, les pratiques de communications internes et externes, etc.

Comment les gestionnaires peuvent-ils apprendre des situations de crise et en tirer des enseignements pour l’avenir?

La période qui suit l’urgence correspond bien souvent à une phase d’accalmie, mais on ne devrait pas la considérer comme la fin de la crise, bien au contraire. Elle est cruciale pour la suite des choses. C’est la période d’apprentissage.

Je ne vois pas les crises de façon linéaire, avec un début et une fin. La gestion de crises, que je préfère d’ailleurs nommer « prévention et gestion des crises », est continuelle. C’est un cycle sans fin d’amélioration continue, en prévision de situations potentielles futures. Par conséquent, les apprentissages de l’après-crise aideront à améliorer la gestion de la prochaine crise.

Prenons l’exemple de la pandémie : on peut raisonnablement penser que les décideurs ont profité de la période d’accalmie et de plus faible transmission du virus, à l’été 2020, pour faire un premier bilan de leur gestion de façon à en tirer des apprentissages dans le but d’améliorer les pratiques, les protocoles et la planification en vue de la deuxième vague. Même si les crises qui affectent les organisations se caractérisent rarement par des vagues successives comme on en voit dans le cas de la pandémie de COVID-19, on peut tout de même y réfléchir sous l’angle de phénomènes cycliques et adopter une approche d’amélioration continue, en prévision de la prochaine crise. Grâce à ce processus, on vise non seulement à améliorer les pratiques mais aussi à transformer l’organisation et ses gestionnaires pour qu’ils soient véritablement apprenants.


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Afin de tirer des leçons des crises, il est également essentiel, à l’étape des apprentissages, d’ouvrir la réflexion et d’y intégrer d’autres parties prenantes qui ont peut-être été négligées lors de la période d’urgence. On doit prendre le temps de réfléchir collectivement, d’intégrer des points de vue et des considérations multiples, même s’ils sont divergents, afin de remettre en question les décisions et les processus pour, ultimement, œuvrer de façon constructive.