Article publié dans l'édition Printemps 2022 de Gestion

Certains gestionnaires peuvent se montrer réticents à l’idée de déléguer des tâches à leurs employés. Cet exercice est pourtant nécessaire et salutaire. Sylvie St-Onge, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal, nous explique pourquoi[1].

Des gestionnaires semblent avoir du mal à déléguer des tâches. Comment cela s’explique-t-il?

Des schémas de pensées nuisibles entrent souvent en ligne de compte. Il y a tout d’abord l’excès de perfectionnisme, parce qu’on veut que les choses soient faites à sa manière. On peut aussi vouloir garder le contrôle et le pouvoir sur le travail à effectuer. Finalement, il y a la question de l’ego : on cherche à démontrer qu’on est capable de tout faire, qu’on est indispensable et irremplaçable, en quelque sorte, et ce, au risque de ne pas préparer la relève. Certains gestionnaires peuvent aussi craindre que cette demande d’aide soit interprétée comme un manque de compétence ou même comme de la paresse.

Autre élément susceptible de nuire : une pensée à trop court terme. En effet, déléguer exige du temps afin de former l’employé qui accomplira les tâches. Il faut ensuite superviser son travail et assurer un suivi. On pourrait alors tendre à se dire qu’il serait plus efficace d’effectuer le travail soi-même. Or, pour déléguer, il est préférable de réfléchir aux avantages à long terme, comme pouvoir éventuellement se consacrer davantage à des activités à valeur ajoutée ou stratégiques et miser sur des employés compétents sur lesquels on peut compter.

Y a-t-il des tâches qu’un gestionnaire peut confier à un employé sans difficulté et d’autres qu’il ne devrait absolument pas déléguer?

Il est impossible de déléguer tout ce qui relève de l’autorité du cadre : la sélection du personnel, l’organisation du travail, la planification stratégique, les mesures disciplinaires et la gestion du rendement devraient demeurer de son ressort. De plus, il vaut mieux éviter de déléguer des tâches urgentes si personne n’a les compétences requises pour les réaliser convenablement. D’ailleurs, il faut se rappeler qu’au bout du compte, c’est le gestionnaire qui est responsable du résultat, et qu’il devra en assumer les conséquences.

En revanche, on peut déléguer les tâches quotidiennes qu’un employé pourrait avoir à effectuer si le gestionnaire devait s’absenter. Et aussi, celles qui laisseraient au gestionnaire davantage de temps pour accomplir un travail à plus grande valeur ajoutée s’il les confiait à d’autres membres de l’équipe.

À qui devrait-on déléguer?

Il faut commencer par se demander qui aurait les compétences, le temps, l’énergie et la motivation pour le faire. On doit également mettre à la disposition de l’employé les ressources dont il aura besoin pour réaliser le travail. Si une personne n’a pas toutes les compétences requises, on pourra déléguer seulement une partie des tâches ou les répartir entre plusieurs employés. On déléguera ensuite de manière progressive, en donnant de plus en plus de latitude au fil des expériences et du développement de la personne.

Comment s’y prendre pour déléguer des tâches et quels sont les écueils à éviter?

On devrait adopter une attitude positive et trouver le juste équilibre entre la confiance et le suivi. Il s’agit de donner de l’autonomie à l’employé tout en mettant des balises. Il faut l’accompagner pour qu’il développe ses compétences.

Toutefois, il faut veiller à ne pas créer un sentiment d’iniquité entre les employés : ainsi, toujours confier les beaux défis aux mêmes individus peut créer de la jalousie. Il importe d’être en mesure de justifier nos choix à cet égard.

De plus, la prudence est de mise pour éviter de toujours déléguer aux mêmes personnes parce qu’elles sont compétentes, fiables et engagées. En fait, déléguer ne doit pas mener à l’épuisement des individus à haut potentiel ou performants. Il ne s’agit pas non plus de demander à un employé d’effectuer le travail qu’un autre membre de l’équipe n’aurait pas fait ou les tâches que personne n’assume par manque de main-d’œuvre, par exemple.

Enfin, lorsqu’on délègue, il est indispensable de communiquer clairement ses attentes et ses objectifs. Il est tout aussi important de réfléchir à sa propre attitude et d’accepter le fait que les choses seront peut-être réalisées autrement. On doit aussi consacrer tout le temps nécessaire à expliquer à l’employé ce qu’il doit accomplir, lui fournir les outils dont il a besoin et planifier une rencontre de suivi. Et pour que l’expérience soit positive pour tous, on évitera de tomber dans la microgestion et le contrôle excessif, et on accordera à l’employé le droit à l’erreur. Sans cela, déléguer génère plus d’anxiété que de motivation.

Déléguer des tâches favorise-t-il la mobilisation des employés?

Effectivement, cela peut contribuer à mobiliser les employés qu’on implique, qu’on développe et à qui on fait confiance. Déléguer permet aussi au gestionnaire d’exprimer de la reconnaissance à ses employés.

En outre, si on se place du côté de l’entreprise, déléguer est un exercice indispensable afin de préparer la relève pour les postes de cadres. Mettre en place un plan de relève passe donc nécessairement par la délégation de tâches, même si certains gestionnaires qui désirent conserver leurs pouvoirs se sentent parfois mal à l’aise avec ce processus. Pour les PME, cette planification est d’autant plus cruciale que leur structure est peu hiérarchisée. Pour former la relève, les organisations doivent fournir aux employés l’occasion de développer des compétences qui leur permettront de grandir, que ce soit par la formation ou par l’attribution de nouvelles tâches à accomplir.


Note

[1] Les propos de Sylvie St-Onge s’appuient sur un texte qu’elle a coécrit avec Marie-Ève Beauchamp Legault, doctorante et chargée de cours en gestion des ressources humaines à HEC Montréal. Pour en savoir plus, consultez l’article «Déléguer : une question de volonté et de savoir-faire», dans l’ouvrage Gérer sa vie professionnelle, Montréal, Gestion HEC Montréal, collection Gestion et Savoirs, 2021, p. 532-539.