Quelle est l’origine des pratiques norvégiennes en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) ? Comment une firme américaine a-t-elle su décloisonner les efforts dans ce domaine ? Quels sont les défis d’une industrie de la mode responsable ? Que privilégient les entreprises de l’Afrique subsaharienne en matière de RSE ? Voici ce que nous apprennent certaines recherches internationales en gestion.

Le modèle norvégien

15 pays les mieux classés dans le monde selon l'indice de compétitivité durable (2016)Dans le dossier que le Journal of Business Ethics1 a consacré il y a trois ans à l’« approche scandinave » en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de développement durable, deux professeurs d’Oslo se sont penchés sur le cas de la Norvège2. Ils ont ainsi souligné le fait remarquable que des pratiques de responsabilité sociale s’y sont développées depuis plus d’un siècle et demi par l’entremise des conventions collectives, des politiques publiques et des lois, précédant de loin le concept moderne de RSE.

Selon les auteurs, le fait que la Norvège fasse bonne figure dans le domaine de la RSE est le résultat d’une longue pratique du dialogue et de la négociation, que les entreprises norvégiennes ont fortement contribué à bâtir au fil des décennies. Cette tradition précède l’avènement de la théorie contemporaine des parties prenantes élaborée par le philosophe et universitaire américain Edward Freeman.

Plusieurs facteurs ont petit à petit façonné la société norvégienne en y ancrant solidement les valeurs démocratiques et égalitaires : une noblesse moins puissante qu’ailleurs en Europe, la quasi-absence de grandes entreprises et la prolifération de petites entreprises familiales, des gestionnaires généralement bienveillants et conciliants ainsi que le développement d’une avant-garde industrielle qui, dès ses débuts, a assumé d’elle-même des responsabilités envers ses employés et la société. De plus, les auteurs soutiennent que les valeurs chrétiennes ont motivé les directions d’entreprise à poursuivre des objectifs plus ambitieux que la simple recherche du profit.

Autre facteur important : l’adoption précoce de lois en matière de protection sociale, qui ont incité les dirigeants d’entreprise et les employés à se considérer comme des partenaires sociaux. En effet, depuis la fin du 19e siècle, les entreprises doivent rendre compte des mesures prises en matière de santé et de sécurité au travail et, depuis l’adoption d’une loi en 1998, des répercussions environnementales de leurs activités. Des notions comme « l’honneur de l’entreprise », « l’économie de la négociation » et « le capitalisme démocratique » ont ouvert la voie au concept de RSE norvégien (samfunnsansvar), qui se caractérise par son fort ancrage social.


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Alignement organisationnel : un cas américain

Les pratiques responsables en affaires peuvent- elles correspondre à une vision commune ? La réponse est positive, selon la chercheuse américaine Angeli E. Weller, qui appuie ses arguments sur une analyse de cas de la firme TechCo, une multinationale de haute technologie basée aux États-Unis. L’étude3 de cette universitaire présente la manière dont TechCo harmonise ses pratiques en matière d’éthique, de conformité juridique, de RSE et de développement durable en les intégrant à sa culture et à sa stratégie organisationnelles.

Les assises théoriques de cette étude sont de deux ordres : la théorie des communautés de pratique et le rôle des intermédiaires (brokers) dans le transfert des connaissances. Considéré comme un processus d’apprentissage, l’alignement des pratiques responsables chez TechCo passe par trois étapes distinctes : la gouvernance, l’alignement et la création de nouvelles pratiques.

La première étape consiste à regrouper les programmes « Éthique et conformité », « Affaires environnementales », « Environnement, santé et sécurité » et « Commerce international » sous le chapeau de la responsabilité d’entreprise (RE) dans le but de prévenir les cas d’inconduite et de réduire les risques. Ainsi, la direction de TechCo a créé un comité afin de superviser ses propres pratiques en matière de développement durable.

À la deuxième étape, les gestionnaires doivent faire l’analyse et la sélection des mesures existantes et adopter de nouvelles technologies afin d’accroître l’efficacité des mesures retenues. Cet exercice a pour but de rendre cohérent l’ensemble des pratiques dans le domaine de la RE tout en les arrimant à la culture de l’entreprise.

À la troisième étape, l’accent est mis sur l’innovation, notamment en ce qui a trait aux possibilités émergentes en matière de développement durable, ce qui entraîne la création de pratiques innovatrices destinées à renforcer la responsabilité de l’entreprise.

L’auteure souligne le fait que l’alignement des pratiques RE chez TechCo a été rendu possible grâce à la vision d’une personne (le directeur du programme « Éthique et conformité ») qui a amené les gestionnaires à collaborer et à former « une communauté unique autour de leurs pratiques responsables ».


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L’objectif du « 100 % durable »

Le courant de la « mode durable » lutte pour se faire une place dans ce secteur d’activité. Ce concept implique des pratiques innovantes… et son lot de défis, dont le plus important est la rentabilité. Deux chercheuses4 se sont donc penchées sur cette question en analysant les pratiques des créateurs de vêtements durables du quartier Kallio à Helsinki, en Finlande.

L’industrie de la mode est associée à la production d’une énorme quantité de déchets et à l’exploitation de la main-d’œuvre dans certaines régions du monde. Le concept de la mode durable tend donc vers un équilibre entre les activités de création, la consommation de vêtements et les effets dommageables de ce secteur d’activité sur les gens et sur l’environnement. En Finlande, ce concept est de plus en plus populaire et, selon les auteures de l’étude, il s’agit avant tout d’un choix volontaire, fondé sur les valeurs personnelles des créateurs, plutôt que d’une simple stratégie de marketing.

Le quartier Kallio abrite un grand nombre d’entrepreneurs créatifs émergents d’Helsinki, des jeunes femmes pour la plupart. On note le recours à plusieurs concepts dans leurs pratiques de mode durable : la production à petite échelle au moyen de techniques artisanales afin d’encourager une relation à long terme entre le consommateur et l’objet de mode (ou slow fashion), la transformation de vêtements usagés (upcycling), la production de pièces uniques en utilisant des matériaux usagés toujours en vogue (trashion) ainsi que le zéro déchets, une idée selon laquelle tout doit être utilisé et recyclé en se servant uniquement de tissus biodégradables.

Pas facile de réussir un tel pari : les ressources locales sont limitées et les exigences de certains clients contraignent parfois les créateurs de vêtements à faire des compromis (l’externalisation, par exemple). Ces concepteurs sont toujours à la recherche des modèles commerciaux qui leur per- mettront de devenir 100 % durables… et rentables.


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Le contexte subsaharien

Populaire en Europe et en Amérique du Nord, le concept de responsabilité sociale des entreprises connaît également un essor dans les pays en développement du continent africain. La RSE de tradition africaine met davantage l’accent sur les questions sociales que sur les questions environnementales et éthiques, comme le montre une analyse comparative effectuée par trois chercheurs allemands5.

Les auteurs ont recueilli des données auprès de 211 entreprises dans sept pays d’Afrique subsaharienne : Kenya, Botswana, Ghana, Tanzanie, Ouganda, Nigeria et Zambie. Ils ont retenu trois déterminants nationaux (PIB, espérance de vie et degré de corruption) et quatre déterminants des entreprises (nationalité, taille, affiliation industrielle et degré d’internationalisation) pour mesurer les répercussions des activités des organisations étudiées.

Bien que les sept pays sélectionnés présentent un contexte de pauvreté généralisée, ils ont des taux de croissance prometteurs et des marchés boursiers qui fonctionnent relativement bien. En matière de RSE, il existe entre ces pays des différences qu’expliquent les sept déterminants énumérés ci-dessus. Pour ce qui est de la divulgation des pratiques dans ce domaine, par exemple, les entreprises de certains pays le font plus volontiers que d’autres. Ainsi, en Tanzanie, 94 % des entreprises ont une section RSE sur leur site web, alors que ce pourcentage s’élève à seulement 57 % au Botswana. On note également que les entreprises des secteurs dits polluants sont plus enclines à divulguer de l’information que les firmes d’autres secteurs afin de répondre aux préoccupations et aux attentes des communautés à leur endroit. Néanmoins, les entreprises de ces pays ont en commun un fort degré d’implication communautaire grâce à des projets destinés notamment aux jeunes dans les domaines de la santé et de l’éducation. Par ailleurs, dans les sept pays étudiés, la philanthropie constitue le principal moteur de l’implication communautaire.

En raison des structures institutionnelles plus faibles dans ces pays, il revient au secteur privé de contribuer à l’amélioration des conditions sociales, économiques et environnementales. Cette contribution y est considérée comme un élément essentiel de la RSE, selon les auteurs de cette étude.


Notes

1- Journal of Business Ethics, vol. 127, n° 1, mars 2015.

2- Ihlen, Ø., et von Weltzien Hoivik, H., « Ye Olde CSR – The Historic Roots of Corporate Social Responsibility in Norway », Journal of Business Ethics, vol. 127, n° 1, mars 2015, p. 109-120.

3- Weller, A. E., « Aligning Responsible Business Practices – A Case Study », Business Ethics – A European Review, vol. 26, n° 4, octobre 2017, p. 457-467.

4- Gurova, O., et Morozova, D., « A Critical Approach to Sustainable Fashion – Practices of Clothing Designers in the Kallio Neighborhood of Helsinki », Journal of Consumer Culture, vol. 18, n° 3, septembre 2016, p. 397-413.

5- Kühn, A-L., Stiglbauer, M., et Fifka, M. S., « Contents and Determinants of Corporate Social Responsibility Website Reporting in Sub-Saharan Africa – A Seven-Country Study », Business & Society, vol. 57, n° 3, novembre 2015, p. 437-480.