Chaque entreprise veut bâtir une relation à long terme avec ses clients, mais cet objectif s'avère de plus en plus difficile à atteindre dans des marchés mondialisés où les différences culturelles demeurent des facteurs significatifs. Faut-il concevoir des stratégies distinctes pour gagner la confiance et l'attachement des consommateurs de pays aux cultures différentes ? Voici ce que des chercheurs d'ailleurs peuvent nous apprendre à propos de la relation aux marques.

Les dimensions de la confiance

Les attentes envers une marque de la part de consommateurs provenant de pays différents peuvent-elles être classifiées selon un modèle universel ? C’est ce qu’estiment les professeurs Sabrina M. Hegner et Colin Jevons, qui ont analysé le comportement de consommateurs de l’Allemagne, de l’Inde et de l’Afrique du Sud.

Selon des études antérieures portant sur la relation consommateur-marque en Chine et aux États-Unis, la confiance envers une marque comporte deux éléments essentiels : la compétence (savoir répondre aux besoins des clients) et la bienveillance (une préoccupation sincère pour les intérêts des clients). Mme Hegner et M. Jevons ont poussé l’analyse plus loin en interrogeant 1 270 consommateurs dans les trois pays retenus. Puisque des entretiens menés auprès de consommateurs issus de cultures différentes avaient déjà démontré que les marques mondiales suscitent plus de réactions (de confiance ou de méfiance) que les marques locales, les auteurs ont choisi cinq grandes marques internationales – Toyota, Acer, Adidas, Nivea et Knorr – pour réaliser leur étude.

Les réponses obtenues les ont menés à conclure que la confiance envers une marque se fonde sur quatre éléments. En plus de la compétence et de la bienveillance, les auteurs ont retenu l’intégrité (l’adhésion à des principes solides d’éthique et d’honnêteté) et la prévisibilité (l’aptitude à créer des attentes positives). Selon eux, la confiance globale envers une marque, c’est l’effet combiné de ces quatre dimensions, peu importe le pays d’origine des consommateurs.


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La raison ou l’émotion?

Facteurs à l'origine des différences culturellesSéduites par l’effervescence des marchés chinois et indien, les marques internationales les ont pris d’assaut… ou ont tenté de le faire. En effet, le succès n’a pas toujours été au rendez-vous pour les multinationales. Pourquoi? Parce que la fidélité envers une marque ne se bâtit pas de la même manière dans tous les pays, notamment en Chine et en Inde. C’est la conclusion d’une étude réalisée par trois chercheurs de la Corée du Sud sur les relations consommateur-marque dans un contexte international.

Selon les auteurs, la fidélité envers une marque est influencée par deux valeurs fondamentales : la valeur utilitaire (la capacité de la marque à résoudre des problèmes et à remplir des fonctions dans la vie d’une personne) et la valeur hédoniste (son potentiel de plaisir). La valeur utilitaire est importante pour bâtir la confiance envers la marque (brand trust), alors que la valeur hédoniste a une influence directe sur l’attachement (brand affect).

Pour analyser les différences culturelles en Chine et en Inde, les auteurs ont adopté les dimensions de la culture nationale définies par le psychologue néerlandais Geert Hofstede.

Ainsi, l’Inde serait caractérisée par l’individualisme, l’orientation à court terme et la féminité, alors que la Chine a comme principaux traits le collectivisme, l’orientation à long terme et la masculinité. L’indice d’évitement de l’incertitude serait par ailleurs plus élevé en Inde qu’en Chine. Pour les auteurs, ces caractéristiques montrent que les marques doivent orienter leur relation avec les consommateurs de la façon suivante : miser sur la valeur utilitaire en Chine et sur la valeur hédoniste en Inde. Par ailleurs, ils estiment que les consommateurs chinois ont tendance à rester fidèles envers une marque plus longtemps que les consommateurs indiens.

Le pouvoir de la foi

Pendant que les marques tentent par tous les moyens d’accroître l’engagement de leurs clients, un élément capital est souvent négligé : la foi des gens. L’étude de deux professeurs de l’université d’East London, Rula al Abdulrazak et Ayantunji Gbadamosi, illustre pourquoi la religion, plus spécifiquement l’islam, est importante dans la relation consommateur-marque.

Concept multidimensionnel et complexe, la foi influence le quotidien des gens selon leur degré d’engagement religieux et de dévotion. Transcendant tous les aspects de la vie de ses adeptes, l’islam influence ainsi le comportement des consommateurs musulmans. La pratique de la consommation selon les préceptes islamiques encourage les gens à faire des dépenses raisonnables et à éviter le gaspillage. Lorsque les personnes associent les valeurs de leur foi aux valeurs d’une marque, soulignent les auteurs, la création d’un attachement spirituel et émotionnel est plus probable, avec pour conséquence un degré plus élevé de fidélité envers la marque.

Cependant, le sujet est délicat : d’un côté, le ciblage ethnique est critiqué; de l’autre, les tentatives d’inclusion des non-croyants peuvent nuire à la relation avec la clientèle croyante, soulignent les auteurs, parce que les personnes religieuses se méfient de ceux qui ne partagent pas leurs croyances et leurs valeurs. Une relation passive entre la marque et la foi ne mènera pas nécessairement à la confiance ; la fidélité envers une marque sans association religieuse est également possible.

Prix, image et relation

Les différences culturelles ont une influence significative sur l’évolution d’une entreprise dans les marchés étrangers. L’effet de ce facteur est encore plus évident lorsqu’on compare des cultures occidentales et orientales. Les chercheurs coréens Insu Cho et Yong Soo Jang ont analysé le cas du commerce de détail à rabais (discount retail businesses) dans deux pays représentatifs pour ces deux grands ensembles culturels : les États-Unis et la Corée du Sud.


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À la fin des années 1990, dans le cadre de son projet d’expansion internationale, le géant américain du commerce de détail Walmart est entré en Corée du Sud. Cependant, il y est resté jusqu’en 2005 avant de quitter ce marché. Cet échec s’explique, selon les auteurs, par les différences entre les consommateurs américains et coréens en matière de relations avec les marques. Leur démonstration repose sur trois facteurs qui influencent la fidélité des consommateurs envers une marque : le rapport perçu entre le produit acheté ou le service reçu et le prix payé (value equity), l’image de la marque (brand equity) et la qualité de la relation consommateur-marque (relationship equity).

Les résultats de cette étude indiquent que le rapport qualité-prix et l’image de la marque ont une influence plus forte sur la confiance des américains envers une marque donnée, alors que la confiance des Coréens est plutôt influencée par la qualité de leur relation avec une marque. Quant à elle, la satisfaction joue un certain rôle dans la fidélisation des Coréens envers une marque, mais elle n’aurait pas d’effet sur les américains.

Article publié dans l'édition été 2018 de Gestion


Pour aller plus loin

Hegner, S. M., et Jevons, C., « Brand Trust – A Cross-National Validation in Germany, India, and South Africa », the Journal of Product and Brand Management, vol. 25, n° 1, 2016, p. 58-68.

Hur, W., Kang, S., et Kim, M., « The Moderating Role of Hofstede’s Cultural Dimensions in the Customer-Brand Relationship in China and India », Cross Cultural Management, vol. 22, n° 3, 2015, p. 487-508.

Al Abdulrazak, R., et Gbadamosi, A., « Trust, Religiosity, and Relationship Marketing – A Conceptual Overview of Consumer Brand Loyalty », Society and Business review, vol. 12, n° 3, 2017, p. 320-339.

Cho, I., et Jang, Y. S., « Cultural Difference of Customer Equity Drivers on Customer Loyalty – A Cross-National Comparison between South Korea and United States », Quality innovation Prosperity, vol. 21, n° 2, 2017, p. 1-19.