Le client est roi, dit le dicton. Mais tout roi a ses caprices et les satisfaire est un art que les entreprises n’ont guère le choix de cultiver. Des spécialistes font le point sur certaines tendances internationales en marketing.

L’attrait du paradoxe chez les consommateurs biculturels

Les consommateurs biculturels (comme les personnes d’origine hispanique ou asiatique vivant aux États-Unis) représentent désormais un tiers de la population américaine et constituent le groupe démographique qui croît le plus rapidement chez nos voisins du Sud.

Qu’ils soient immigrants, réfugiés, autochtones ou issus de minorités ethniques, les individus biculturels ont été exposés à deux cultures et les ont intériorisées. Ils reconnaissent aisément qu’il existe différentes façons de perpétuer des coutumes et d’organiser sa vie. Par conséquent, ils sont plus prédisposés à faire des associations inhabituelles et à avoir des idées novatrices.

Trois chercheurs américains se sont intéressés aux stratégies marketing visant cette clientèle, qui, selon la littérature scientifique, possède une grande flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité de prendre en compte simultanément plusieurs représentations contradictoires de la réalité.

Les résultats de leur étude[1], qui regroupe sept recherches menées auprès d’un total de 1 759 consommateurs monoculturels ou biculturels, révèlent que ces derniers évaluent plus favorablement les marques paradoxales. Les auteurs définissent celles-ci comme des marques qui combinent des éléments paraissant s’opposer, comme une identité (soit ce que la marque est ou aspire à être) qui serait à la fois moderne et traditionnelle. Les stratégies marketing déployées peuvent miser sur l’incompatibilité des valeurs d’une marque (par exemple, l’ouverture au changement contre le désir de préserver la sécurité du statu quo) ou sur des contradictions dans sa personnalité. Une marque pourrait par exemple être associée à la dureté, à la masculinité et à la vie en plein air, d’une part, et promouvoir la sophistication, la féminité et la douceur, d’autre part.

Les chercheurs ont constaté que les consommateurs biculturels répondent plus positivement aux marques paradoxales que les consommateurs monoculturels. Leurs résultats montrent également que les consommateurs biculturels dits intégrés (c’est-à-dire ceux qui s’identifient fortement à leur culture d’origine et à leur culture d’accueil) portent un regard plus positif sur ces marques que ceux qui s’identifient uniquement à leur culture d’origine ou à celle de leur société d’accueil.

Ce constat met en lumière le fait que les consommateurs biculturels ne répondent pas de façon homogène aux marques paradoxales, ce qui doit être pris en considération par les spécialistes du marketing.

Jusqu’à maintenant, les marketeurs ont utilisé deux catégories de stratégies pour attirer les consommateurs biculturels. La première, l’hyperciblage, propose d’adapter les communications d’une entreprise pour un type spécifique de consommateur biculturel, par exemple en présentant des publicités en espagnol pour les Hispano-Américains. La seconde, davantage axée sur une approche globale du marché, suggère plutôt la création d’une seule publicité pour tous les consommateurs, mais en incorporant des clins d’œil à différentes cultures dans l’espoir de séduire les clients biculturels.

Les chercheurs proposent désormais une autre option : la création de marques paradoxales qui interpellent plus d’un segment de consommateurs biculturels (tant les Hispano-Américains que les Américains d’origine asiatique, par exemple), même si ces associations peuvent paraître quelque peu contradictoires.

Clientèle asiatique : les clés de la séduction

L’Asie étant devenue le foyer de nombreux marchés dynamiques, les chercheurs en marketing s’intéressent de plus en plus aux particularités des consommateurs asiatiques, dont les valeurs, plus communautaires qu’individualistes, sont fondées sur les relations personnelles, les obligations mutuelles et une conception du monde orientée vers le futur et davantage axée sur le long terme. Cette perspective découle de l’idéologie confucéenne.

Or, selon deux chercheurs, il est essentiel de bien saisir ce que représente cette perspective culturelle – qui englobe à la fois la planification de l’avenir et la valorisation du passé, la persévérance, l’équité, l’honnêteté et l’intégrité – pour mieux comprendre sur quoi se fonde la satisfaction de la clientèle en Asie.

Au terme d’une étude[2] sur le marketing relationnel réalisée auprès de 1 945 Malaisiens travaillant dans le milieu des banques (34%), des soins de santé (34%) ou de l’hôtellerie (32%), ils ont découvert que, dans un marché asiatique typique orienté vers le long terme, une relation harmonieuse entre une entreprise et ses clients mène à une grande satisfaction de ces derniers.

En effet, en bâtissant une relation étroite avec le consommateur, une entreprise peut détecter les besoins de celui-ci et y répondre efficacement, ce qui lui confère un avantage concurrentiel. Pour le client, cette relation conduit à de meilleures solutions, à la minimisation des risques et des incertitudes, à la tranquillité d’esprit et à des économies. Plus précisément, l’étude révèle que les stratégies mettant de l’avant l’équité, la confiance et l’empathie sont des moteurs qui peuvent mener à la rétention et à la fidélisation de la clientèle. Les investissements qui promeuvent ces vertus sont donc profitables, selon les chercheurs.

Ces derniers sont aussi d’avis que les clients satisfaits sont plus susceptibles de parler positivement de l’organisation, de s’investir dans une relation avec elle, de lui fournir de l’information utile et de payer davantage pour ses produits que ces avantages compensent les sacrifices consentis pour établir des relations avec ces personnes.

Ils concluent que plus l’interaction est personnelle, étroite, forte ou fréquente, plus la dynamique relationnelle est importante. Ainsi, dans le secteur de la santé, où le service est offert à une personne, l’empathie est le facteur le plus déterminant de la satisfaction du client et de la qualité de la relation ; dans le domaine bancaire, où le service peut être décisif pour les biens d’une personne et exige une relation continue, la confiance est le facteur le plus fondamental ; et dans l’hôtellerie, où le service nécessite une relation discrète avec les gens, l’équité est un facteur crucial.

Ces constats seront utiles aux prestataires de services qui doivent hiérarchiser leurs initiatives de marketing relationnel ou se concentrer sur les aspects les plus importants selon leur domaine d’activité.

De plus, les gestionnaires doivent savoir que, pour projeter une image d’équité, l’organisation doit diriger ses interactions avec les clients de manière à ce qu’elles soient mutuellement bénéfiques.

Afin d’instaurer un climat de confiance, l’entreprise doit véritablement se soucier de la sécurité des transactions et des renseignements personnels des clients et veiller à remplir ses obligations à tout moment.

Également, il existe des stratégies qui permettent d’insuffler de l’empathie dans la relation avec la clientèle, comme celle de fournir un effort pour comprendre les sentiments des consommateurs et cerner leurs perceptions à l’égard du lien créé. Récompenser les employés qui font preuve d’une attention adéquate est alors primordial.

Comment garder un client insatisfait?

Le cauchemar de toute entreprise est de voir un client s’en aller chez ses concurrents à la suite d’une prestation de services décevante ou carrément défaillante. C’est pourquoi le travail de rétention est si fréquent dans divers secteurs d’activité.

L’objectif de cette stratégie est d’amener le client mécontent à un état de satisfaction dans l’espoir de le retenir et de renforcer sa fidélité. Tout en réglant un problème dans l’immédiat, une correction de service est efficace lorsque l’organisation, grâce aux efforts de ses employés, permet au client de surmonter sa déception et de rétablir ses perceptions de justice en regard de la situation. Le traitement des défaillances de service est un plus grand défi encore lorsqu’une entreprise sert des clients de différentes cultures, dans plusieurs pays.

Six chercheurs ont fait équipe pour répondre à la question suivante : un client frustré qui constate qu’un employé fait un réel effort pour le satisfaire est-il plus susceptible de percevoir le résultat comme juste et équitable?

Pour y répondre, ils ont sondé 414 clients qui ont formulé des plaintes auprès de leur fournisseur de services de téléphonie mobile au Mexique, au Royaume-Uni et en Espagne (échec de la couverture réseau, appareils défectueux, erreurs de facturation, longue attente, personnel impoli).

Leur étude[3] révèle que plus un employé multiplie ses efforts pour corriger une défaillance de service, plus les clients sont enclins à juger le résultat comme équitable et à renouveler leur satisfaction. Autrement dit, les processus efficaces de rétention diminuent la probabilité que les consommateurs se tournent vers d’autres fournisseurs, tout en renforçant la possibilité de cultiver des relations durables.

Cependant, le contexte culturel module certains constats. Par exemple, l’importance accordée à la quantité d’efforts déployés par l’employé est plus grande dans les cultures dites «féminine», comme celle de l’Espagne, que dans les cultures dites «masculines», comme celles du Royaume-Uni et du Mexique, davantage axées sur la réussite financière. Par conséquent, les employés des centres d’appels agissant auprès des Espagnols devraient se voir accorder plus de temps pour résoudre les problèmes des clients avec empathie.

De même, les clients britanniques sont plus portés à donner une seconde chance aux fournisseurs que les Espagnols et les Mexicains, qui tolèrent moins bien l’incertitude. Cette méfiance est d’ailleurs plus accentuée au Mexique étant donné la plus grande instabilité des revenus personnels.

Les chercheurs concluent en affirmant que le sentiment de justice ressenti par le client provoque un effet positif sur sa satisfaction et que cet effet semble universel. Morale de l’histoire : les entreprises ne doivent pas lésiner

 

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion


Références

[1] Rodas, M. A., John, D. R., et Torelli, C. J., «Building brands for the emerging bicultural market: The appeal of paradox brands», Journal of Consumer Research, vol. 48, n° 4, décembre 2021, p. 633-650.

[2] Ndubisi, N. O., et Nataraajan, R., «Customer satisfaction, confucian dynamism, and long-term oriented marketing relationship: A threefold empirical analysis», Psychology & Marketing, vol. 35, n° 6, avril 2018, p. 477-487.

[3] Yani-de-Soriano, M., Hanel, P. H. P., Vazquez-Carrasco, R., Cambra-Fierro, J., Wilson, A., et Centeno, E., «Investigating the role of customers’ perceptions of employee effort and justice in service recovery: A cross-cultural perspective», European Journal of Marketing, vol. 53, n° 4, avril 2019, p. 708-732.