Article publié dans l'édition automne 2018 de Gestion

Comment établir une relation durable entre des employés chinois et des employeurs occidentaux ? Quelle est la meilleure façon de garder plus longtemps les jeunes informaticiens indiens au sein d'une même entreprise ? Peut-on mesurer la place des relations humaines et du bien-être au travail en ce qui a trait à la rétention des employés dans le monde ? Voici ce que des recherches internationales en gestion nous apprennent.

Selon le gouvernement chinois, près de 500 000 entreprises étrangères étaient présentes en Chine en 2015. Bien que les travailleurs chinois soient généralement considérés comme loyaux, les gestionnaires des ressources humaines de nombreuses multinationales se sont heurtés à la difficulté de les garder.

Comment accroître la rétention des employés qui travaillent dans des multinationales en Chine ? Pour répondre à cette question, un groupe de chercheurs a réalisé une enquête1  auprès des employés d’une cinquantaine de multinationales manufacturières établies dans la province du Jiangsu, sur la côte est du pays. Ils ont notamment conclu que le pays d’origine des entreprises constitue un facteur déterminant. Il y a en effet des différences significatives entre les employés de multinationales asiatiques et occidentales en matière de confiance dans l’équipe de gestion, de satisfaction professionnelle, d’engagement affectif et d’intentions de départ.


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Ainsi, les employés chinois qui travaillent dans des multinationales occidentales estiment que la culture y est plus impersonnelle et ne s’attendent pas à bâtir une forte relation de confiance avec l’équipe de gestion. La confiance y a donc moins d’effet sur le degré de satisfaction au travail des employés que dans les multinationales asiatiques. Ce qui contribue plutôt à accroître le taux de rétention au sein des multinationales occidentales est l’engagement affectif envers l’entreprise. Les auteurs de l’enquête proposent une gestion « à haut rendement », définie comme un ensemble de pratiques qui servent à motiver et à fidéliser les employés.

« Ce qui contribue à accroître le taux de rétention des employés chinois au sein des multinationales occidentales est l'engagement affectif envers l'entreprise. »

Loyauté à double sens

Dans une étude publiée par le Business and Economics Research Journal2, deux chercheurs turcs se sont penchés sur l’effet que la relation avec le supérieur hiérarchique immédiat peut avoir sur la satisfaction au travail des employés et, implicitement, sur leur loyauté envers l’entreprise. En analysant l’attitude des membres du personnel de l’université de Gümüshane, dans le nord de la Turquie, ils ont constaté que le leadership éthique a un effet significatif sur le degré de satisfaction. Le leader éthique cultive des principes comme l’honnêteté, l’équité et la loyauté ; ses décisions sont équitables et judicieuses. Les auteurs estiment que la conviction des travailleurs turcs selon laquelle leur supérieur hiérarchique fait toujours ce qu’il faut dans sa vie personnelle et professionnelle les amènera à l’accepter et à l’adopter, à l’instar d’un parent qui guide ses enfants.

Les auteurs ont donc analysé la construction de la loyauté envers un supérieur hiérarchique immédiat en utilisant un modèle basé sur cinq dimensions de la relation avec celui-ci : l’identification à sa personne, l’intériorisation des valeurs communes, l’effort supplémentaire qu’on est prêt à fournir, le dévouement et l’attachement. Par ailleurs, cette étude démontre que les employés s’attendent à être protégés, en cas de mauvais rendement, par les gestionnaires envers lesquels ils sont loyaux. La tradition islamique influe également sur les employés, qui considèrent que des événements hors de leur contrôle, qu’ils soient positifs ou négatifs, peuvent survenir.

En ce qui concerne les multinationales étrangères qui s’installent en Turquie, les auteurs soulignent que la loyauté envers le supérieur immédiat pourra compenser le manque de confiance dans une culture d’entreprise différente.

Les milléniaux en Inde : Employés expérimentés à la rescousse

En Inde, les milléniaux représentent un tiers de la main-d’œuvre et affichent un taux de roulement élevé par rapport aux générations précédentes. Toutefois, selon une étude3 publiée dans la revue Europe’s Journal of Psychology, ce phénomène pourrait être atténué grâce aux travailleurs vétérans.

En 2020, une grande partie des baby-boomers auront pris leur retraite et les milléniaux constitueront environ 50 % de la main-d’œuvre en inde. Dans le secteur des technologies de l’information (Ti), le taux de roulement de cette dernière génération est particulièrement élevé. Interrogés quant aux facteurs qui les inciteraient à garder un même emploi plus longtemps, de jeunes professionnels Ti de Delhi ont souligné leur besoin de développement professionnel et personnel (formation, participation à des ateliers, mobilité au sein de l’entreprise). Toutefois, le mentorat est le facteur le plus apprécié.

Les gestionnaires du bien-être sont les gardiens de la culture d’entreprise et ont pour mission de susciter, de développer et de perpétuer une relation profitable à la fois pour les employeurs et pour les employés.

En effet, le mentorat a des effets positifs sur la façon dont le soutien organisationnel est perçu. L’éthique relationnelle étant très importante pour les employés indiens, ils apprécient que l’organisation se soucie de leur développement professionnel. L’accroissement de leur satisfaction et de leur sentiment d’appartenance a une influence directe sur leur loyauté envers l’employeur. Les auteurs de cette étude lient par ailleurs le mentorat à l’attachement affectif qui, dans la culture indienne, nourrit toute relation et joue par conséquent un rôle clé dans la rétention du personnel.

En plus du mentorat, les milléniaux indiens apprécient le soutien de leurs collègues, l’encadrement éclairé, l’accès à des ressources techniques comme les médias sociaux ainsi qu’une haute direction qui encourage à la fois la flexibilité et l’intrapreneuriat. Les chercheurs concluent que les attentes des jeunes travailleurs doivent être prises très au sérieux, puisque l’avenir des entreprises en Ti, qui évoluent dans un environnement commercial très compétitif, en dépend.


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La gestion du bonheur

Certains employeurs n’épargnent aucun effort pour rendre leurs employés heureux. ne dit-on pas que le bonheur au travail est la clé de la loyauté ? En Allemagne, la pratique du feel-good management (ou « gestion du bien-être ») fait de plus en plus d’adeptes. Elle consiste à embaucher un responsable du bien-être des employés. Une analyse de ce nouveau métier a récemment été publiée dans la Strategic HR Review4.

Ce mouvement est apparu notamment dans des entreprises allemandes en démarrage qui misent sur l’innovation et qui doivent attirer des employés hautement qualifiés et talentueux de partout dans le monde. Fondée en 2015, l’association du feel-good management considère que les gestionnaires du bien-être sont les gardiens de la culture d’entreprise et qu’ils ont pour mission de susciter, de développer et de perpétuer une relation profitable à la fois pour les employeurs et pour les employés.

Un gestionnaire du bien-être a donc des compétences dans les domaines des ressources humaines, des communications internes, de la gestion des activités et de la santé. Il doit entre-autres participer au recrutement, encadrer les nouveaux employés, organiser des séances de formation et mener des enquêtes de satisfaction. Il crée régulièrement des activités d’intégration au sein des équipes et de rapprochement entre les employés, il trouve des solutions pour la garde des enfants, il aide les employés à se trou- ver un logement, etc. ce gestionnaire maintient aussi des liens avec les anciens employés. Les indicateurs de performance ont montré que les employés qui bénéficient de cette pratique apprécient vraiment leur entreprise et sont prêts à la recommander comme employeur.

Vu d’ici… La relation d’emploi : en zone d’ambiguïté

L’attraction et la rétention des talents sont à l’ordre du jour de toutes Les entreprises dans le contexte actuel de faible taux de chômage et de manque de main-d’œuvre qualifiée. Pour faire le tour de ces enjeux, nous nous sommes entretenus avec Alain Gosselin, professeur titulaire au Département de Gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Propos recueillis par Simona Camella Plopeanu. 

La relation employeur-employé a beaucoup changé au fil des ans. Comment se définit-elle aujourd’hui ?

A. G. :Deux questions caractérisent cette relation : « Pourquoi une entreprise garde-t-elle ses employés ? » et « Pourquoi ceux-ci restent-ils ? ».

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Alain Gosselin, professeur titulaire au Département de Gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

C’est ce qu’on appelle un contrat psychologique, c’est-à-dire le lien souvent informel entre eux. Idéalement, on veut atteindre un équilibre entre les promesses et les attentes des uns et des autres. Or, depuis plusieurs années, ce contrat implicite semble être de plus en plus déséquilibré. D’une part, les gens ont l’impression que les exigences des employeurs augmentent sans cesse, notamment en matière d’idées d’amélioration, de compétences et de responsabilités. Ils travaillent plus d’heures qu’auparavant et même une fois rentrés à la maison, ce qui crée chez eux le sentiment que le travail accapare leur vie. D’autre part, il y a une impression selon laquelle les employeurs se désengagent : les emplois sont plus précaires qu’avant et les possibilités de progression limitées dans des organisations qui diminuent le nombre de paliers hiérarchiques. Cet écart qui se creuse fait en sorte que beaucoup de gens remettent en cause leur engagement, voire leur relation d’emploi. En effet, de plus en plus de jeunes employés envisagent d’être travailleurs autonomes en remplaçant la relation employé-employeur par une relation fournisseur-client.

Cet écart n’est-il qu’une impression ou correspond-il à la réalité?

Les deux à la fois. Bien sûr, les gens ont tendance à idéaliser les relations antérieures et à sous-estimer les relations actuelles. Toutefois, si on analyse la question salariale, on note l’absence de gains significatifs depuis au moins 20 ans. Les augmentations couvrent à peine la hausse du coût de la vie, ce qui oblige les gens à travailler davantage. Pendant longtemps, la situation des enfants en tant que travailleurs a été meilleure que celle de leurs parents : plusieurs ont ainsi pu s’élever dans l’échelle sociale. Or, aujourd’hui, c’est moins évident. Il semble que l’ascenseur social soit en panne. Par ailleurs, le déséquilibre de la relation d’emploi s’explique aussi par le fait que les besoins des entreprises et les attentes des employés évoluent rapidement, et ce, parfois dans des directions différentes. On se retrouve souvent dans une zone d’ambiguïté, ce qui entraîne de l’insatisfaction, des frustrations, du cynisme et une perte de confiance. Malheureusement, les organisations ne mènent pas nécessairement une réflexion sur le type de lien d’emploi qu’elles veulent créer et entretenir avec leur personnel.

Quels sont les autres grands défis en gestion des ressources humaines ?

Il y en a plusieurs. L’attraction des meilleurs candidats dans un marché de l’emploi très concurrentiel est la priorité du moment, tout comme la fidélisation des employés : inutile de les attirer si on ne peut pas les retenir. Et il y a aussi le développement de la relève. Afin de réduire les risques associés aux nombreux départs à la retraite et à un marché du travail plus compétitif que jamais, on a de plus en plus souvent recours au développement interne. On a aussi tendance à élaborer très tôt un « pipeline de talents ». À titre d’exemple, la Banque royale du canada a instauré un programme pancanadien (« humains recherchés ») destiné entre autres à faciliter le passage des jeunes diplômés sans expérience vers leur premier emploi.

De plus, les dirigeants valorisent la création d’une culture d’entreprise forte qui permette de partager une vision, des valeurs et des façons de faire. Autre défi : assurer l’alignement des pratiques Rh (formation, intégration ou reconnaissance, etc.) lorsque les priorités stratégiques de l’organisation changent. La santé au travail est un autre enjeu important. Si les emplois sont moins durs physiquement, ils sont maintenant plus exigeants cognitivement et émotivement. À cet égard, la capacité de changement des gens constitue un autre défi, car elle a ses limites.

Quelles sont les meilleures stratégies pour attirer les candidats de talent ?

L’attraction, c’est avant tout une question de marque employeur. Si vos promesses correspondent aux attentes des candidats et que votre offre se distingue de celle de vos concurrents, votre proposition d’embauche sera intéressante. Un employeur de choix doit bien expliquer ce qu’il est, ce qu’il veut et ce qu’il propose. La meilleure stratégie consiste à utiliser une source crédible : les employés eux-mêmes en tant qu’ambassadeurs. Par exemple, on peut concevoir des capsules vidéo dans lesquelles des membres du personnel présentent les éléments positifs de leur emploi et de leur employeur. Évidemment, la fausse représentation est contre-productive : un candidat attiré par des promesses non fondées découvrira vite la réalité et deviendra potentiellement un élément négatif pour l’organisation.

Comment réduire le taux de roulement ?

Le roulement est naturel, inévitable et sain, entre autres parce qu’il permet à l’entreprise de se réorganiser et de renouveler ses compétences. Ce qu’on ne veut surtout pas, c’est perdre ses meilleurs employés. Il faut chercher à connaître à la fois les motifs des départs et les raisons pour lesquelles d’autres personnes restent : de cette façon, on peut atténuer le roulement et favoriser la stabilité. Cela dit, il faut s’attendre à ce que le taux de roulement augmente au cours des prochaines années. Tout d’abord, une génération moins loyale va remplacer une génération fidèle. Ensuite, en début de carrière, c’est tout à fait normal d’explorer le marché du travail, surtout dans un contexte de plein emploi et d’accès facile aux informations sur les occasions d’emploi. Les organisations devront donc s’adapter en faisant du recrutement continu et en puisant dans des bassins d’employés comme les travailleurs à la retraite et les immigrants.

Quel rôle les RH peuvent-elles jouer pour contribuer à l’innovation dans les entreprises ?

L’innovation est intimement reliée aux personnes : ce sont elles qui ont des idées, qui font preuve d’initiative et qui acceptent de prendre des risques. Créer un contexte propice à l’innovation nécessite un milieu où on se fait confiance et où on a réduit la peur de l’échec. Un processus judicieux de sélection du personnel est aussi un atout. Il faut miser sur la diversité en embauchant des gens différents provenant notamment de bassins nouveaux, avec des idées originales. On doit aussi responsabiliser les employés : la proposition d’idées doit faire partie de leur travail. L’acquisition de nouvelles connaissances par la formation est aussi à l’origine d’idées d’amélioration qui mènent à des innovations. On ne doit pas oublier de soutenir les gens qui osent et qui prennent de bonnes initiatives : dans ce cas, la reconnaissance est primordiale. Enfin, il est souhaitable de soutenir la création de communautés d’apprentissage et d’innovation rassemblant des gens qui travaillent dans des unités différentes et qui partagent certaines préoccupations.

En quoi les attentes des milléniaux sont-elles différentes de celles des générations précédentes ?

Je pense qu’on exagère l’écart actuel entre les milléniaux et les générations qui les ont précédés. Il faut reconnaître que la rupture a été beaucoup plus marquée dans les années 1960-1970, lorsque les baby-boomers actuels formaient la nouvelle génération. Il y a en ce moment des préoccupations qui sont dans l’air du temps, notamment la recherche de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle, et qui ne sont pas exclusives aux milléniaux. Et on présume que ces jeunes ne vont pas changer, ce qui est faux. Cela dit, il ne faut pas nier les particularités de cette génération, qui va évoluer dans un contexte particulièrement exigeant où elle devra constamment se réinventer. À la base, je crois que les jeunes veulent surtout des patrons qui sont de bons coachs et des employeurs qui investissent dans leur développement. Avec l’accélération des départs à la retraite, le transfert des responsabilités sera inévitable d’ici quelques années. Il sera alors intéressant de voir quel genre de gestionnaires deviendront ces jeunes qui approchent de la trentaine.


Notes

1. Zhang, M. M., McNeil, N., Bartram, T., Dowling, P., Cavanagh, J., Halteh, P., et Bonias, D., « Examining the “Black Box” of Human Resource Management in MNEs in China – Exploring Country of Origin Effects », The international Journal of human Resource management, vol. 27, n° 8,2016, p. 832-849.

2. Okan, T., et Akyüz, A. M., « Exploring the Relationship between Ethical Leadership and Job Satisfaction with the Mediating Role of the Level of Loyalty to Supervisor », Business and economics Research Journal, vol. 6, n° 4, 2015, p. 155-177.

3. Mohammad, F. N., et Lenka, U., « How Does Mentoring Contribute to Gen Y Employees’ Intention to Stay? An Indian Perspective », europe’s Journal of Psychology, vol. 13, n° 2, mai 2017, p. 314-335.

4. Frenking, S., « Feel-Good Management as Valuable Tool to Shape Workplace Culture and Drive Employee Happiness », strategic hR Review, vol. 15, n° 1, 2016, p. 14-19.