Article publié dans l'édition Printemps 2019 de Gestion

Que pouvons-nous apprendre sur la gestion de la diversité dans des pays aussi différents que l’Allemagne et le Japon ? Comment la Suède et le Danemark répondent-ils à la question de l’intégration de la diversité ? Voici ce que nous enseignent certaines recherches internationales en gestion.

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La cohabitation des âges

L’Allemagne et le Japon font partie des pays dont les populations sont les plus âgées au monde avec un âge médian d’environ 46,1 ans. Cela pose un défi bien particulier aux entreprises, qui doivent s’adapter au vieillissement de la main-d’œuvre. À la suite d’une enquête réalisée entre 2014 et 2015 auprès de 209 organisations allemandes et japonaises, trois chercheurs de l’Université de Göttingen, en Allemagne, ont élaboré une étude comparative sur les pratiques de gestion de la diversité dans ces deux pays en mettant l’accent sur la diversité des âges1.

Selon les auteurs de cette étude, l’Allemagne et le Japon ont des niveaux de prospérité comparables et sont aux prises avec des défis démographiques similaires. Des différences distinguent toutefois ces deux pays, car le Japon est resté une société relativement homogène, tandis que l’Allemagne a ouvert ses portes à l’immigration et aux réfugiés. Les attitudes culturelles en ce qui a trait à l’âge sont différentes elles aussi : au Japon, tout comme en Chine et en Corée, on accorde traditionnellement un grand respect aux personnes âgées, pendant qu’en Allemagne, à l’instar de plusieurs autres sociétés européennes, on relève des stéréotypes négatifs à leur endroit.


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Devant le phénomène du vieillissement de la population, le gouvernement japonais a progressivement augmenté l’âge légal de la retraite de 62 à 65 ans. Il a également élaboré des lignes directrices destinées à garantir les droits des personnes âgées. Quant au gouvernement allemand, il a lui aussi décidé de repousser petit à petit l’âge légal de la retraite à 67 ans. Il a par ailleurs adopté une loi destinée à décourager les retraites anticipées et lancé des campagnes d’information visant à présenter les personnes âgées sous un jour positif. L’examen des données montre qu’au moment où cette étude a été menée, 42 % des entreprises allemandes avaient mis en pratique une gestion adaptée à la diversité des âges, contre 34 % des entreprises japonaises. En général, le personnel des entreprises allemandes présente une plus grande diversité des âges, des genres et des origines ethnoculturelles que dans les entreprises japonaises, et la perception de la diversité y est plus positive qu’au Japon. En Allemagne, les pratiques de gestion de la diversité considérées comme les plus pertinentes sont la flexibilité des horaires de travail, la mixité des équipes et l’intégration de la gestion de la diversité dans la culture d’entreprise. Au Japon, où la gestion est plus hiérarchique, l’accent est mis davantage sur la communication et sur les initiatives des services des ressources humaines en matière de gestion de la diversité, qui concerne avant tout la mise en œuvre de directives portant sur la cohabitation des genres au sein des organisations.

Diversité : prôner l’intégration ou combattre l’exclusion ?

Bien qu’ils soient voisins et qu’ils partagent un grand nombre de valeurs, les citoyens du Danemark et de la Suède ont des préoccupations et des objectifs différents en ce qui a trait à la gestion de la diversité. En effet, dans la société danoise, on se préoccupe avant tout de l’intégration des immigrants, notamment au travail, tandis qu’en Suède, on se concentre en priorité sur la lutte contre le racisme. Une étude récente2 met en évidence ces aspects d’un point de vue historique, sociologique et politique.

La diversité ethnoculturelle est un phénomène relativement nouveau dans les pays scandinaves, ce qui les distingue de la plupart des pays occidentaux. Attirées par la forte croissance économique de l’après-guerre, les premières vagues d’immigrants y ont en effet débarqué dans les années 1950 et 1960.

De nos jours, cette diversité représente 10 % de la population danoise et 20 % de la population suédoise. Or, les statistiques montrent que la situation des immigrants sur le marché du travail est moins bonne que celle du reste de la population, et ce, malgré le fait que le modèle de l’État providence repose sur une longue tradition et jouit de l’appui de vastes segments de la population dans ces deux pays. Parmi les facteurs historiques qui ont contribué à l’apparition et à l’enracinement de ce modèle au Danemark et en Suède, citons une industrialisation relativement tardive, des clivages sociaux et des écarts économiques relativement faibles, un système de propriété foncière en vertu duquel les paysans étaient propriétaires de leur terre ainsi que le rôle déterminant des partis sociaux-démocrates dans la vie politique, ceux-ci ayant été régulièrement portés au pouvoir.


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Au Danemark, le modèle de gestion de la diversité repose sur les valeurs et principes suivants : universalité, solidarité, égalité, cohésion sociale et justice sociale. Cette approche s’est échafaudée autour de l’idée d’une population homogène : les mesures d’intégration des immigrants ont donc pour objectif d’atténuer les différences au maximum afin d’en arriver à une certaine normalisation sociale. Selon les auteurs de l’étude, au Danemark, la diversité est perçue comme un problème auquel il faut remédier, notamment en ayant recours à de meilleures pratiques d’intégration au marché du travail dans les entreprises du pays.

En Suède, l’approche en matière de gestion de la diversité est passablement différente dans la mesure où on cherche avant tout à lutter contre l’exclusion du marché du travail des personnes issues de l’immigration. Des lois sur l’égalité des sexes ont été adoptées dans les années 1980 et la loi suédoise contre la discrimination raciale a été renforcée en 1999. Les auteurs font aussi état de certaines politiques d’inclusion et de cohabitation qui ont facilité la gestion de la diversité lorsqu’elles ont été diffusées dans les entreprises suédoises. « Les discours actuels sur la diversité tendent à s’opposer au parti nationaliste représenté au Parlement, qui soutient une définition limitée du mot suédois3 », affirme aussi cette étude.


Notes

1- Kemper, L. E., Bader, A. K., et Froese, F. J., « Diversity Management in Ageing Societies – A Comparative Study of Germany and Japan », Management Revue, vol. 27, nos 1-2, janvier 2016, p. 29-49.

2- Romani, L., et al., « Diversity Management and the Scandinavian Model – Illustrations from Denmark and Sweden », dans Özbilgin, M., et Chanlat, J.-F. (dir.)., Management and Diversity – Perspectives from Different National Contexts, Bradford (G.-B.), Emerald Publishing Group, 2017, p. 261-280. Cet ouvrage est le troisième volume d’une série intitulée « International Perspectives on Equality, Diversity and Inclusion ».

3- Ibid., p. 275.