Il est où le bonheur, il est où? Voilà une question que se posent bien des patrons qui veulent satisfaire leurs employés afin d’optimiser leur performance. Alors que le monde du travail est en pleine révolution, des chercheurs de partout dans le monde explorent quelques pistes.

Le télétravail sous la loupe

Comment le télétravail affecte-t-il le bien-être des travailleurs sur les plans affectif, psychologique, cognitif, social et professionnel? Profitent-ils de la flexibilité liée à ce mode de fonctionnement ou adoptent-ils des comportements plus sédentaires en raison des possibilités limitées de socialisation et de déplacement?

En menant une étude[1] auprès de 40 employés d’une grande société informatique britannique – 23 hommes et 17 femmes, dont l’âge moyen était de 48 ans –, trois chercheurs ont ainsi voulu vérifier si les télétravailleurs se fatiguent cognitivement, notamment à cause de la surcharge de travail et de l’utilisation des technologies.

Les personnes interrogées, dont 42,5% exercent des responsabilités managériales, ont remarqué que le télétravail engendre chez elles des comportements pouvant aggraver leur santé physique. Elles sautent parfois les pauses et quittent leur poste de travail moins souvent, car elles sont très absorbées par leurs tâches. En outre, les télétravailleurs dont les fonctions les obligent à voyager régulièrement disent manger moins sainement et faire moins d’exercice, souffrir entre autres de raideurs corporelles et se sentir plus fatigués.

De longues journées de travail ont aussi été signalées par les télétravailleurs sondés, dont la moyenne des heures supplémentaires était de 9,18 heures par semaine. Bien que ce zèle leur permette d’effectuer leur travail et de gérer leur stress, une surcharge constante peut créer des douleurs musculo-squelettiques. C’est pourquoi tout bureau à distance devrait être ergonomique.

Les résultats de cette étude suggèrent toutefois que le télétravail peut aussi entraîner un mode de vie plus sain. Les personnes autodidactes et disciplinées ont indiqué faire plus d’exercice, manger plus sainement et prendre des pauses fréquemment.

Quant au bien-être cognitif, les télétravailleurs peuvent gérer plus d’informations et mieux se concentrer lorsqu’ils sont loin d’un environnement de bureau, révèlent les chercheurs. Les tâches rédactionnelles sont par exemple facilitées. En revanche, les individus jugent épuisant le fait d’être au téléphone, trouvant les contacts en personne plus bénéfiques pour les tâches interactives, créatives ou collaboratives, qui demandent de partager des idées.

Les personnes interrogées affirment que les multiples technologies et interactions peuvent réduire leur concentration. Ainsi, nombre d’entre elles se déconnectent afin de travailler plus efficacement. D’ailleurs, celles qui optent pour des pauses rapides loin de leur ordinateur souffrent moins de fatigue cognitive. Les organisations doivent donc encourager leurs employés à quitter leur écran, particulièrement ceux qui se sentent coupables de le faire ou qui sont nouveaux dans l’entreprise, conseillent les chercheurs.

En ce qui concerne la socialisation, les personnes sondées ont confirmé que l’isolement est l’un des plus grands dangers qui guettent les télétravailleurs, qui ont parfois l’impression d’être «loin des yeux, loin du cœur». Bien que la technologie permette aux individus de rester en contact avec leurs collègues, les employés soulignent à quel point l’interaction en face à face leur manque. Le sentiment d’isolement est d’ailleurs accru chez les personnes qui se disent extraverties ou sociables.

Enfin, les télétravailleurs aiment disposer d’une grande autonomie, ce qui améliore leur performance et leur satisfaction au travail. En ce qui a trait à l’évolution de leur carrière, les personnes interrogées sont généralement satisfaites des occasions offertes par leur employeur, et ces offres semblent d’ailleurs exemptes de préjugés sexistes.

Bureaux ouverts et partagés : un pensez-y-bien

La littérature scientifique démontre que le bien-être des employés augmente la performance d’une organisation et diminue le taux de roulement du personnel. Pour favoriser l’amitié et l’inclusion, de plus en plus d’entreprises ont recours à des lieux ouverts et aux bureaux partagés. Une stratégie efficace?

Des chercheurs néerlandais ont étudié[2] cette question, rappelant que le principe derrière ce type de «bureau flexible» est qu’il permet d’augmenter la communication, laquelle est bénéfique pour la collaboration et la performance des employés.

Or, le fait de communiquer davantage au travail n’améliore pas toujours le sentiment de bien-être sur le plan social. Des études antérieures ont en effet démontré que les espaces de travail ouverts peuvent être associés à une augmentation du bruit et à un manque d’intimité, à la dégradation des relations interpersonnelles et à l’augmentation des conflits. Les employés des bureaux flexibles peuvent aussi être moins coopératifs et se méfier des collègues qui ont leur propre espace de travail.

Sachant cela, les chercheurs ont analysé des entretiens menés auprès d’une dizaine d’employés du secteur public néerlandais, six à douze mois après l’emménagement de leur organisation dans des bureaux flexibles. On leur a demandé d’identifier les aspects positifs et négatifs de leur nouvel environnement pour ce qui est de leurs besoins sociaux, du comportement de leurs collègues et de l’aménagement de l’espace.

Les employés disent apprécier l’augmentation des interactions spontanées. Ils aiment également pouvoir choisir leur poste de travail en fonction, par exemple, de la visibilité ou de l’inspiration (à proximité de collègues intéressants), ce qui augmente les chances d’interactions sociales positives. Ils considèrent aussi que l’environnement favorise une communication plus informelle et des relations plus variées.

Mais il y a l’envers du décor. Pour échapper au bruit et à la promiscuité, notamment, de nombreux employés choisissent de travailler à distance. Sur place, l’utilisation d’écouteurs donne l’impression que les collègues sont inabordables, déplorent les personnes interrogées. Et comme il faut désormais prendre rendez-vous pour se rencontrer délibérément, les contacts sont aussi plus formalisés. Les travailleurs observent en somme une diminution de la socialisation et se sentent comme des visiteurs dans leur propre bureau. Tous ces aspects négatifs minent les relations et le sentiment d’appartenance à l’organisation, constatent les chercheurs.

Sans compter que le comportement de certains collègues laisse à désirer : revendication d’espaces de travail, mépris, exclusion, incivilité… Comme il n’est pas permis de personnaliser le poste ou de verrouiller les tiroirs d’un bureau par exemple, les employés étalent des effets personnels ou utilisent leur voix comme marqueur audible afin de délimiter leur territoire.

Enfin, les personnes sondées sont d’avis que le manque de cloisons et la forte densité spatiale et sociale augmentent le bruit et le sentiment de promiscuité. Elles déplorent les conversations non désirées dans un espace de travail ouvert et l’impression de n’avoir nulle part où aller pour faire un appel téléphonique.

À la lumière de ces constats, les concepteurs de bureaux flexibles doivent s’assurer que l’isolation acoustique est adéquate et que l’organisation spatiale offre une variété de bureaux pour les conversations personnelles, les bavardages stimulants, les événements sociaux. Il est souhaitable que les équipes puissent y développer leur propre identité. Afin d’aménager efficacement l’espace, consulter les employés peut renforcer leur sentiment d’appartenance et leur appropriation des lieux.

Ce qui satisfait les travailleurs japonais

Le Japon, comme le Québec, est aux prises avec un vieillissement accru de la population et à une rareté de main-d’œuvre. Par conséquent, si les entreprises nipponnes désirent attirer et retenir les travailleurs, elles doivent repenser leurs pratiques afin que ceux-ci éprouvent de la satisfaction au travail.

Dans ce contexte, une étude[3] a permis d’examiner les effets de la satisfaction au travail des employés japonais sur leur bien-être subjectif, souvent appelé bonheur. Les chercheurs ont notamment évalué la perception de quelque 200 travailleurs au sujet de certains aspects liés à leur fonction dans leur organisation : l’autonomie (la liberté d’organiser et de décider), la variété des tâches, l’importance de celles-ci (leur effet notable sur la vie ou le travail d’autres personnes), la nature de ces tâches (l’exécution d’un ouvrage du début à la fin, avec un résultat observable) ainsi que la rétroaction sur leur travail, laquelle permet de jauger leur performance. Cette étude révèle que la relation entre la satisfaction au travail et l’accomplissement personnel a la plus grande incidence sur le bonheur au travail, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de l’importance de l’harmonie et de l’appartenance dans la culture nipponne.

Les chercheurs émettent les recommandations suivantes afin de maximiser le lien entre les tâches professionnelles et le bien-être au travail :

  • concevoir les tâches de manière à ce que les travailleurs ressentent un sentiment d’accomplissement en les effectuant;
  • donner de l’autonomie professionnelle;
  • créer un environnement qui met l’accent sur la coopération plutôt que sur la compétition;
  • mettre les relations interpersonnelles au cœur du milieu de travail.

Activités plaisantes et amélioration du bonheur en Inde

Dans le but d’améliorer le bien-être de leurs employés, certaines entreprises les encouragent à pratiquer des activités intentionnelles : faire de l’exercice, passer du temps de qualité seul, avec sa famille ou ses amis, travailler pour atteindre un objectif personnel, etc. Pratiquées régulièrement, ces activités positives influent sur la qualité de vie et le bien-être en général.

Deux chercheurs ont examiné les effets des activités intentionnelles sur le bien-être au travail. Menée auprès de 54 jeunes employés d’une firme-conseil en informatique en Inde, leur étude[4] révèle qu’il existe une différence considérable entre la pensée et les actions des employés. Par exemple, faire de l’exercice était perçu comme une activité très importante par plusieurs employés, mais la plupart d’entre eux ne s’y adonnaient pas. De même, les employés considéraient que passer du temps en famille était très important, mais leur engagement familial n’était pas élevé.

La littérature existante indique que les activités positives répondent aux besoins des individus en matière d’unicité, d’appartenance et de réalisation de soi, ce qui contribue à améliorer leur bien-être général.

Cependant, la présente étude indique qu’elles n’ont pas d’effet significatif direct sur le bien-être au travail. Ce constat s’explique peut-être par le rythme effréné du travail et la période de confinement vécue lors de la pandémie de COVID-19, les travailleurs interrogés disant ne pas avoir le temps ou la patience de cultiver des pratiques positives qui favorise- raient leur bonheur et leur bien-être.

Les chercheurs ont toutefois conclu que le fait d’accomplir un travail qui est en accord avec son moi profond, avec ses valeurs, ses objectifs et ses convictions (l’autoconcordance) exerce une influence significative sur la satisfaction au travail et le bien-être affectif.

 

 

Article publié dans l’édition Automne 2022 de Gestion


Références

[1] Charalampous, M., Grant, C. A., et Tramontano, C., «"It needs to be the right blend": A qualitative exploration of remote e-workers' experience and well-being at work», Employee Relations, vol. 44, n° 2, septembre 2021, p. 335-355.

[2] Colenberg, S., Appel- Meulenbroek, R., Romero, N., et Keyson, D., «Conceptua- lizing social well-being in activity-based offices», Journal of Managerial Psychology, vol. 36, n° 4, juillet 2020, p. 327-343.

[3] Magnier-Watanabe, R., Benton, C. F., Uchida, T., et Orsini, P., «Designing jobs to make employees happy? Focus on job satisfaction first», Social Science Japan Journal, vol. 22, n° 1, hiver 2019, p. 85-107.

[4] Jaiswal, A., et Arun, C. J., «Impact of happiness- enhancing activities and positive practices on employee well-being», Journal of asia Business Studies, novembre 2021.