Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Pourquoi faut-il connaître les préférences de ses employés en matière de rémunération? Ces préférences varient-elles d’un pays à l’autre? Une entreprise peut-elle accroître ses résultats et sa productivité en introduisant une politique de rémunération liée à la performance? Voici ce que des chercheurs internationaux nous enseignent à propos des pratiques adoptées dans le monde entier.

Quand rémunération rime avec rétention

Une étude1 menée auprès de 199 employés d’une grande entreprise internationale active dans les secteurs de l’énergie et des produits chimiques et établie à Pretoria, en Afrique du Sud, avait pour but d’analyser les préférences des travailleurs du savoir en matière de rémunération.


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Ces travailleurs qui possèdent des connaissances spécialisées dans leur domaine peuvent aider les organisations à prendre des décisions éclairées pour résoudre des questions complexes. Faisant preuve d’une grande mobilité professionnelle, ils savent que leurs compétences sont très sollicitées et ils sont continuellement à l’affût de possibilités de développement et d’avancement au sein de leur entreprise. Ainsi, pour retenir ces travailleurs qui occupent des postes stratégiques, les gestionnaires ont tout intérêt à bien connaître leurs préférences en matière de rémunération.

L’Afrique du Sud souffre d’une pénurie de main-d’œuvre possédant ces compétences et la demande de talents y est élevée. Or, malgré le manque de travailleurs du savoir dans cette région du monde, les auteurs de l’étude soulignent que la rétention des employés ne fait pas encore partie des préoccupations des organisations. Si cette manière de fonctionner perdure, les travailleurs du savoir pourraient décider de faire le saut vers d’autres organisations, que ce soit en Afrique du Sud ou ailleurs.

Les entreprises doivent donc impérativement déterminer si les employés qu’elles convoitent changent de poste en fonction d’une compensation purement financière ou s’ils préfèrent d’autres types d’avantages, par exemple des horaires de travail flexibles, des normes accrues en matière de sécurité sur les lieux de travail, un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, de la reconnaissance professionnelle, l’adoption de pratiques de développement personnel ou diverses options de rémunération. Il s’agit d’une question cruciale lorsqu’on veut retenir les travailleurs du savoir, car le coût de leur remplacement dépasse de loin les sommes qu’il faut investir pour qu’ils restent en poste.

Cette étude a par ailleurs mis en lumière une différence significative entre les employés masculins et les employés féminins en ce qui concerne les préférences en matière d’avantages sociaux, de flexibilité et de développement personnel. Au vu de cette découverte, les employeurs doivent prendre conscience du caractère variable des préférences de leur personnel en matière de rémunération, ce dont ils doivent tenir compte pour optimiser leurs stratégies de rétention.

La rémunération incitative autour du globe

Les valeurs prônées par les employés et les normes du travail diffèrent grandement d’un pays à l’autre. Par conséquent, les pratiques optimales des organisations en matière de rémunération incitative varient selon la région géographique où elles sont établies. C’est la conclusion à laquelle sont parvenus trois chercheurs américains et un chercheur allemand au terme d’une étude2 menée dans 14 pays du monde.

Les organisations du monde entier sont aux prises avec le problème suivant : comment motiver et retenir leurs employés? Pour relever ce défi, elles peuvent avoir recours à diverses pratiques de rémunération incitative, c’est-à-dire le paiement de primes individuelles et d’équipe ou la participation aux bénéfices. En plus d’accroître la motivation, la rémunération incitative permet d’influer sur le comportement des employés afin qu’il corresponde aux objectifs de l’organisation. Lorsqu’un système de récompenses est jugé équitable, il conduit à de meilleures performances. Cependant, ce qui est considéré comme un ensemble d’incitatifs juste et approprié dans un pays peut poser problème ailleurs.

Les chercheurs concluent que dans certains pays, les employés ont des préférences très marquées. Par exemple, les entreprises de Finlande, de suède, du Danemark, de Taïwan et du Japon doivent à tout prix éviter certaines pratiques de rémunération incitative, mais elles peuvent sans problème en adopter d’autres qui remportent l’adhésion de la majorité du personnel. Par contre, la situation n’est pas aussi contrastée dans l’ensemble des 14 pays étudiés. Aux États-Unis, en Allemagne et en Autriche, par exemple, il semble y avoir moins d’uniformité en ce qui a trait au choix des divers types d’incitatifs, tandis que l’adoption de pratiques en matière de rémunération y serait beaucoup plus souple.

Ces conclusions montrent que dans les pays où il existe des préférences évidentes pour certaines pratiques, les entreprises – y compris les filiales de multinationales – doivent faire preuve de prudence si elles souhaitent innover en matière de rémunération incitative. En effet, puisqu’il y a de fortes pressions en faveur de pratiques bien précises dans ce domaine, les entreprises qui n’adoptent pas les pratiques les plus courantes risquent d’être considérées comme illégitimes. Au sein d’une même organisation, des phénomènes comme la résistance de la main-d’œuvre peuvent occasionner des coûts susceptibles d’annuler les avantages attendus de la rémunération incitative.

Rémunération et performance : le cas de la Finlande

Tous les programmes de rémunération liée à la performance ne s’équivalent pas. Ces programmes varient en fonction de divers attributs, qu’ils soient par exemple collectifs ou individuels. Les chercheurs Takao Kato, de l’université Colgate, aux États-Unis, et Antti Kauhanen, de l’institut de recherche sur l’économie finlandaise de Helsinki, ont fait le point sur ce sujet dans un article3 publié en 2018.

Il existe deux types de rémunération liée à la performance. D’une part, la rémunération incitative de groupe – qui peut comprendre la participation aux bénéfices et les options d’achat d’actions – associe la paie de l’employé à la performance collective de son équipe ou de son organisation. D’autre part, la rémunération incitative individuelle récompense directement l’employé selon sa performance. Les recherches antérieures montraient déjà que l’introduction d’un système de rémunération liée à la performance entraînait une augmentation de la productivité de l’entreprise, mais ces études ne distinguaient pas la rémunération incitative de groupe de la rémunération incitative individuelle.

Dans leur recherche, Takao Kato et Antti Kauhanen ont voulu corriger le tir. Ils ont donc utilisé des données provenant de nombreuses entreprises finlandaises afin de savoir si certains attributs de la rémunération liée à la performance peuvent modifier l’effet de celle-ci sur la productivité. Les auteurs en sont venus à la conclusion que la rémunération de groupe liée à la performance est plus efficace que la rémunération individuelle pour stimuler la productivité des entreprises. Ainsi, dans le contexte finlandais, la collaboration et le travail d’équipe peuvent jouer un rôle crucial dans l’amélioration de la productivité de nombreuses entreprises.


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De plus, cette étude montre que lorsqu’on utilise la rentabilité d’une entreprise pour mesurer la performance d’un groupe, la productivité des employés augmente de façon plus significative. Le partage des bénéfices devient alors une option de rémunération incitative particulièrement intéressante pour les entreprises.


Notes

1 Bussin, M. H. R., et Brigman, N., « Evaluation of remuneration preferences of knowledge workers », SA Journal of Human Resource Management, vol. 17, n° 1, 2019, p. 1-10.

2 Prince, N., Prince, J., Skousen, B., et Kabst, R., « Incentive pay configu- rations: bundle options and country-level adoption », Evidence-Based HRM, vol. 4, n° 1, avril 2016, p. 49-66.

3 Kato, T., et Kauhanen, A., « Performance pay and enterprise productivity: the details matter », Journal of Participation and Employee Ownership, vol. 1, n° 1, mai 2018, p. 61-73.