Article publié dans l'édition Printemps 2021 de Gestion

Qu’elle soit perçue comme une démarche utile ou comme une corvée1, l’évaluation de rendement demeure au cœur de la gestion des ressources humaines. Cinq études menées à l’étranger se penchent sur des aspects encore peu explorés de cet exercice.

La reconnaissance des comportements citoyens

Les employés heureux sont-ils plus productifs? Oui, surtout si leurs comportements de citoyenneté organisationnelle (CCO) sont reconnus, conclut une étude menée auprès de 115 gestionnaires du système de santé de l’État de Washington2.

Les CCO sont des actions librement motivées de nature altruiste qui vont au-delà des tâches professionnelles prescrites et qui apportent une valeur ajoutée à une organisation. Autrement dit, elles correspondent au fait d’agir de façon utile pour les autres et pour son milieu de travail sans y être obligé.

Or, les dirigeants n’ont pas de processus formel pour reconnaître et pour récompenser les CCO, constate l’auteure de cette recherche. Par conséquent, les travailleurs sondés, qui jugent que ces actions individuelles ont une valeur indiscutable pour leur organisation, sont d’avis que les dirigeants ne les reconnaissent ni ne les récompensent suffisamment. Ceci a pour effet de miner leur motivation, leur satisfaction au travail, leur collaboration en équipe et leur productivité.

Ainsi, il existe un besoin de reconnaissance formelle des actions altruistes qui soutiennent la mission et les valeurs de l’organisation, de manière à construire un sentiment de confiance réciproque entre les gestionnaires et les employés.

Cependant, les gestionnaires sont mal outillés pour le faire, soutient la chercheuse dans une autre étude qui, elle, porte sur l’évaluation des CCO3. Après avoir analysé 56 formulaires d’évaluation de rendement disponibles sur internet, elle a constaté qu’un grand nombre de ces documents ne font aucune mention des termes clés qui permettent de définir les CCO (altruisme, engagement social, motivation, etc.).

Ainsi, les organisations auraient tout à gagner si elles révisaient leurs outils d’évaluation de la performance pour y inclure la mesure des CCO, affirme cette chercheuse. De même, les initiatives de type « tape dans le dos » – des lettres dans lesquelles on reconnaît le travail exemplaire, des récompenses financières, des promotions – peuvent contribuer à accroître la satisfaction des employés, à augmenter leur productivité et à les fidéliser.

L’effet néfaste de l’ambiguïté des rôles

La littérature scientifique soutient qu’un travailleur dont le rôle est flou doit combattre un stress considérable parce qu’il craint d’être incapable de s’acquitter de ses tâches, ce qui peut nuire à son rendement au travail et à son estime de soi. Afin de se protéger, cet employé peut alors être tenté d’attribuer sa sous-performance à une évaluation injuste, qu’on peut définir comme la perception selon laquelle on le tient responsable de situations problématiques qu’il ne contrôle pas entièrement. Autrement dit, le fait de croire que son organisation se livre à des pratiques déloyales envers lui peut aider ce travailleur à éviter l’autodépréciation.

Dans le cadre d’un projet plus vaste qui avait pour objectif de comprendre les défis auxquels doivent faire face les travailleuses dans des pays musulmans, une recherche4 a été menée auprès de 153 femmes travaillant pour six organisations pakistanaises actives dans divers secteurs d’activité. Les chercheurs ont ainsi constaté que les employées qui ont le plus d’ancienneté peuvent être mieux outillées pour lutter contre le stress suscité par des descriptions de rôle ambiguës, et ce, dans la mesure où leur connaissance de l’organisation renforce leur capacité à résoudre des problèmes.

De plus, la probabilité que des employées portent plainte en raison d’évaluations injustes s’est révélée plus faible parmi celles qui adhèrent à l’éthique islamique du travail, qui encourage notamment le partage d’information entre pairs. Par conséquent, ces travailleuses sont plus aptes à satisfaire aux exigences de leur poste en matière de performance; par ailleurs, dans la mesure où cette éthique du travail leur procure un certain plaisir dans la réalisation de leurs tâches, elles sont moins susceptibles de reprocher à leur organisation d’avoir recours à des pratiques déloyales.

Enfin, cette étude invite les professionnels des ressources humaines à être proactifs et à produire des descriptions de tâches claires et précises, car certains employés hésitent encore à discuter de l’ambiguïté de leurs fonctions afin d’éviter d’être perçus comme des personnes faibles ou incompétentes. Les gestionnaires doivent garder à l’esprit que les personnes récemment embauchées peuvent être particulièrement sensibles au stress découlant d’un rôle imprécis.

Gare au cynisme des gestionnaires!

De nombreuses organisations cessent d’évaluer le rendement de leurs employés, jugeant cette pratique inutile, voire contre-productive5. Trois chercheuses ont voulu savoir pourquoi en étudiant plus précisément le cynisme des gestionnaires envers ce processus6, le cynisme étant défini comme une attitude négative issue de la désillusion et de la frustration par rapport aux processus organisationnels.

Pour mener à bien cette recherche, 161 directeurs d’écoles publiques en Australie ont été sondés en deux temps : une première fois avant l’évaluation de rendement annuelle des enseignants et une seconde fois six mois plus tard. Par la suite, le leadership de ces gestionnaires a été évalué par leurs supérieurs respectifs.

Les chercheuses ont constaté que les gestionnaires sont plus à risque d’être cyniques en ce qui a trait aux évaluations de rendement lorsque leur organisation leur fournit peu de ressources pour les réaliser. Ainsi, plus un gestionnaire est soutenu par ses collègues, moins il est cynique par rapport au processus d’évaluation. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des gestionnaires qui doivent évaluer un grand nombre de subordonnés : ils ont davantage d’évaluations à faire et plus d’exigences à satisfaire.

De plus, les gestionnaires qui se montrent cyniques quant au processus d’évaluation du personnel sont plus susceptibles d’envisager de quitter leur organisation. Ils sont aussi jugés comme des leaders moins efficaces par leurs supérieurs.

Ces constats laissent penser que les responsables des ressources humaines (Rh) doivent fournir aux gestionnaires les ressources nécessaires pour accomplir les évaluations de rendement, un exercice difficile et chargé d’émotions pour eux.

Afin que les gestionnaires reconnaissent l’utilité de ce processus, les organisations peuvent encourager le partage d’expérience au sein de leurs troupes. Par exemple, des gestionnaires aguerris pourraient inviter des gestionnaires novices à participer à certaines des réunions qu’ils conduisent à des fins d’évaluation de rendement. De plus, à la fin du cycle des évaluations, les Rh pourraient organiser une réunion de gestion afin de favoriser le partage de conseils sur les façons de les mener à bien.

Évaluer aussi le comportement

La performance individuelle au travail (PIT) est généralement analysée sur la base des résultats du travail des employés plutôt qu’en fonction de l’analyse de leur comportement. Or, la littérature scientifique indique qu’un employé qui se comporte adéquatement – c’est-à-dire qui possède le savoir-faire nécessaire pour accomplir ses tâches, qui agit conformément aux normes et objectifs de l’organisation et qui évite les comportements contre-productifs – sera plus susceptible d’obtenir une PIT satisfaisante.

Un chercheur a donc analysé la PIT de 433 employés de banques et de compagnies d’assurance en inde en se fondant sur leur comportement au travail. Sa recherche7 avait pour objectif principal de déterminer si la performance relative au comportement d’employés indiens doit être évaluée différemment de celle de travailleurs occidentaux en raison de certaines différences culturelles. Concluant que c’est bel et bien le cas, il a adapté en conséquence un questionnaire d’évaluation couramment utilisé8 par les entreprises, qui sert à mesurer les trois dimensions de la PIT basée sur le comportement : la performance en ce qui a trait à l’exécution des tâches, les performances contextuelles et les agissements contre-productifs.

Par exemple, il a pris en compte le fait que les travailleurs occidentaux considèrent l’obtention d’un rendement élevé au travail comme une réussite personnelle, alors que les travailleurs non occidentaux sont plutôt motivés à fournir un meilleur rendement s’ils ont de bonnes relations avec leurs collègues et si on les récompense pour leur travail. Par conséquent, si les travailleurs non occidentaux n’évoluent pas dans un environnement organisationnel, social et psychologique favorable, ils adoptent souvent des comportements contre-productifs au travail, ce qui, à terme, nuit à leur PTI et à la performance globale de leur organisation.

Cette recherche nous apprend aussi que les employés de banques et de compagnies d’assurance privées en inde sont plus engagés dans l’obtention d’un rendement élevé que leurs pairs du secteur public. Ils se sentent plus compétents, connaissent mieux l’art de la planification, sont plus enclins à assumer des responsabilités supplémentaires et affichent moins de comportements contre-productifs potentiellement nuisibles à leur organisation.


Notes

1 Selon un sondage mené en 2015 par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, l’évaluation de rendement est perçue comme étant utile par 48,3 % des gestionnaires et par 66,4 % des travailleurs. En revanche, elle est perçue comme une corvée par 51,7 % des gestionnaires et par 33,6 % des travailleurs.

2 Conzelmann, J. D., « Leaders recognizing and rewarding organizational citizenship behaviours during formal employee performance evaluations », e-Journal of social & Behavioural Research in Business, vol. 11, n° 1, juin 2020, p. 21-38.

3 Conzelmann, J. D., « Document review: Journal articles, performance evaluations, and organi- zational citizenship terminology », Business ethics and Leadership, vol. 4, n° 2, juin 2020, p. 75-85.

4 De Clercq, D., Haq, I. U., et Azeem, M. U., « Role ambiguity and perceptions of unfair performance appraisals: mitigating roles of personal resources », asia Pacific Journal of human Resources, vol. 57, n° 2, avril 2019, p. 150-173.

5 Cappelli, P., et Tavis, A., « The performance management revolution », harvard Business Review, vol. 94, n° 10, octobre 2016, p. 58-67.

6 Brown, M., Kraimer, M. L., et Bratton, V. K., « Performance appraisal cynicism among managers: A job demands resources perspective », Journal of Business and Psychology, vol. 35, n° 3, août 2020, p. 455-468.

7 Habeeb, S., « Assessment of behavior-based performance in banking and insurance sector », international Journal of Productivity and Performance management, vol. 69, n° 7, février 2020, p. 1345-1371.

8 Koopmans, L., Bernaards, C. M., Hildebrandt, V. H., de Vet, H. C ., et van der Beek, A. J., « Construct validity of the individual work performance questionnaire », Journal of occupational and environmental medicine, vol. 56, n° 3, mars 2014, p. 331-337.