Article publié dans l'édition Printemps 2020 de Gestion

Alors que la conciliation des vies professionnelle et personnelle tend à s’imposer comme une priorité au Canada, quelles formes ce phénomène prend-il ailleurs dans le monde ? Comment y soutient-on les travailleurs? Autres lieux, autres stratégies. Quatre études internationales présentent des réalités contrastées et des solutions inspirantes.

Soutien formel ou informel ?

Lorsque des employés cherchent à atteindre un meilleur équilibre travail-famille, leur culture nationale influence-t-elle leurs attentes envers l’organisation dont ils font partie ? Pour le savoir, des chercheurs ont comparé la portée de certaines stratégies organisationnelles chez 451 gestionnaires, les uns vivant aux États-Unis, où la culture est de type individualiste, et les autres vivant dans des pays comme la Chine ou l’Inde, où les cultures sont plus collectivistes.


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Leur étude comparative1 distingue deux types de stratégies organisationnelles : les programmes formels et le soutien informel. Au regard de cette distinction, l’étude révèle que le type informel de soutien a des effets positifs dans les trois pays concernés, indépendamment de la culture nationale. Il ressort aussi de cette analyse que l’efficacité du soutien offert varie selon les cultures en matière de satisfaction et de performance au travail.

Ainsi, il existerait une forte corrélation entre les types formels de soutien et les cultures plus individualistes. Les travailleurs issus de cultures collectivistes préféreraient quant à eux le soutien informel en matière de conciliation  travail-famille.

Puisque les programmes formels ont plus de portée dans les cultures individualistes, les chercheurs suggèrent aux gestionnaires concernés de créer des structures comme des services de garde en milieu de travail et d’instituer des pratiques comme des horaires flexibles et du télétravail.

Ils recommandent aussi d’éviter d’investir dans des mesures coûteuses de soutien structurel qui ne donneront pas les résultats souhaités auprès des employés issus de cultures collectivistes. Autre conseil : tenir compte des perceptions permet de déterminer quels systèmes de récompense sont les mieux adaptés à une culture donnée.

Ainsi, offrir de passer plus de temps avec sa famille pourrait constituer, dans certains pays caractérisés par une culture collectiviste, un incitatif plus efficace que des avantages strictement financiers.

Le rôle du soutien familial

L’entrepreneuriat féminin est devenu un moteur économique dans le monde entier. Alors que la plupart des études s’attardent à la perception qu’ont les femmes de leur entreprise et à leurs choix entrepreneuriaux, que sait-on de l’effet réel du contexte familial sur la performance de leurs entreprises ?

Pour enrichir la réflexion, des chercheures2 se sont tournées vers 307 entrepreneures italiennes afin d’étudier l’influence exercée par les trois facteurs suivants : les motivations à créer une entreprise, le soutien de la famille une fois l’entreprise établie et les mécanismes favorables à l’équilibre travail-famille.

Résultat : la plupart des femmes interrogées ont affirmé avoir de la difficulté à concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, bien qu’elles apprécient la flexibilité des horaires de travail. Fait étonnant, les résultats de l’étude montrent qu’une aide substantielle de la part du partenaire affecte négativement la performance des entreprises, alors que les effets de l’aide apportée par des travailleurs domestiques et par les services publics ou privés sont positifs.

Principal motif : les partenaires de vie limiteraient leur soutien à certaines activités bien précises (jouer avec les enfants, par exemple), négligeant ainsi les tâches quotidiennes à la maison. Inversement, le fait de recevoir un soutien important de la part de travailleurs domestiques, des services publics ou d’agences privées inciterait davantage les femmes à agir plus efficacement.

Au vu des résultats de leur étude, les chercheures recommandent donc que les femmes bénéficient d’un système intégré et structuré de mesures comme des services de garde, des soins aux personnes âgées et des congés parentaux payés.

Les stéréotypes de la masculinité se lézardent en Espagne

Longtemps considérée comme une préoccupation essentiellement féminine (ou maternelle), la conciliation travail-famille concerne maintenant les deux parents. Néanmoins, dans des pays plus traditionnels où persistent les stéréotypes en matière de rôles familiaux masculins et féminins, les entreprises résistent à l’adoption de modes d’organisation du travail plus flexibles et plus inclusifs.

C’est ce qu’on remarque notamment en Espagne. À partir de 29 entretiens réalisés dans diverses organisations de secteurs d’activité variés, des chercheurs3 ont défini les principales approches comportementales des pères espagnols, qu’ils ont classées dans trois catégories distinctes.

Désireux de s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants – et favorables à l’égalité au sein de leur couple –, les hommes de la première catégorie revendiquent plus d’équilibre travail-famille. Quoique minoritaires, ils n’hésitent pas à remettre ouvertement en question le modèle de la masculinité hégémonique, au risque de paraître déviants par rapport à la norme du « salarié idéal » et d’être ainsi marginalisés dans leur entreprise.

Autre constat : les entreprises indifférentes à ces attentes liées à la conciliation travail-famille susciteraient – bien malgré elles –, chez certains pères, des comportements que les chercheurs qualifient de « stratégies invisibles ».

Cette deuxième catégorie de pères espagnols tente de surmonter les obstacles organisationnels au moyen de petits arrangements, souvent cachés, qui leur permettent de modifier eux-mêmes la façon dont leur travail est aménagé et planifié tout en se conformant scrupuleusement aux règles en vigueur dans leur entreprise.

Par crainte de sanctions, ces employés préfèrent s’accommoder d’un certain décalage entre leurs valeurs et celles de leur organisation plutôt que de défier directement leurs supérieurs hiérarchiques. Des exemples de « stratégies invisibles » : se constituer une clientèle plus locale afin de réduire la durée des déplacements sur la route, s’appuyer sur la solidarité des collègues, demander plus de flexibilité sous prétexte d’optimiser les coûts, etc.

Quant aux salariés de la troisième catégorie, ils n’envisagent aucune stratégie de contournement et se conforment à cet « ordre sexué », tant à la maison qu’au travail.

Le bien-être familial en Afrique du Sud

Comme c’est le cas dans de nombreux pays, la population sud-africaine se transforme au gré de la diversité croissante des modèles familiaux, de l’évolution du partage des responsabilités parentales, des mélanges culturels et des disparités socioéconomiques.

Malgré une accessibilité de plus en plus élargie aux services gouvernementaux dans un pays marqué par les conséquences toujours visibles du régime de l’apartheid, la pauvreté, le chômage et les inégalités sociales continuent d’affecter durement de nombreuses familles.

C’est ainsi qu’un nombre toujours plus élevé de femmes sud-africaines entrent sur le marché du travail pour avoir accès à de meilleures conditions de vie. Dans ce contexte, une récente étude4 réalisée auprès de treize assistantes sociales âgées de 23 à 46 ans nous apprend que les stratégies de conciliation de ces femmes sont influencées par leur perception culturelle du « bien-être familial », lequel englobe « un environnement sain et stimulant, la santé, une situation économique favorable, un sentiment de sécurité, la possibilité d’avoir une vie spirituelle ainsi qu’une structure familiale performante ».


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L’analyse effectuée par les chercheures montre que le bien-être familial ne repose pas simplement sur le bonheur de chaque membre de la famille : il est plutôt défini collectivement et subjectivement par les individus en fonction de l’harmonisation et de l’agencement de leurs besoins avec ceux du groupe.

Les récits de ces femmes font ressortir sept stratégies principales qui favorisent la conciliation travail-famille :

  1. établir des limites claires entre les rôles professionnels et familiaux;
  2. gérer son temps et ses priorités ;
  3. communiquer ouvertement pour «se tenir mutuellement au courant » ;
  4. renforcer les structures d’aide, notamment le partage du temps passé avec ses proches et l’accès à du soutien professionnel ;
  5. prendre du temps pour soi et pour son propre bien-être ;
  6. créer des environnements de travail sains ;
  7. évaluer sa situation personnelle et familiale en accueillant les commentaires d’autrui et en notant ses propres réactions. Pour les chercheures, ces résultats sont révélateurs non seulement de l’interaction et de l’interdépendance des stratégies individuelles, familiales et professionnelles mais aussi de la nécessité d’un équilibre entre ces trois facettes de l’existence pour favoriser la cohésion d’ensemble.

Notes

1 Stock, R. M., Strecker, M. M., et Bieling, G. I., « Organizational work- family support as universal remedy? A cross-cultural comparison of China, India and the USA », The international Journal of human Resource management, vol. 27, n° 11, 2016, p. 1192-1216.

2 Mari, M., Poggesi, S., et De Vita, L., « Family embeddedness and business performance: evidences from women-owned firms », management   Decision, vol. 54, n° 2, mars 2016, p. 476-500.

3 Tanquerel, S., et Grau- Grau, M., « Unmasking work-family balance barriers and strategies among working fathers in the workplace » (article en ligne), organization – The critical Journal of organization, Theory and society, 2 mai 2019.

4 Bisschoff, M., Koen, V., et Ryke, E. H., « Strategies for work-family balance in a South African context », community, Work & Family, vol. 22, n° 3, mai 2019, p. 319-337.