Dans le monde du travail contemporain, le changement est constant et s’impose à un point tel que les équipes, lasses de devoir s’adapter, peuvent finir par y résister. Voici quelques clés pour aider les gestionnaires à contrer ce phénomène et à favoriser l’adhésion.

Nouvelles technologies, révision des objectifs, évolution de l’environnement d’affaires... La preuve n’est plus à faire : les entreprises font constamment face à des changements. Pour garder le cap malgré les turbulences, elles doivent s’y adapter le mieux et le plus rapidement possible.

Sur le terrain, la nécessité de s’ajuster constamment génère néanmoins un niveau de stress et de surcharge important. Résultat : les équipes éprouvent un véritable sentiment de saturation et peuvent même opposer de la résistance aux demandes répétées d’adaptation.

Dans ces conditions, comment les gestionnaires peuvent-ils renverser la tendance et mieux préparer leur équipe à affronter les changements? Une étude réalisée auprès de 70 équipes œuvrant dans une organisation publique fournit des réponses et des pistes de réflexion1.

Indispensable réflexivité

Pour être davantage réactives, les entreprises adoptent de plus en plus souvent des structures fondées sur le travail d’équipe. Contrairement aux unités organisationnelles de grande taille, comme les départements ou les divisions, les équipes offrent plus de flexibilité et sont donc mieux placées pour réagir sans tarder à des situations complexes, pourvu que les conditions nécessaires soient réunies. Cette réactivité est possible notamment parce que les équipes peuvent rapidement mobiliser des connaissances et des expériences variées et spécialisées, ce qui leur permet de s’adapter aux changements.

Pour ce faire, elles peuvent prendre le temps de discuter et de réfléchir à leurs objectifs, à leurs méthodes de travail et à leur environnement en mutation. C’est ce qu’on appelle la réflexivité. Ce processus est extrêmement précieux, car il permet de développer une vision commune des différents projets de changement au sein de l’organisation grâce à une prise de recul sur l’équipe, sa tâche et son contexte. Ce faisant, l’équipe renforce son engagement, tout en donnant davantage de sens à un environnement où l’ambiguïté règne en maître.

Il faut savoir que la composition d’une équipe exerce une influence majeure sur l’efficacité de son processus réflexif et, par ricochet, sur ses capacités d’adaptation. À ce chapitre, quatre configurations distinctes peuvent être envisagées :

1 - Une équipe principalement constituée de membres très expérimentés et habitués à travailler ensemble
Cette équipe bénéficie certes de l’expertise approfondie des personnes qui la composent et qui pourront communiquer leur savoir lors du processus réflexif, mais risque de se retrouver piégée dans une routine difficile à briser.

2 - Une équipe dominée par de nouvelles recrues
Cette équipe présente l’avantage de pouvoir remettre en question les schémas de pensée établis et ses membres sont davantage ouverts aux changements. Toutefois, le manque d’expérience et de connaissances du terrain pourrait les ralentir dans le développement d’une vision de changement.

3 - Une équipe peu expérimentée (dont les membres sont peu habitués à travailler ensemble), avec des personnes ayant divers niveaux d’ancienneté
On qualifie souvent ce type d’équipe d’«instable». L’engagement de ses membres dans des processus réflexifs est malheureusement entravé par un manque de continuité. Cela diminue l’efficacité des efforts consentis et limite le développement des apprentissages essentiels à l’élaboration d’une vision claire du changement.

4 - Une équipe ancienne avec des recrues
Ce pourrait être la formule idéale, car ce type d’équipe s’appuie sur des savoirs acquis sur le long terme, mais accorde également une bonne place aux nouvelles idées. Les résultats de l’étude que nous avons menée nous mettent toutefois en garde : sans processus de réflexivité, cette même équipe ne parviendra que difficilement à développer une vision de changement. Cela peut être dû à de potentiels conflits de perspectives entre les membres qui possèdent divers niveaux d’ancienneté.

L’équipe au coeur du processus

Plusieurs enseignements pratiques émergent de nos recherches. Tout d’abord, bien que la préparation individuelle soit un facteur clé, la réussite du changement dépend également de la dynamique du groupe2. Rassembler des individus ouverts au changement ne garantit pas nécessairement que l’ensemble du groupe soit prêt. Il est donc important que les gestionnaires développent une volonté collective de changement, en faisant émerger des croyances et des sentiments positifs par le biais d’interventions ciblées. De plus, au lieu de considérer l’équipe comme une source potentielle de complications, les gestionnaires auraient plutôt intérêt à l’utiliser comme levier pour favoriser la réflexivité, car celle-ci favorise grandement l’adaptation au changement.

Pour cela, les gestionnaires peuvent agir sur la composition de leur équipe et la modifier au besoin, afin de créer un juste équilibre entre expérience et sang neuf. Les équipes ainsi diversifiées permettent de rassembler toute une gamme d’expériences, de compétences et de perspectives qui pourront être utilisées collectivement afin d’embrasser le changement. Cette approche permettra d’exploiter à la fois les perspectives des nouveaux venus et la sagesse des employés de longue date, ce qui se traduira par une synergie positive. Agir sur la structure de l’équipe et comprendre sa dynamique interne est donc un puissant outil à la disposition des gestionnaires.

Toutefois, il ne suffit pas de réunir ces employés! Des conflits peuvent surgir entre des membres qui cumulent divers niveaux d’ancienneté. C’est en intégrant des activités réflexives qu’on pourra recentrer les membres de l’équipe sur des objectifs communs et transformer les divergences potentielles en atouts constructifs pour le groupe.

Comment y parvenir? Les gestionnaires peuvent, par exemple, organiser des rencontres selon les besoins de leur équipe, afin de réfléchir en groupe à ce que le changement signifie, aux activités qui seront touchées par celui-ci et à la manière de s’y prendre pour les réorganiser.

Bref, les membres de l’équipe travaillent ensemble à «décortiquer l’ambiguïté» et à adopter une posture active.

Au cours du processus, les gestionnaires veilleront à guider la discussion, sans nécessairement monopoliser la parole, l’objectif étant de permettre aux membres du groupe de discuter librement des problèmes soulevés.

Autre activité susceptible d’alimenter la réflexivité : l’organisation d’ateliers visant à cerner les synergies possibles entre les différentes sources de changement et la stratégie organisationnelle3. Par la suite, d’autres ateliers aideront à déterminer la façon dont ces changements influent sur les tâches et les objectifs de l’équipe. Ces différentes activités sont très efficaces : intrinsèquement reliées à la réflexivité, elles exigent que l’on adopte une approche systématique sur des questions complexes, tout en s’appuyant sur des processus fondés sur la discussion. Autrement dit, elles vont bien au-delà du simple transfert d’informations au sujet des changements.

Un autre outil qui a fait ses preuves en présence de situations complexes est la tenue régulière de séances de debriefing qui permettront aux membres de l’équipe de discuter ouvertement de leurs expériences, de leurs défis et de leurs idées. Dans ce contexte, les gestionnaires s’efforceront d’offrir un espace de réflexion et de dialogue sûr, un climat de sécurité psychologique étant indispensable à l’émergence de pratiques réflexives. En valorisant l’apport de chaque membre et le dialogue, on facilitera du même coup une communication ouverte qui renforcera l’efficacité des processus réflexifs au sein des équipes. Les gestionnaires devront donc porter une attention particulière au climat de travail, afin de témoigner de leur ouverture vis-à-vis des perspectives de chacun. C’est aussi la condition sine qua non pour que les équipes acceptent de changer4.

Grâce à ces différentes stratégies, les équipes pourront collectivement aborder la question du changement, cibler les obstacles potentiels et développer des stratégies adaptatives. Au bout du compte, elles seront mieux préparées pour évoluer dans un paysage organisationnel en constante évolution.

Dans la bibliothèque du gestionnaire

Pour en apprendre davantage sur l’adaptabilité des équipes et les processus de collaboration, notamment dans le cadre de projets intersectoriels, consultez cet ouvrage publié il y a quelques années, mais qui s’avère toujours incontournable.

Extreme teaming

Edmondson, A. C., et Harvey, J.-F., Extreme Teaming: Lessons in Complex, Cross-Sector Leadership, Leeds (Angleterre), Emerald Publishing Limited, 2017, 224 pages.

Article publié dans l’édition Automne 2024 de Gestion


Notes

1 - Groulx, P., Johnson, K., et Harvey, J.-F., «Team readiness to change: Reflexivity, tenure, and vision in play» (article en ligne), The Journal of Applied Behavioral Science, 2023.
2 - Harvey, J.-F., et Kudesia, R. S., «Experimentation in the face of ambiguity: How mindful leaders develop emotional capabilities for change in teams», Journal of Organizational Behavior, vol. 44, n° 3, mai 2023, p. 573-589.
3 - Autissier, D., Moutot, J. M., Johnson, K., et Metais-Wiersch, E., La boîte à outils de la conduite du changement et de la transformation, 2e éd., Malakoff (France), Dunod, 2022, 188 pages.
4 - Groulx, P., Maisonneuve, F., Harvey, J.-F., et Johnson, K., «The ripple effect of strain in times of change: How manager emotional exhaustion affects team psychological safety and readiness to change», Frontiers in Psychology, vol. 15, mars 2024, p. 1-10.