Dans un domaine d'affaires, l'alimentation au détail, où les marges de profits sont plutôt minces et où les parts de marché s'arrachent à coup de dixièmes de points de pourcentage, doit-on réellement s'étonner de voir les grands joueurs mettre le pied dans le virtuel et tenter de rejoindre leurs fidèles clients, de même que les consommateurs potentiels, dans le confort et la chaleur de leur foyer ?

Il faut dire qu'au départ, les expériences de « magasinage virtuel » menées depuis deux décennies dans le domaine de l'épicerie n'ont certes pas donné les fruits escomptés, les obstacles étant nombreux: choix des produits frais par le détaillant, livraison rapide des surgelés, frais de transport, pour ne nommer que ceux-ci. Mais, comme l'expose le professeur Sylvain Charlebois (Université de Guelph) dans l'article qu'il signe dans La Presse + (lire « Le virtuel alimentaire »), les choses sont en voie de changer, et très rapidement. Pourquoi? Les considérations stratégiques évoquées en début y sont évidemment pour quelque chose, alors que les modèles d'affaires actuels des entreprises oeuvrant dans ce domaine d'affaires ne laissent pas entrevoir des perspectives de croissance faramineuses. Mais il faut surtout considérer, pour expliquer ce nouvel engouement des grands de l'alimentation pour le virtuel, l'évolution de la technologie et les tendances socio-démographiques lourdes que sont l'accélération du rythme de vie et le vieillissement de la population.


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Bref, il y a là une fenêtre d'opportunité bien réelle, fenêtre qui pourrait se refermer assez rapidement, une fois que les grands se seront positionnés. Déjà, nos voisins américains ont la possibilité de commander de la nourriture chez Amazon, par l'entremise du service AmazonFresh, qui offre des milliers de produits, périssables ou non, livrés au pas de la porte gratuitement (avec une facture supérieure à 35 $) le jour même. Le service, mis en place à Seattle depuis 2007, a par la suite gagné toute la côte du Pacifique jusqu'à San Diego, au sud de la Californie. AmazonFresh dessert maintenant certains secteurs de New York et de Philadelphie, et ce n'est qu'une question de temps avant que la division du géant américain ne débarque éventuellement chez nous. Une chose est sûre, Amazon n'a pas froid aux yeux et n'hésite pas à transgresser son périmètre d'activité traditionnel (lire à ce sujet l'article « Les GAFAnomics, vous connaissez? », sur notre site Internet), à savoir la vente de livres en ligne, et à mettre à profit ses immenses capacités logistiques et son savoir-faire dans d'autres domaines d'affaires. Et comble d'audace, l'entreprise de Seattle planche sérieusement sur la possibilité d'effectuer la livraison de ses produits par drone! D'ici à ce que l'on voit le contenu de nos courses voler au-dessus de nos têtes, ce qui pourrait survenir bien assez vite, d'autres entreprises commencent à placer leurs pions dans l'alimentation virtuelle:

  • Le site Internet GroceryGateway.com, propriété de l'ontarienne Longo's, offre actuellement ses quelque 9 500 produits alimentaires à 40 000 clients dans la grande région de Toronto;
  • Loblaw a testé avec succès son service « Click & Connect » dans une cinquantaine de ses établissements, encore ici à Toronto. Vous commandez sur Internet et vous passez prendre possession de vos courses au Loblaw que vous avez identifié;
  • IGA, propriété de Sobeys, offre 30 000 produits alimentaires par l'intermédiaire de son service Épicerie en ligne. Le concept est le même que celui mis de l'avant par Loblaw, avec la possibilité supplémentaire de faire livrer vos courses à domicile;
  • Mais le grand coup dans l'alimentaire virtuel sera sans doute porté par Wal-Mart qui, tel que rapporté par le Globe and Mail (lire « Wal-Mart adding fresh food to e-commerce offerings »), s'apprête à implanter dans les semaines à venir au Canada son propre concept, déjà opérationnel aux États-Unis.

Il s'agit donc d'une tendance qui devrait connaître, et ce assez rapidement, une croissance assez remarquable, à en juger par les investissements des grands de l'alimentation et du commerce de détail dans l'alimentation virtuelle. De fait, les achats en ligne n'ont représenté que moins de 1 % de la facture totale de 120 milliards de dollars en biens alimentaires achetés au pays. Mais l'on prévoit que ce pourcentage grimpera à 3 % d'ici 2018. Les hostilités sont ouvertes dans l'alimentation virtuelle!