Dans les grandes métropoles, les citoyens sont depuis longtemps exposés à différentes cultures et langues. Au quotidien, ils y côtoient des gens de plusieurs origines. Ce contexte multiculturel change également le visage du monde du travail. Les candidats ayant des accents étrangers arrivent-ils à se frayer un chemin vers les emplois au même titre que les personnes francophones ou anglophones? Comment sont-ils perçus par les professionnels prenant les décisions d’embauche? État de la situation.

En milieu du travail, les employés doivent savoir bien communiquer. Cette compétence de base est souvent prise en compte lors de l’embauche. Avec la hausse du nombre de professionnels venant de pays étrangers susceptibles de soumettre leur candidature à un poste, il est opportun de se demander à quel point le langage ou l'accent d'un candidat jouent un rôle dans les décisions des experts en ressources humaines (RH).

Pour le savoir, nous avons mené une recherche en effectuant des entretiens avec seize professionnels des RH de diverses origines, dont plusieurs travaillent à Montréal dans les secteurs de l’informatique, de l’aviation, des banques ou de la technologie numérique.

Une ouverture d’esprit

Sans grande surprise, les professionnels des RH interrogés ont mentionné l’importance de prendre des décisions en évaluant les connaissances que possède un candidat plutôt qu’en se basant sur ses traits personnels ou ethniques, incluant son accent. Les spécialistes des RH qui travaillent dans un environnement multiculturel font davantage preuve d’une attitude d’ouverture envers les travailleurs immigrants qui parlent français ou anglais en plus de leur langue maternelle. Quelques recruteurs affirment même éprouver un grand respect pour les candidats qui doivent travailler davantage pour préparer une entrevue dans une langue qu’ils n’utilisent pas couramment.

Les évaluations pour les postes en service à la clientèle

Bien que l’accent ne soit généralement pas un facteur déterminant dans l’embauche d’un candidat, il demeure tout de même important pour certains postes qui nécessitent un contact étroit avec les clients. Dans ces cas précis, la prononciation de la personne, les mots qu’elle utilise et la façon dont elle structure ses phrases peuvent avoir une importance accrue. Attention toutefois : la recherche scientifique effectuée dans ce domaine établit que le fait d’avoir un accent étranger ne signifie pas nécessairement la présence d’une difficulté à communiquer de manière intelligible ou professionnelle. L’accent ne devrait donc pas être un critère de sélection; les recruteurs devraient plutôt évaluer l’intelligibilité du candidat.

Des standards d’évaluation plus uniformes

L’un des défis les plus importants auxquels font face les spécialistes des RH est le manque de structure et de normes au sein des entreprises lors des évaluations linguistiques des candidats. Peu d’organisations utilisent un service d’évaluation linguistique professionnelle pour déterminer les compétences en anglais ou en français des candidats. Il revient alors aux spécialistes des RH d’assumer eux-mêmes ce rôle lors de certaines étapes de l’embauche, en ayant recours à des critères très variables. À défaut de normes bien établies, les spécialistes des RH fondent leur évaluation sur des opinions subjectives, sur ce qu’ils déterminent comme étant une capacité linguistique suffisante ou fonctionnelle par exemple. Or, des procédures d’évaluation peu claires et non uniformes peuvent facilement ouvrir la voie à des biais, tels que des jugements concernant les accents étrangers des candidats.

Que faire?

Malgré l’ouverture d’esprit au multiculturalisme qui semble de plus en plus existante dans les grandes métropoles comme Montréal, certains défis se posent toujours par rapport aux préjugés qu’on peut avoir lors du recrutement en ce qui a trait aux compétences linguistiques des candidats. Les spécialistes des RH devraient donc toujours garder en tête le risque qu’il y a de juger défavorablement des travailleurs avec un accent non standard. Pour lutter contre ces préjugés et tous les biais qui peuvent perturber le recrutement, de la formation devrait être offerte, afin de sensibiliser notamment les recruteurs à la diversité linguistique et aux accents étrangers. Ainsi, les professionnels des RH seraient mieux informés sur les réels dangers d’un recrutement biaisé. Les processus d’évaluation linguistique gagneraient aussi à être plus uniformes, de façon à mieux représenter les valeurs multiculturelles du monde du travail actuel.

Quelques lectures complémentaires pour aller plus loin :

Bourhis, R. Y., Montreuil, A., Helly, D., et Jantzen, L., «Discrimination et linguicisme au Québec : enquête sur la diversité ethnique au Canada», Canadian Ethnic Studies, vol. 39, n° 1-2, 2007, p. 31-49.

Spence, J. L., Hornsey, M. J., Stephensen, E. M., et Imuta, K., «Is your accent right for the job?», Personality and Social Psychology Bulletin, 2022, publication anticipée en ligne.

Lippi-Green, R., «Le mythe du non-accent», traduit de l'anglais par Gaëlle Planchenault, 2012.