Que nous en soyons conscients ou non, notre cerveau est constamment à l’affût des menaces, car nous sommes génétiquement faits pour être anxieux. Or, si nous suscitons l’inquiétude autour de nous, nous privons les autres de leurs capacités de réflexion et de résolution de problème.

Si fuir ou nous battre est une façon instinctive de réagir, nombre de situations anxiogènes au travail exigent plutôt de faire appel à nos facultés rationnelles pour remédier à la situation. Or, ces dernières sont réduites à un murmure lorsqu’une grande inquiétude captive toute notre attention.

Le cerveau : en quête constante de sécurité

Imaginons un instant deux hommes des cavernes devant un buisson dont les branches s’agitent subitement. Le premier, de nature anxieuse, se sauve en courant. L’autre, imperturbable, demeure en place… et se fait dévorer par la bête sauvage qui s’y cachait. Ainsi donc, ce sont les plus craintifs qui ont survécu et qui ont eu tout le loisir de transmettre leurs gènes aux prochaines générations, avec pour résultat que l’évolution d’Homo sapiens a sélectionné et propagé… le gène de l’anxiété.

Encore aujourd’hui, notre cerveau recherche la sécurité. Si, à notre époque, les dangers qui nous guettent ne menacent généralement ni notre survie ni notre intégrité physique, nous sommes tout de même soumis à des stress répétés et soutenus. Notre anxiété peut alors se réveiller subitement dans nos interactions avec les autres ou avec notre environnement. Dès lors, nos facultés intellectuelles sont paralysées, toute notre attention étant absorbée par le tsunami d’émotions négatives qui nous envahit. Résultat : notre capacité à réagir judicieusement et à résoudre des problèmes efficacement en est grandement affectée.

Un détournement émotionnel nuit à nos facultés rationnelles

Nous sommes des créatures largement inconscientes; de l’ordre de 90 %, d’après la neuroscience.

En effet, nos cinq sens sont soumis en moyenne à 11 millions d'informations par seconde. Or, nous ne traitons qu’environ 40 d’entre elles dans ce même laps de temps. En limitant le traitement des informations qui nous assaillent, notre cerveau préserve une énergie précieuse, car c’est un fait : réfléchir de façon rationnelle exige une grande attention et des efforts soutenus.

En ciblant les quelques informations sur lesquelles notre attention se porte, le cerveau se fait donc économe. Toutefois, il serait faux de croire qu’il ne traite pas, du moins en partie, le reste des informations qui nous entourent. Par analogie, par association avec des expériences passées et les modèles du monde que nous nous sommes créés, il tire des conclusions sans effort conscient de notre part. Les émotions et les pensées qui en émergent alors relèvent du processus intuitif de la pensée humaine.

Prenons un exemple précis.

Votre superviseur vous contacte parce qu’il y a un incident urgent à régler. Concentré que vous êtes sur ses propos, et déjà absorbé par la recherche de solutions au problème, vous voyez votre attention être entièrement captivée par vos efforts conscients de réflexion rationnelle. En parallèle, vous analysez, sans doute inconsciemment, l’état d’esprit de votre superviseur, car votre cerveau est toujours en quête de sécurité. À chacune de vos interactions avec les autres, il se demande si la personne devant vous représente un danger.

Vos sens détectent intuitivement la tension présente et le niveau de stress, mais aussi l’agressivité et la colère de votre patron. Ses langages non verbal et paraverbal sont menaçants. Et si ce supérieur a suscité un grand stress de votre côté par le passé, alors votre cerveau se croit menacé.

L’anxiété monte en vous, mais vous ne le réalisez que lorsqu’elle atteint un niveau très élevé, car vos pensées étaient jusqu’alors absorbées par votre processus rationnel. Votre respiration s’accélère, votre souffle raccourcit, votre plexus solaire se contracte; vous transpirez, votre visage se crispe… et vous réalisez tout à coup que vos pensées ne sont plus focalisées sur la résolution du problème, mais plutôt complètement absorbées par cette perception intuitive du danger.

«Vais-je y arriver? Mon patron pense-t-il que c’est de ma faute? Par où dois-je commencer? Ai-je les compétences requises? Vais-je perdre mon emploi?»

Cet état émotif non négligeable peut être une forme de «détournement émotionnel» qui rend difficiles la mémorisation et la réflexion. Il a notamment été démontré que les émotions négatives, au-delà d'un certain point, réduisent notre champ d'attention et de réflexion.

En effet, pour reprendre le cas de figure mentionné précédemment, toute votre attention étant subitement détournée par vos émotions, vous n’avez plus les ressources nécessaires pour réfléchir de façon rationnelle, ce qui, vous en conviendrez, n’avantage personne : ni vous, ni votre superviseur, ni votre entreprise.

Cet exemple illustre que notre inconscient a alors toute la latitude pour nous insuffler des émotions qui absorbent notre attention, au détriment de nos efforts conscients pour réfléchir.

Dans pareil contexte, vous arriverez sûrement à reprendre éventuellement le contrôle de vos émotions, mais tant que vous êtes dans cet état, vous n’êtes pas en mesure de fonctionner au maximum de votre capacité.

La perception du danger varie d’une personne à l’autre, car elle dépend de nos expériences passées. Mais prendre conscience des effets d’une menace sur la capacité de réflexion d’une personne pose la question fondamentale que voici :

Êtes-vous perçu comme une menace?

En tant que leader ou même comme collègue, il arrive que nous nous donnions le droit d’exprimer ouvertement nos états d’âme. Et parce qu’un leader est davantage observé que les autres membres de l’équipe, son effet sur les autres est surdimensionné.

Exprimer notre déception, notre colère ou notre stress; désavouer un employé devant l’équipe; en blâmer un autre pour un problème; hausser le ton; insister sur les retards causés à l’équipe… Certains de ces comportements se révèlent de moins en moins acceptables socialement. D’autres, plus subtils, n’en sont pas moins troublants.

Du point de vue de la neuroscience, ils sont totalement contre-productifs.

Aidons les autres à se sentir en sécurité

Lorsque la situation exige de faire appel à toute la capacité de réflexion et d’innovation de nos collaborateurs, nous avons tout avantage à gérer nos propres émotions pour que ces personnes se sentent en sécurité. Croire que nous devons mettre une pression indue sur elles pour obtenir des résultats plus rapidement, c’est faire erreur.

Évidemment, il est nécessaire de clarifier l’urgence d’une tâche et d’en expliquer l’importance – et ce que cela implique de ne pas y arriver à temps –, mais nous avons le choix de le faire en créant un climat de confiance et de sécurité. Apportons notre aide si cela est nécessaire, et restons attentifs à l’énergie que nous dégageons.

De cette façon, nous mettrons toutes les chances de notre côté – et du côté de nos collaborateurs – d’arriver rapidement à une solution prometteuse.

Pour être utile aux autres, aidons-les à se sentir en sécurité. S’ils ressentent du soutien et de l’appui de notre part, cela suscitera chez eux un état émotif favorable à la réflexion et à la résolution de problèmes. En conséquence, nous atteindrons nos objectifs plus efficacement, en plus de démontrer un leadership qui inspire la confiance.

Nous sommes des êtres émotionnels qui pensent, et non pas des êtres rationnels qui ont des émotions. Ne faisons pas l’erreur de confondre les deux.

À retenir

  • Pour être à son meilleur, l’être humain a besoin de se sentir en sécurité.
  • En tant que leaders, nous sommes davantage observés, et notre effet sur les autres est grand.
  • Soyons conscients du climat que nous créons autour de nous.
  • Si nous n’inspirons pas confiance, ou, pire, si nous intimidons les membres de notre propre équipe, nous paralysons leurs capacités de réflexion et d’innovation.
  • Puissions-nous être des chuchoteurs positifs et sécuritaires pour le cerveau des autres.