Vices et vertus des marchés du carbone
2025-01-09
French
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2024-12-09
Vices et vertus des marchés du carbone
Stratégie , Leadership
Les marchés du carbone constituent une arme populaire dans la lutte contre les changements climatiques. Ils souffrent toutefois de plusieurs carences qui limitent leur efficacité environnementale et qui menacent même les droits de certaines populations.
Il existe deux types de marchés du carbone : les marchés de conformité et les marchés volontaires. En 2013, le Québec a mis sur pied son propre marché de conformité, un système de plafonnement et d’échanges de droits d’émissions de gaz à effet de serre (SPEDE) qui est lié au système californien depuis 2014. Les deux plus grands marchés de ce type se trouvent en Europe et en Chine.
Le fonctionnement d’un tel mécanisme est relativement simple. Prenons l’exemple du Québec. Le gouvernement fixe un plafond annuel d’unités d’émission de GES. Les entreprises doivent acheter des droits qui couvrent toutes leurs émissions. Or, l’État diminue le nombre de droits chaque année, ce qui crée un effet de rareté et augmente le prix des droits. La facture pour émettre des GES devient donc de plus en plus salée, ce qui devrait pousser les entreprises à réduire leurs émissions.
«Les marchés du carbone obligatoires avec plafond d’émissions permettent de travailler à une réelle réduction de celles-ci, car ils présentent une cible à ne pas dépasser, ce que les taxes sur le carbone, par exemple, ne font pas», estime Pierre-Olivier Pineau, professeur et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.
Ce marché n’arrive pas toujours à contribuer suffisamment à la réduction des GES. Au Québec, moins de 75% des émetteurs y sont assujettis. Les autres, notamment les secteurs de l’agriculture, du transport par avion, par train ou par bateau, ou encore les dépotoirs peuvent polluer sans payer.
Les aléas des marchés volontaires
Des crédits carbone se vendent en outre sur des marchés volontaires. Ils proviennent de promoteurs privés ou publics de projets qui génèrent des réductions ou des absorptions d’émissions. Ils sont achetés par des individus ou des entreprises qui souhaitent diminuer leur empreinte carbone, ou encore par des investisseurs qui espèrent les revendre plus cher.
Inigo Wyburd, expert des marchés mondiaux du carbone chez Carbon Market Watch, croit que ces mécanismes ont eu certaines répercussions positives sur le climat, mais posent plusieurs problèmes. «Il reste très difficile de soutenir que dans ces projets, un crédit carbone équivaut vraiment à une réduction d’une tonne de CO2», explique-t-il. Il cite les projets de gestion durable, de conservation et d’amélioration des stocks de carbone forestier (REDD+), qui surestimeraient largement leur effet réel en raison d’une méthodologie déficiente.
Les organismes de certification comme Vera ou Gold Standard font par ailleurs l’objet de critiques. Ce constat pointe vers le besoin d’introduire des critères d’évaluation plus sérieux dans ces marchés. En mars 2023, l’Integrity Council for the Voluntary Carbon Market a présenté de nouveaux principes pour assurer la qualité des crédits carbone.
Carbon Market Watch réclame aussi une plus grande transparence. «Actuellement, il n’y a aucune obligation de divulgation pour ces acteurs, souligne Inigo Wyburd. Il est très difficile, par exemple, de connaître les sommes qui restent dans les poches des intermédiaires de marché ou de savoir si les crédits financent des projets valables.»
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Des échanges internationaux
Des marchés internationaux ont également été créés, comme le Mécanisme pour un développement propre (MDP) adopté dans le cadre du Protocole de Kyoto en 1997. Il permet à des pays industrialisés d’acheter des crédits carbone liés à des projets de diminution des émissions de GES dans des pays en développement.
L’article 6 de l’Accord de Paris prévoit lui aussi des mécanismes axés sur le marché. L’alinéa 6.2 introduit un marché qui permet à des pays qui ont dépassé leurs objectifs en matière de réduction d’émissions de proposer des crédits à un autre pays. Plusieurs critiques ont pointé du doigt le risque que certains États adoptent des objectifs modestes, afin d’avoir plus de chances de les dépasser et de pouvoir vendre de lucratifs crédits.
L’alinéa 6.4 instaure quant à lui un mécanisme semblable au MDP, mais qui ne se limite pas à des projets mis en œuvre dans les pays en développement. Les promoteurs pourraient offrir leurs crédits à un autre État, à une entreprise ou à un individu.
Ces approches posent toutefois leur lot de problèmes. Elles ont d’ailleurs fait l’objet de négociations lors des récentes COP tenues à Glasgow et Dubaï. L’une des principales difficultés est le risque de double comptage, qui se produit lorsque les deux pays qui effectuent une transaction s’attribuent les mêmes réductions d’émissions dans leur bilan.
«Les approches internationales présentent aussi des risques de violation des droits des populations locales, notamment de communautés autochtones qui habitent les terres visées par certains projets de crédits carbone», prévient Injy Johnstone, chercheuse au centre de recherche interdisciplinaire Oxford Net Zero de l’Université d’Oxford.
Elle donne l’exemple du Liberia, où le gouvernement négocie la cession de près de 10% de son territoire à une firme de développement de crédits carbone des Émirats arabes unis. L’accord prévoit de désigner une vaste forêt comme «territoire protégé», afin de pouvoir générer des crédits carbone qui seront écoulés sur les marchés volontaires ou échangés bilatéralement par l’entreprise de la société émiratie. Or, l’entente viole une loi adoptée en 2018 qui octroie aux populations indigènes la propriété́ de leurs terres ancestrales.
Les marchés volontaires demeurent par ailleurs très centrés sur les projets qui évitent ou réduisent les émissions carbone. Moins de 10% des crédits vendus sur les marchés volontaires en 2023 finançaient des projets d’élimination du carbone, selon le rapport The State of Carbone Dioxide Removal. «On doit renforcer l’offre de projets d’élimination du carbone qui représentent un outil incontournable pour atteindre l’objectif de zéro émission nette, avance Injy Johnstone. Nous devons aussi introduire une supervision plus rigoureuse des marchés volontaires, afin d’assurer la qualité des crédits carbone.»
Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion
Stratégie , Leadership