Article publié dans l'édition Hiver 2022 de Gestion

Le monde de l’entrepreneuriat évolue. Les approches relatives à la création d’entreprises se multiplient. Parmi ces nouveautés, il est fascinant de découvrir des démarches peu explorées par les chercheurs, soient des innovations issues des passions qui se développent dans des groupes de personnes ainsi que les opportunités qui en découlent. La création d’entreprises qui s’ensuit permet à ces gens non seulement de maintenir leurs liens mais aussi de continuer à cheminer dans la pratique de leur passion.

Dès le premier chapitre, la lecture de l’ouvrage Start-up tribu1 m’a rappelé des souvenirs de jeunesse : ces soirées dans les bistrots de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, en mai et en juin 1968, au cours desquelles des idéalistes présentaient des vues alternatives sur ce que pourrait être la société de demain tout en proposant des exemples probants qui existaient déjà dans différentes parties du monde.

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Louis Jacques Filion est professeur émérite au Département d’entrepreneuriat et innovation de HEC Montréal.

Pourquoi les mots start-up et tribu?

C’est la perspective que nous suggèrent Franck Barès, Bernard Cova et Anicet Nemani. Les auteurs nous font explorer un monde inhabituel en entrepreneuriat. Dès le départ, dans leur avant-propos, ils brisent la glace en indiquant qu’ils utilisent le terme start-up pour faire référence à des «projets de démarrage, de toute nature et de tout secteur». Ils utilisent fréquemment les termes communauté et tribu mais font observer que ce dernier mot exprime aussi une passion partagée par des individus qui s’investissent dans des projets, de manière souvent bénévole, par activisme et par envie.

Les auteurs nous font prendre conscience de l’accroissement des communautés qui ne cessent de se former autour de marques favorites. Il existe là des liens d’appartenance et une fidélité aux marques qui va au-delà du simple geste de consommer : «Les communautés de marque permettent aux membres de redonner de la stabilité à leur vie dans un contexte où tout bouge très vite.» Ces communautés sont en croissance exponentielle autour d’un nombre toujours plus grand de produits et de réseaux sociaux.

Ces spécialistes de l’entrepreneuriat annoncent d’emblée leurs couleurs : ils souhaitent proposer une solution de rechange au modèle habituel de création d’entreprises. Mais quelle est cette solution de rechange? «Faire de la communauté le socle de toute initiative ; une communauté qui émerge et se développe pour supporter un mouvement et défendre une cause.» Le lecteur se demande alors s’il est question d’entrepreneuriat social ou de mouvements de libération. Or, le credo proposé est le suivant : la communauté d’abord, l’entreprise ensuite. «L’entrepreneur agit d’abord au niveau social pour créer un mouvement avant d’envisager le marché pour créer une start-up», peut-on y lire.

Mise en perspective

Franck Barès et ses coauteurs décrivent les démarches de ces entrepreneurs dont plusieurs sont des idéalistes qui veulent changer le monde. La création d’entreprises n’est pas abordée en fonction d’un modèle économique, comme c’est généralement le cas, mais à partir de dimensions sociologiques qu’est-ce qui fait en sorte que des tribus se forment et s’engagent dans des mouvements? «L’explosion des possibilités de regroupement offertes par Internet a conduit au développement de formes alternatives de consommation fondées sur le partage.»

Ces passionnés d’entrepreneuriat nous sensibilisent et nous font réfléchir à la multiplicité de tribus, de communautés virtuelles et de réseaux sociaux qui émergent et se développent dans nos sociétés.

De plus en plus de gens se réunissent dans des communautés afin de mettre en commun des sujets d’intérêt, des passions, des projets. Comme une boule de neige qui roule, un intérêt devient un engagement qui engendre un mouvement, et celui-ci ne cesse ensuite de prendre de l’ampleur. On s’engage ensemble. Cette passion partagée accroît l’intensité des liens émotionnels entre les personnes, de telle sorte qu’une tribu devient capable d’actions collectives, éventuellement autour de marques qui deviennent ses favorites.

Comment ces communautés ou ces tribus s’organisent-elles ? Comment ces mouvements progressent-ils vers des activités innovantes? Comment une entreprise émerge-t-elle et permet-elle à un groupe de personnes engagées dans une cause de continuer à cheminer?

Les auteurs répondent à ces questions et à bien d’autres par un processus élaboré en cinq étapes qui font l’objet d’autant de chapitres :

  • Défendre une cause et lancer un mouvement;
  • Recruter des volontaires et organiser leur collaboration;
  • Favoriser l’interaction en ligne et hors ligne;
  • Établir et observer des rituels;
  • Mettre du lien dans la proposition de valeur.

Les exemples rapportés sont nombreux et excitants. Ils montrent une grande diversité de contextes et de situations. Deux des auteurs sont des chercheurs reconnus pour leurs travaux alors que le troisième est un praticien expérimenté qui décrit le modèle qu’il a appliqué à son entreprise.

Dans cet ouvrage, les auteurs ont voulu lancer un cri de ralliement qui suggère des avenues alternatives au modèle habituel de création d’entreprises. Ils réussissent à stimuler nos cellules grises à partir d’approches innovantes qui présentent des configurations sociales en ébullition partout sur notre planète. Nous prenons conscience d’un monde nouveau en train d’émerger : voilà un sujet particulièrement inspirant tant pour les futurs entrepreneurs, les consultants et les chercheurs que pour les enseignants et les formateurs.


Note

1- Barès, F., Cova, B., et Nemani, A., Start-up tribu – Comment entreprendre avec sa communauté, Montréal, Éditions JFD, 2021.