Les grands projets d’exploitation des territoires du Nord québécois ont permis d’ouvrir nos horizons dans une perspective de développement durable, mais ces projets ont parfois mis en lumière certains de nos angles morts, notamment en ce qui a trait aux relations de confiance que l’État et les entreprises qui chapeautent ces démarches doivent nouer avec les Premières Nations et les Inuits (PNI). Pour minimiser la méfiance ambiante, il est essentiel que les membres des communautés concernées fassent partie de tous les processus de décision et qu’une réflexion collective soit menée quant à la meilleure façon de valoriser leurs savoirs et leurs compétences.

Bien que plusieurs projets ont été menés au fil du temps dans le nord du Québec, les relations entre les PNI, l’État et les organisations d’exploitation des ressources des territoires demeurent fragiles. L’une des explications possibles : les politiques coloniales et postcoloniales passées et actuelles continuent d’influer sur les rapports qu’entretiennent les différents groupes.

Dans le processus de création d’aires protégées, par exemple, certains intérêts des communautés locales n’ont pas toujours été considérés. Résultat? Des membres de ces communautés se sont fait refuser l’accès à leur territoire[1]. Ce type de décision a entraîné des répercussions à long terme sur les relations, notamment parce que la dynamique de méfiance, voire de défiance, entre des membres des PNI et l’État a fait en sorte que les connaissances et les compétences des différents groupes ont souvent été mises en doute. Dans cet exemple, l’interdiction a aussi été associée au colonialisme et à la création de réserves dont les effets se répercutent jusqu’à aujourd’hui sur le bien-être de ces communautés[2].

En plus de leur impact négatif sur les relations existantes, ces situations affectent aussi la volonté des parties de collaborer. Dans plusieurs cas, la perspective coloniale est renforcée par des structures institutionnelles ou administratives inadaptées, souvent imposées et qui tiennent peu compte de la culture, des valeurs et des modes de fonctionnement de chacune de ces nations.

Changer cette perspective est une opération délicate. Comment bâtir des liens solides avec les communautés? Aux questions fondamentales liées à la confiance à établir viennent se greffer celles qui ont trait à la légitimité. À qui revient la responsabilité de la gestion des territoires et des ressources? Puis, il y a l’enjeu de l’imputabilité : qui est responsable, cette fois, de la nécessaire transformation des pratiques actuelles?

Dossier Confiance

Une question de culture, d’éthique et de valeurs

L’appartenance à un territoire, à une nation et à une communauté peut influer sur les représentations plus ou moins nuancées qu’on se fait de certaines situations. Or, les visées des PNI se retrouvent souvent en inadéquation avec celles des exploitants des ressources naturelles, qui cherchent généralement à réaliser des profits avec moins de considération pour le long terme. La façon d’exploiter les ressources, voire l’usage qu’on en fera, peut aussi représenter un point de divergence.

Dans la société en général, on considère l’eau et la forêt comme des biens tangibles qui peuvent être achetés ou vendus. Pour les PNI, ces ressources sont indissociables de la notion de territoire, tout comme l’est celle de la culture propre à chacune de ces entités. Des ententes acceptables concernant l’usage des territoires doivent donc prendre en compte la volonté des PNI d’actualiser et de pérenniser leurs cultures. Tant que ces représentations du territoire ne feront pas partie intégrante des négociations des protocoles et des ententes, et tant qu’on ne valorisera pas le territoire comme un espace social et naturel indissociable de la vision que les PNI ont du monde[3], les partenariats et la confiance demeurera fragile.

Bien que l’actualisation de leurs cultures soit de première importance pour les PNI, l’État et les entreprises ne le reconnaissent pas. Ce manque nuit à la perpétuation des savoirs et des pratiques des PNI sur leurs territoires de même qu’à cette actualisation de la culture de chaque nation, notamment en ce qui a trait à la revitalisation culturelle et linguistique.

Lors de consultations ou de négociations, par exemple, les valeurs respectives des différents groupes influent donc sur leur relation de confiance : chacun arrive avec sa propre façon de penser et négocie selon ses spécificités, ses repères et ses besoins.

Deux solutions peuvent être envisagées pour créer des liens avec les nations et leur permettre d’en arriver à défendre une vision commune. La première : reconnaître que le territoire est lié à la vision du monde des PNI et qu’il faut contextualiser l’ensemble des actions localement. La seconde : mettre en œuvre la pratique connue, mais encore peu exercée, qui consiste à demander des avis de pertinence aux PNI.

Malgré tout le potentiel qu’elles recèlent, ces solutions sont rarement retenues. Il semble que l’État et les entreprises préfèrent imposer leurs propres méthodes. Il semble que l’État et les entreprises préfèrent imposer leurs propres méthodes.

Une participation réelle et intéressée

S’il est fondamental de reconnaître les droits ancestraux et ceux qui sont issus de traités, et de documenter les revendications des PNI et l’usage qu’ils font du territoire, établir des relations de confiance exige aussi une transformation des pratiques. Au cœur de celles-ci doit s’inscrire la participation des PNI à toutes les étapes des projets.

Avant même d’entamer la phase exploratoire, les PNI doivent participer à la détermination des mesures de protection du territoire et des ressources nécessaires, à la réalisation des études de faisabilité, à l’évaluation des répercussions et à la définition des enjeux. L’État et les entreprises pourraient ainsi démontrer qu’ils se préoccupent du territoire et de l’environnement, en mettant de l’avant des valeurs qui pourraient servir de bases communes.

L’avis des PNI peut également être sollicité et considéré à plusieurs étapes des processus, lors de la planification stratégique et opérationnelle des projets, par exemple. Toutefois, les demandes doivent être authentiques, car trop de consultations dépourvues de sens ont déjà eu pour effet d’ébranler la confiance des membres des PNI, qui voient dans cette approche le contre-exemple d’une pratique réellement démocratique[4]. Un vrai dialogue, ouvert et constant, requiert d’abord un traitement équitable et des partenariats qui respectent le droit au consentement libre, préalable et éclairé, et qui sont libres de pressions colonialistes ou d’attitudes paternalistes.

Ces dernières considérations amènent parfois les PNI à accorder une importance mitigée aux consultations et affaiblissent un lien de confiance déjà ténu. Ces groupes remettent en cause les objectifs des consultations, qu’ils associent davantage au désir des demandeurs de se donner bonne conscience afin d’exploiter ensuite le territoire à leurs propres conditions.

La valorisation des savoirs et des compétences des PNI

Tenir compte des savoirs et des compétences des PNI par des actions de valorisation et de revitalisation des cultures et des langues permet de redonner à ces communautés un sentiment de fierté culturelle et d’appartenance à l’égard de leur territoire. Leur rendre une forme de pouvoir local en matière de gestion du territoire leur permet de se réapproprier des pratiques culturelles qui sont moins fréquemment mises en place aujourd’hui. Par exemple, certains membres des PNI planifient la gestion des ressources à très long terme, préparant ainsi le territoire pour qu’il accueille jusqu’à sept générations à venir.

Créer des relations de confiance exige que des actions de restructuration des devoirs et des responsabilités de chacun des groupes soient menées de façon consciente et délibérée. Or, puisque l’autodétermination et l’autonomie des PNI pour la gestion des ressources naturelles des territoires semblent utopiques dans l’état actuel des choses, on doit insister sur une gestion soutenue par les PNI et pour les PNI. Ce faisant, on tiendra compte de leurs spécificités locales, qu’elles soient de nature culturelle, sociale, économique ou politique.

Enfin, l’adoption de telles pratiques en adéquation avec les spécificités de ces communautés, d’actions pertinentes sur le plan culturel et d’attitudes comme la sensibilité culturelle représente un bon pas en avant pour favoriser la création d’un lien de confiance. Or, c’est avant tout la répétition, la fréquence et la récurrence de ces actions qui ont des retombées positives sur la relation de confiance. Une période éventuellement aussi longue que celle qu’a nécessité la désorganisation économique, politique et sociale des PNI par les colonisateurs sera nécessaire.

Vers une relation de confiance

La gestion du territoire est porteuse d’un potentiel pour résoudre certains enjeux et établir des relations de confiance. Les programmes d’intervention axés sur le lien avec le territoire et sa réappropriation constituent des pistes de réconciliation et une manière de poursuivre un processus de guérison pour des personnes et des peuples qui ont souffert de la colonisation. Des stratégies de gestion des territoires et des ressources naturelles doivent donc porter sur la valorisation des cultures, en reconnaissant les identités culturelles des PNI et leurs savoirs, puis en soutenant leurs efforts afin de favoriser l’émergence de cette fierté culturelle. Des peuples fiers de la culture qui leur est propre peuvent ainsi s’épanouir et se réaliser sur tous les plans.

Même si elle a constitué une force des PNI jusqu’ici et qu’elle a permis la survie de leurs cultures, la résilience doit permettre de réaffirmer l’importance de la place des individus et des nations. Les communautés doivent pouvoir s’exprimer dans ce qu’elles ont de plus beau et de plus authentique. Elles doivent aussi avoir la possibilité de conserver ce sentiment d’appartenance envers le territoire, tout en se réappropriant des aspects de leurs cultures, de leurs langues et de leur spiritualité, en découvrant et en prenant leur place au Québec. Le cas échéant, le territoire et ses ressources pourront être gérés au bénéfice de la société et de l’humanité tout entières. En cette matière, nous avons possiblement plus à apprendre des PNI que l’inverse.

Article publié dans l'édition Printemps 2023 de Gestion


Notes

[1] Bibaud, J., «Patrimonialisation des territoires en milieu nordique et gouvernance : l’exemple du parc national Tursujuq», Téoros : revue de recherche en tourisme, vol. 31, n° 1, 2012, p. 39-47.

[2] Black, K., et McBean, E., «Increased indigenous participation in environmental decision making: A policy analysis for the improvement of indigenous health», International Indigenous Policy Journal, vol. 7, n° 4, 2016, p. 1-24.

[3] Deschênes, É., L’insertion sociale et professionnelle des travailleurs autochtones – Des pistes claires pour contribuer concrètement et efficacement, Montréal, Éditions JFD, 2022, 162 pages.

[4] Deschênes, É., Asselin, H., Brodeur-Girard, S., Arcand, S., Fraser, S., et Beaudoin, J.-M., «La mobilisation des connaissances pour l’élaboration de politiques publiques en affaires autochtones», rapport de recherche à paraître en 2023, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.