Je gère ma petite entreprise avec méticulosité, cœur et intuition. Mes clients sont de grosses entreprises qui, de leur côté, sont gérées avec professionnalisme, intelligence, passion, et qui ont une vision globale. Au fil des ans, j’ai remarqué chez celles-ci des changements de cap subtils, parfois plus marqués : changements d’orientation, cassures plus ou moins importantes, modifications (la plupart du temps imperceptibles mais non moins réelles) de la culture d’entreprise. Ça se traduit par l’usage de quelques mots récurrents dans la communication interne, dans la manière de passer les messages, de cerner le projet en cours, de circonscrire les paramètres des produits en cours d’élaboration.

Je sais bien qu’en matière de gestion, les modes existent, que l’actuelle chevauche la prochaine, et que même les plus expérimentés ont besoin de balises pour s’y retrouver.

Mais les tendances dans les manières de gérer s’incarnent dans des mots clés. Mots qui concentrent en eux les objectifs, la vision et la façon de faire à un moment précis. Ils sont les sésames d’une manière de percevoir l’entreprise et son bon fonctionnement. Cependant, tout le monde est légèrement déconcerté ou ne manie pas avec la même dextérité les concepts, qui sont souvent perçus comme des énigmes, voire des pièges, pour les non-initiés, c’est-à-dire nous tous!

Mots à la mode

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les ouvrages pour s’y frayer un chemin pullulent en librairie : 12 mots du vocabulaire de la gestion de projet, 25 mots clés de l’économie et de la gestion, Les 100 mots de la gestion, La gestion en 600 mots... Entre 12 et 600, on commence à se rendre compte que les mots sont ici un peu galvaudés, et que leur maîtrise pourrait, parfois, servir de poudre aux yeux pour mystifier l’administrateur de base : moi!

Voici donc un florilège de quelques mots parmi les plus à la mode chez les pontes de la gestion, tels que je les comprends quand ils me sont servis.

L’ADN de l’entreprise est un indispensable depuis près de deux décennies et continue à bien performer dans le palmarès des mots incontournables. L’ADN, c’est la quintessence, la substance même de ce qui donne son originalité et sa saveur à une entreprise. Il est généralement évoqué par des mots puissants, bien choisis, qui font référence à des concepts que l’on répète comme des mantras et qu’on déploie dans des briefings de motivation, des politiques de RH et autant de PowerPoint inspirés. Étrangement, ce condensé de l’esprit de l’entreprise est parfois conçu... par une firme extérieure à qui l’on aura donné un lucratif contrat.

L’agilité est un autre mot. Elle est cette qualité qu’on prête aux entreprises qui ne sont pas figées dans des processus paralysants, qui sont capables de s’adapter aux changements imprévus comme aux nouvelles tendances qui émergent, tout en faisant preuve, évidemment, de «continuité opérationnelle». Ça vaut pour les entreprises, mais trop souvent c’est aux employés qu’on demande de démontrer de l’agilité. Savoir se virer sur un dix cennes, accomplir des actions non prévues dans la convention «et toutes autres tâches connexes» : c’est ça, l’agilité! Disons que sous ce concept très trendy, on étire un peu l’élastique. L’agilité est l’habit neuf de la bonne vieille flexibilité, celle qui, par exemple, permet de déplacer les infirmières d’un établissement à un autre sans qu’elles aient leur mot à dire.

Le tableau de bord, autre concept clinquant, est un genre de poste de pilotage qui permet d’obtenir une vue d’ensemble de l’entreprise. On imagine plein de manettes et de clignotants virtuels. C’est comme une garantie de cohérence et de contrôle sur le réel, dans un monde du travail qui connaît de grands bouleversements, où l’improbable est monnaie courante, où l’intuition vaut souvent des stratégies savantes. Le tableau de bord rassure et réconforte.

La culture toxique revient de plus en plus fréquemment dans le vocabulaire de la gestion, et c’est une excellente chose. La toxicité dans les relations, dans tous les milieux, n’est plus tolérable et est maintenant traquée et dénoncée. La toxicité se manifeste par des comportements comme le favoritisme, le harcèlement psychologique et sexuel, la pression indue. Saluons ceux et celles qui osent traquer ces dérives et qui trop souvent en paient encore le prix. Bien des milieux, ces prochains temps, devront assainir leurs pratiques.

La découvrabilité est un mot clé qui monte. Il s’agit, pour une entreprise, de sa disponibilité en ligne et de sa capacité à être aisément découverte par les internautes. La nouvelle vitrine des individus et des idées étant numérique, il importe d’y faire flasher son contenu. Si on sait maintenant assez bien ce qu’est la découvrabilité, les moyens pour l’atteindre sont plus vagues. Si la recette parfaite existait, personne n’aurait d’enjeu de découvrabilité. En attendant, c’est à cause d’elle qu’on se retrouve avec des chefs d’entreprise quinquas qui swinguent sur TikTok et un PM qui fait des balados. Découvrabilité, vous dites?

Ajoutons, en vrac, que la bienveillance a encore de belles années devant elle. C’est la tarte aux pommes des qualités requises pour un bon leadership. À l’émission culinaire de Radio-Canada Les chefs!, ils appellent ça respecter le produit. En même temps, en cette ère de changements où les défis abondent, où la durabilité nous obsède, où l’innovation est le maître-mot, un peu de vocabulaire approprié n’a jamais fait de mal à personne!

Nous voilà équipés.

Article publié dans l’édition Été 2024 de Gestion