La pandémie a ramené la part des femmes dans la population active canadienne à son plus bas niveau en 30 ans. Cet affaissement risque d’entraver la croissance économique et d’exacerber la pénurie de main-d’œuvre.

Entre les mois de février et d’octobre 2020, plus de 20 000 femmes quittaient la population active au Canada, indique un rapport de RBC. Au même moment, près de 68 000 hommes supplémentaires arrivaient sur le marché du travail. «On doit remonter au milieu des années 1980 pour voir un taux de participation des femmes au marché du travail aussi bas que 55 %, comme celui que nous avons connu en avril 2020. Au début de 2021, nous n’étions revenus qu’au niveau de 2002», note Carrie Freestone, économiste à RBC et co-autrice de cette analyse.

Le Québec offre un portrait plus nuancé. «Notre structure économique plus diversifiée que dans certaines provinces comme l’Ontario ou l’Alberta nous a un peu aidés, bien que la crise ait tout de même durement affecté les Québécoises», souligne Jean-Guy Côté, directeur associé à l’Institut du Québec. L’existence du réseau de centres de la petite enfance au Québec a aussi contribué à atténuer l’impact négatif de la pandémie sur les femmes.

Un rapport publié en septembre 2020 par l’Institut du Québec montre un recul de l’emploi très similaire chez les femmes (- 18,4 %) et chez les hommes (-19,0 %) au cours des deux premiers mois de la crise. Les femmes n’ont toutefois pas autant bénéficié de la reprise en mai et juin. Au total, entre février et juillet, elles ont donc perdu 135 600 emplois (- 6,48 %), contre 109 000 pour les hommes (- 4,76 %), selon l’Institut. D’après le ministère du Travail du Québec, 68 % des emplois perdus au Québec entre octobre 2019 et octobre 2020 étaient occupés par des femmes.

Des postes plus vulnérables

D’où viennent ces écarts? «Ils tiennent en partie au fait que l’on retrouve beaucoup de femmes dans les secteurs très touchés par la pandémie, comme l’hébergement et la restauration ou les arts et la culture, et beaucoup moins dans des domaines où la reprise s’est manifestée plus fortement, tels le secteur manufacturier ou celui de la construction», avance Marie-Hélène Provençal, professionnelle de recherche au Conseil du statut de la femme (CSF).

Au Québec, la crise sanitaire a coûté beaucoup d’emplois dans trois des sept secteurs peuplés majoritairement par des femmes, soit le commerce de détail, l’hébergement et la restauration et les «autres services». Jean-Guy Côté ajoute que dans ces domaines, les pertes d’emploi des femmes ont dépassé la part qu’elles y occupent. Par exemple, les femmes comptent pour 54,8 % des emplois en hébergement et restauration, mais elles y ont perdu 62,2 % des postes. Dans la catégorie «autres services», elles ont vu disparaître 79,2 % de leurs postes, alors qu’elles représentent 54,2 % des travailleurs.

Près d’une femme sur quatre (23,7 %) occupe un travail à temps partiel, contre 13,6 % pour les hommes. Or, ces emplois ont été presque deux fois plus affectés par la pandémie, peut-on lire dans le rapport de l’Institut. Cela pourrait expliquer une partie de l’écart entre les hommes et les femmes.

Ces dernières auraient aussi souffert davantage de l’augmentation des responsabilités familiales lors des confinements. «Placées devant une intensification de la charge familiale et ménagère, notamment en raison de la présence des enfants à la maison, plusieurs d’entre elles se sont retirées du marché du travail», analyse Marie-Hélène Provençal.

Carrie Freestone note des différences sur ce plan entre les groupes d’âge. «Plusieurs femmes de 20-24 ans ont choisi de mener des études postsecondaires pendant la récession, ce qui explique leur sortie de la population active, rapporte l’économiste.

Plus des trois quarts des femmes de ce groupe d'âge absentes du marché du travail en octobre 2020 étaient aux études.»

La situation est bien différente pour les femmes de 35-39 ans, un autre groupe marqué par une forte sortie de la population active. «Dans leur cas, cela semble beaucoup plus lié aux responsabilités parentales», constate Carrie Freestone. Le rapport de RBC montre qu’au Canada, les mères d’enfants de moins de six ans constituaient 41 % de la population active en février 2020, mais représentaient les deux tiers des sorties du marché du travail pendant la pandémie.

Au Canada, les femmes gagnent le revenu le plus élevé dans seulement 29 % des ménages, selon RBC. C’est donc plus souvent la conjointe qui réduit son nombre d’heures de travail ou quitte son emploi pour s’occuper des nouvelles tâches familiales engendrées par la pandémie.

Pas de prospérité sans les femmes

La forme que prendra la relance économique au cours des prochains mois affectera le rapport des femmes au marché de l'emploi. Jean-Guy Côté attend une reprise en «K», c'est à dire que certains secteurs progresseront très fortement, alors que d'autres traîneront la patte. «À cause de cela, les nombreuses femmes qui œuvrent dans des secters où la relance sera plus lente risquent de souffrir plus longtemps des effets de la pandémie», s'inquiète-t-il.

Chose certaine, le retrait des femmes du marché du travail n’a rien d’anodin et pourrait avoir des conséquences fâcheuses, tant sur le plan personnel que collectif. «On sentait déjà avant la pandémie l’impact des pénuries de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs, ajoute le professeur. Or, si les femmes qui ont quitté la population active n’y retournent pas, ces pénuries s’en trouveront exacerbées et cela nuira à la relance». La baisse de l’immigration et des déplacements internationaux devrait aussi alimenter la rareté de la main-d’œuvre à court et peut-être moyen termes.

Sur le plan personnel, «plus l’absence des femmes de la population active s’allonge, plus cela peut affecter leur niveau de compétence, ce qui complique leur retour en emploi et contribuera à augmenter l’iniquité salariale entre les hommes et les femmes», avertit Carrie Freestone. Elle croit que dans l’ensemble, le marché du travail se remettra de la pandémie, mais que certains sous-groupes – comme les femmes immigrantes ou celles qui occupaient des emplois précaires ou présentaient un faible niveau d’éducation avant la crise – pourraient en sentir les effets plus longtemps.

RBC évalue que l’économie canadienne perd une croissance potentielle de plus de 100 milliards de dollars chaque année où la participation des femmes au marché du travail est moindre que celle des hommes. «Le retrait des femmes de la population active affecte l’ensemble de la société en réduisant la prospérité du pays», rappelle Carrie Freestone.