Tout phénomène, si élémentaire soit-il, implique une multitude de dimensions ou d'aspects qui en compliquent la compréhension. Un modèle constitue par définition une simplification de la réalité. Il devient un instrument pour cerner les relations importantes . L'analyste simplifie pour mieux comprendre. Ce texte essai de résumer les importantes conclusions d’un modèle peu compliqué qui célèbre cette année le demi-siècle de sa publication.

L'économie se compose ici de deux secteurs. Le premier, les industries dynamiques, connaît une croissance de productivité (production par unité du facteur de production) plus élevée que celle de l'ensemble de l'économie. Ce sont principalement la production de biens où les produits standardisés s'accommodent facilement d'une utilisation abondante de capital.

Le second secteur, les industries statiques, aura par conséquent une croissance moins élevée. Il comprend les services qui exigent la préservation d’un caractère humain ou personnel. Leur non-standardisation décourage le recours à plus de capital.

Sans en faire une démonstration, que peut-on conclure de ce modèle? 

Ce sont cinq propositions

Proposition 1 : Le secteur à croissance de productivité plus lente aura des coûts relatifs croissants.

Relation entre les croissances des prix et de la productivité totale des facteurs de 58 industries pour la période 1948-2001 (États-Unis)

Relation entre les croissances des prix et de la productivité totale des facteurs de 58 industries pour la période 1948-2001 (États-Unis) | Source : Nordhaus, 2008 : 22.

La figure illustre la proposition d’une relation inverse entre l’évolution relative de la productivité et celle du prix pour 58 industries durant la période de 1948 à 2001. L’auteur conclut :

Les industries à faible croissance relative de productivité ("les industries statiques") montrent une croissance plus élevée des prix relatifs d’une unité de pourcentage par unité de pourcentage. Ce résultat indique que la plupart des gains économiques d’une plus grande croissance de productivité sont transférés aux consommateurs par des prix plus bas. (Nordhaus, 2008 : 21)

Proposition 2 : Avec des prix relatifs croissants, la production relative des industries du secteur à plus faible croissance de productivité, dont les demandes sont sensibles aux prix et peu sensibles aux variations de revenu, va tendre à décroître et même finalement à disparaître.

Selon la proposition 1, les secteurs statiques avec des prix croissants perdent de la clientèle. Cette contraction peut être annulée par la présence d’un autre facteur : la croissance générale de la productivité entraîne des revenus accrus qui augmentent la clientèle de secteurs stagnants. Les restaurants haute gamme ont des prix croissants mais survivent grâce à l’augmentation des revenus des ménages. Beaucoup de services sont dans cette situation comme certains reliés à la santé, à l’éducation et aux loisirs.

Proposition 3 : Si le rapport des productions des deux secteurs à croissance de productivité inégale demeure constant, de plus en plus de facteurs de production se concentreront dans le secteur à plus faible croissance de productivité. À la limite, tous les facteurs iront dans ce secteur.

Qu’affirme cette dernière proposition? Si la société désire une croissance identique dans tous les secteurs, les facteurs de production se trouveront de plus en plus dans les secteurs statiques. C’est ainsi qu’au Canada, le secteur des services représentait 20 % des emplois en 1881 contre 78 % en 2015. Même dans la fabrication, les emplois directement reliés à la production sont relativement en déclin vu la forte capitalisation des opérations.

Proposition 4 : Si le rapport des productions des deux secteurs à croissance de productivité inégale demeure constant, le taux de croissance de la production par tête de cette économie tend à décroître.

Cette proposition découle de la précédente. Si, pour conserver constant le rapport de production entre les deux secteurs, les facteurs de production sont de moins en moins présents dans le secteur à forte croissance de productivité, le taux de croissance de cette économie ne peut que diminuer.

Proposition 5 : Comme la consommation de n'importe quel produit demande de l'argent et du temps, une croissance de la valeur du temps ou des salaires réels entraîne une substitution : elle favorise la diminution de la consommation des produits dont le rapport du temps sur le prix est relativement élevé.

Le coût total d’un trajet en transport en commun illustre cette proposition : il comprend deux composantes, le tarif et aussi la valeur du temps du passager. Son utilisation s’accroît principalement par la fréquence et la qualité du service, la composante non monétaire.

Ce modèle peut-il être contredit?

Un modèle simplifie pour identifier les relations importantes du réel. Le monde change et les secteurs identifiés comme stagnants aujourd’hui peuvent se dynamiser grâce au progrès technologique. Un exemple : le commerce de détail est devenu un secteur à croissance élevée de productivité. Les techniques de l’information ont permis des changements dans l’organisation des approvisionnements et dans le fonctionnement des magasins (la wal-martisation) et l’explosion du commerce en ligne (l’amazonisation).

Un fait demeure : la croissance sera fonction de l’évolution de la productivité des services. Comment pourrait-il en être autrement avec près de 80 % des emplois?