Un vilain défaut, la curiosité? En entreprise, ce serait plutôt une qualité! Cette envie d’apprendre, de découvrir et d’expérimenter est un moteur à l’innovation. Toutefois, pour en tirer des avantages, les organisations doivent créer un terrain propice à cette exploration.

Certaines personnes tendent plus naturellement vers la curiosité, «alors que pour d’autres, c’est une mise en danger», explique Pénélope Codello, professeure agrégée au Département de management de HEC Montréal. En effet, pousser la réflexion plus loin signifie prendre le risque de remettre en question ses propres façons de faire et de penser. «Il faut donc être capable de tolérer l’ambiguïté, parce qu’on ne sait pas sur quoi on va tomber», poursuit-elle. Cela demande aussi de l'empathie, pour s’ouvrir aux perspectives de l’autre.

Encourager cet élan permet non seulement aux gens de développer leurs compétences, mais également aux organisations de se démarquer, comme le souligne Pénélope Codello. «De plus, la recherche démontre que cela réduit les stéréotypes et les biais de confirmation, car une personne curieuse aura tendance à approfondir sa réflexion. Cela pourrait avoir un effet positif dans les équipes multifonctionnelles, puisqu’au lieu d’imposer ses idées, on tente de comprendre les points de vue des autres», mentionne Pierre-Marc Leblanc, candidat au doctorat à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. En organisation, la curiosité permet aussi de mettre sur pied des solutions plus solides et de s’adapter plus facilement aux changements.

Quand le changement fait peur

Malgré tous ces avantages, les gestionnaires ont souvent tendance à freiner la curiosité de leurs troupes. «Le problème, c’est que plusieurs sont empêtrés dans leurs processus, ne veulent pas modifier leurs façons de faire, n’ont pas le goût de l’ambiguïté», observe Pénélope Codello. C’est d’ailleurs ce qui ressort d’un sondage mené auprès de 3000 travailleurs et cité dans le magazine Harvard Business Review. Comme l’explique l’article, si seulement le quart des employés rapportent qu’ils sont curieux au boulot, 70% d’entre eux indiquent qu’ils rencontrent des barrières lorsqu’ils posent des questions. «Le problème, c’est que les organisations ont l’impression que, si les employés se montrent très curieux, cela deviendra ingérable», analyse Pierre-Marc Leblanc.

Ces données soulignent la propension de certains leaders à couper l’herbe sous le pied des plus curieux, priorisant l’efficacité au détriment de l’apprentissage et de la créativité; des éléments pourtant cruciaux dans les organisations, selon Eric Provencher, CRHA, psychologue organisationnel et fondateur d’Humana Conseil. «Certains gestionnaires vont carrément brûler les ailes de leurs travailleurs parce qu’ils sont trop centrés sur la production, déplore-t-il. Il faut non seulement valoriser ce trait de caractère, mais aussi instaurer des mécanismes pour transformer leurs idées en actions.»

Cultiver la curiosité

Pour favoriser la curiosité, les leaders doivent d’abord montrer l’exemple, de l’avis de Pierre-Marc Leblanc. «Les gestionnaires ont parfois l’impression que, s’ils n’ont pas l’air sûrs d’eux, on remettra en doute leurs compétences. Ils ont souvent le réflexe de prendre la parole, d’être directifs, plutôt que d'adopter une posture d’écoute», remarque-t-il. Poser des questions et être ouvert aux différentes opinions met donc la table à ces comportements et encourage les équipes à agir de même.

Pénélope Codello ajoute que les organisations doivent aussi créer des conditions propices à l’exploration, notamment en permettant aux travailleurs de faire des essais et des erreurs. «La curiosité n’apporte pas nécessairement un résultat à court terme, dit-elle. Il faut donc accepter que les employés prennent le temps d’explorer, ce qui leur permettra de développer leurs compétences, et ce sera forcément bénéfique à un moment donné. Surtout que le mécanisme central de la curiosité, c’est le relationnel; c’est en discutant avec les autres qu’on découvre de nouvelles pratiques, des idées différentes.» Autonomie et confiance sont également de mise.

Miser sur l’«intrapreneurship» permet aussi de laisser place aux initiatives, en outillant les travailleurs pour qu’ils puissent être proactifs, comme l’explique Eric Provencher. Ce faisant, les employés seront naturellement portés à explorer et à expérimenter, selon lui. «Certaines personnes, comme celles qui sont plus anxieuses, pourraient s’enliser dans les recherches, sans passer à l’action. Pour éviter cela, on peut fixer des échéanciers, un cadre global, des cibles…», illustre-t-il, ajoutant que «l’organisation peut aussi créer des rendez-vous pour stimuler la réflexion; autour du plan stratégique, par exemple. De même, il est important de se permettre d’avancer à petits pas.»

Et pourquoi ne pas ajouter des objectifs liés à l’apprentissage pour attiser la curiosité? «Au début d’un projet, on pourrait demander aux travailleurs quelles sont les nouvelles procédures, les nouvelles technologies qu’ils auraient intérêt à maîtriser, suggère Pierre-Marc Leblanc. Le simple fait de les faire réfléchir en amont à ce qu’ils gagneront à apprendre stimulera leur désir de savoir.» Ce type de cibles aurait aussi une incidence sur la motivation des troupes.

«Certes, la curiosité assure la compétitivité des entreprises, mais j’irais jusqu’à dire que cela peut donner un sens au travail, puisqu’on encourage ainsi les employés à développer leurs talents», résume Eric Provencher. Une voie à ne pas négliger, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.