Vitesse intensifiée, charge de travail exponentielle, multiples projets non priorisés : la charge mentale des gestionnaires et de leurs équipes est lourde, et leur stress (voire leur détresse) est constamment en augmentation. La clé? Être davantage présent.

Comment soutenir la capacité de présence à soi – mais aussi la présence active aux autres – dans les milieux de travail? Il ne suffit plus de multiplier les actions auprès des employés, il faut également transformer l’organisation même du travail.

Première question à se poser : sur quoi avons-nous du pouvoir? Certes, nous en avons sur nous-mêmes et sur notre capacité à ne pas subir les répercussions de nos nouveaux environnements de travail. Nous devons prendre conscience que ces derniers peuvent avoir des incidences sur notre énergie, nos pensées, nos émotions, nos besoins et nos aspirations. C’est un travail de tous les instants de ne pas se laisser distraire par l’arbre qui cache la forêt, et de ne pas se laisser submerger par le tsunami émotionnel qu’engendre le stress.

La conscience de soi, la conscience sociale, la maîtrise de soi et la gestion des relations sont au cœur de l’intelligence émotionnelle. Plus que jamais, il est essentiel de soutenir la capacité des personnes à ressaisir leur propre pouvoir. Cela repose d’abord sur une discipline de développement personnel, notamment autour de pratiques comme la méditation pleine conscience, le yoga ou le qi gong.

Tisser les liens d’affiliation et d’appartenance

La nouvelle organisation du travail en mode hybride a permis à plusieurs d’entre nous de mieux équilibrer horaire et charge de travail. Cependant, un danger pointe à l’horizon : notre regard est de moins en moins tourné vers l’extérieur. Nous sommes de moins en moins «disponibles» pour les autres. Assisterions-nous à une régression notoire de notre capacité à aller à la rencontre d’étrangers, et même de nos propres collègues?

Pour bâtir des milieux de travail à la fois pérennes, inclusifs et vivants, les gestionnaires doivent stimuler l’aspiration et l’engagement de leurs employés à interagir avec les autres. À l’ère du télétravail (peu propice aux interactions entre les gens), la conscience sociale et la capacité à faire preuve d’empathie et de bienveillance sont devenues des compétences cruciales au sein des équipes.

Or, le sentiment d’appartenance et d’affiliation vécu par les personnes fraîchement recrutées n’a jamais été aussi fragile, même de nombreux mois après leur entrée en poste. Explication : la compréhension des codes informels et de la culture organisationnelle est beaucoup plus lente à acquérir à distance, ce qui accentue le stress de performance tout comme la peur de commettre des erreurs. Pour un nouvel employé, il devient difficile de prendre sa place et de faire ses preuves lorsqu’il lui manque l’essentiel : un terreau social et humain, tissé de liens informels et fortuits. Dans plusieurs grandes organisations, la notion même de bureau a parfois disparu.

La recherche accrue d’efficience et de productivité, à travers un mode de travail hybride, s’obtient ainsi au prix de trous béants dans le tissu social organisationnel et d’une grande régression dans la capacité à rencontrer véritablement l’autre.

Soutenir l’engagement, l’intégration et la diversité

Être présent, c’est être présent à soi et attentif à l’autre qui se révèle en nous-même. Au cours de notre vie, différentes rencontres façonneront la personne que l’on deviendra et s’inscriront ainsi dans notre histoire. Réduire ces contacts à des rencontres par écrans interposés, c’est nous condamner à dialoguer à travers notre propre miroir et nous priver de cette possibilité de se laisser marquer par l’autre et de s’identifier à lui. C’est aussi faire une croix sur de multiples univers qui nous effraient peut-être, mais que nous pourrions tout de même apprivoiser.

Alors que l’équité, la diversité et l’inclusion sont sur toutes les lèvres, n’est-il pas paradoxal de faire l’apologie de l’agilité et de la gestion du changement et, simultanément, de consentir à des organisations du travail de plus en plus hermétiques à l’intégration de nouvelles personnes, notamment les personnes neuroatypiques?

Selon plusieurs organismes qui travaillent en faveur de l’intégration en milieu de travail des personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme, les efforts consentis par les entreprises ou les organisations publiques pour mieux intégrer ces travailleurs ont fortement ralenti depuis la pandémie. Alors que ces personnes pourraient combler des emplois vacants en période de pénurie de main-d’œuvre, encore trop peu d’organisations ont (ou prennent) le temps d’intégrer et de suivre ces personnes… en raison notamment du manque de personnel!

Les milieux de travail doivent remplir leurs fonctions de creuset social et d’inclusion par la création d’un sentiment d’appartenance qui repose sur un pacte social régi non seulement par le contrat de travail, les valeurs et les orientations stratégiques, mais aussi par tous les rites, cérémonies et codes véhiculés dans les interactions (provoquées ou spontanées) entre employés, et ce, quelles que soient leurs différences.

Stimuler la collaboration et la rencontre des autres

Concrètement, voici plusieurs idées porteuses pour stimuler l’ouverture aux autres :

– Se doter de véritables stratégies et moyens pour intégrer les personnes nouvellement recrutées dans les organisations.

Des parcours d’intégration en présentiel, des dispositifs de jumelage, du mentorat, du co-coaching entre employés plus anciens et nouveaux employés, entre jeunes et moins jeunes ou entre des personnes installées depuis longtemps dans la société québécoise et de nouveaux arrivants : tous ces moyens peuvent contribuer à faciliter les relations au sein des équipes.

– Débusquer les préjugés et modèles mentaux présents dans les organisations.

Il est parfois nécessaire de revoir la culture organisationnelle pour encourager des styles de leadership plus riches et plus diversifiés, qui misent autant sur la recherche d’action et de résultats que sur la relation et l’intuition.

– Développer une culture de partenariat et de leadership partagé, pour susciter la collaboration et briser les vases clos.

Il peut être intéressant par exemple de confier le pilotage d’une organisation à deux leaders aux responsabilités interdépendantes, en attribuant la responsabilité d’un sous-secteur à chacun d’eux.

– Généraliser l’échange des savoirs et des expertises au sein des équipes.

Les mentors peuvent être encouragés à devenir eux-mêmes des mentorés. Ce mécanisme de réciprocité ou de relais peut favoriser les relations entre les personnes.

– Mettre en place des dispositifs d’échanges, non seulement transversaux, mais aussi du «bas» vers le «haut».

Pour accélérer la transformation des cultures organisationnelles, il est essentiel de donner la parole à des personnes trop rarement consultées et encore moins impliquées (par exemple dans les rencontres d’employés ou dans les projets demandant une réflexion stratégique).

– Saisir les occasions (ou les susciter) pour favoriser les échanges et les rencontres entre employés. 

Pourquoi ne pas organiser des événements de partage de repas entre collègues de cultures différentes, ou encore, des rencontres d’échange d’expériences ou d’expertises? Les possibilités sont nombreuses pour renforcer la cohésion des équipes et la motivation des individus.

Être présent à soi et aux autres, c’est aussi témoigner de notre ouverture et de notre engagement à aller à la rencontre des personnes que l’on croise sur notre route. C’est un engagement exigeant, qui demande de faire des efforts et de porter une attention réelle à ses prochains.