C’est la tendance de l’heure : de plus en plus d’entreprises s’intéressent à la transparence salariale et plusieurs États dans le monde légifèrent en ce sens. Quels sont les avantages — et les inconvénients — à jouer cette carte?

En 2020, la fondatrice et présidente d’OROKOM, une firme de services-conseils, a amorcé une démarche pour rendre son organisation plus transparente, au point de vue salarial. «Je trouvais que c’était essentiel, puisque je gérais déjà à livre ouvert quant aux revenus et aux dépenses. C’était donc la dernière information à diffuser», explique Catherine Lamontagne.

Or, plusieurs membres de son équipe étaient réticents à l’idée de voir leur salaire dévoilé à leurs collègues. «Ils avaient peur que cela influence la perception que leurs autres avaient d’eux», se rappelle-t-elle. Si aujourd’hui, toute l’équipe sait qui gagne quoi, il a donc fallu préparer le terrain pour en arriver là. «Pour que cela fonctionne, il faut vraiment réunir les conditions gagnantes et pour cela, il faut prendre le temps de sensibiliser, d’informer, de structurer, d’impliquer les parties prenantes.»

Si les efforts sont grands, il s’agit d’un geste important pour offrir plus d’autonomie à ses troupes, qui comprennent maintenant tous les rouages de la rémunération et comment évoluer dans l’entreprise. «Cela va de pair avec ma philosophie dans la vie, qui mise sur l’empowerement. C’est un jalon important qui permet d’avoir plus de contrôle sur sa destinée.»

Un intérêt grandissant

Selon Mélissa Pilon, experte-conseil en gestion de la rémunération chez Rémunération & Co., rares sont les entreprises qui vont aussi loin dans leur processus de transparence salariale. Son équipe et celle de La Talenterie ont fait enquête auprès de 203 organisations sur les avantages sociaux et les pratiques RH distinctives dans les PME québécoises en 2020 et en 2022. «Seul 1% des entreprises avaient des salaires complètement ouverts et partagés», note-t-elle. Toutefois, l’étude montre que le nombre d’organisations qui partagent des informations chiffrées, comme la valeur minimum et maximum de leur échelle salariale, a doublé et représente 39% des répondants. «On voit que les choses changent lentement, mais sûrement.»

La tendance est d’ailleurs à nos portes alors que 17 États américains, comme la Californie ou New York, ont adopté ou prévoient d'adopter des lois sur la transparence salariale, rapporte Mélissa Pilon. Ces législations proposent différentes mesures, comme interdire aux employeurs de demander à un candidat son salaire antérieur ou obliger les employeurs à dévoiler les échelles salariales aux candidats qui le demandent. L’Ontario voulait aussi se doter d’une loi obligeant les organisations à indiquer les échelles salariales directement sur leurs offres d’emploi. Censé entrer en vigueur en 2019, le projet de loi est toutefois sur la glace, ajoute la spécialiste.

Une réalité nuancée

Des mesures à l’image du concept même de la transparence salariale qui prend différentes nuances. «On peut définir une politique salariale et en faire part aux travailleurs, identifier l’échelle salariale de l’employé et lui expliquer pourquoi il s’y trouve. On peut aussi communiquer le minimum et le maximum d’une échelle ou d’un poste convoité, donner accès à toutes les échelles salariales ou aux salaires», donne-t-elle en exemple. À chaque entreprise de déterminer jusqu’où elle est prête à se rendre.

Bref, c’est plus qu’une question de chiffres sur un talon de paie. «La transparence salariale, c’est le fait de mettre à la disposition des employés et des gestionnaires des informations sur les processus et les décisions qui ont été prises par l’organisation sur les questions de rémunération», spécifie Mélissa Pilon.

Il faut donc s’assurer que c’est clair, tant chez les employés, que chez les gestionnaires, soutient-elle. «En matière de rémunération, tout est une question de perception», renchérit Sylvie St-Onge, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. Si elle estime que les organisations devraient garder une certaine discrétion par rapport aux salaires, elles ont tout de même avantage à mettre de l’avant des règles claires. «Cela permet aux travailleurs d’avoir le sentiment d’être traités de façon juste et équitable», juge-t-elle.

Par contre, il faut « faire le ménage avant de montrer l’intérieur de sa garde-robe », illustre Sylvie St-Onge. «Certaines petites entreprises ont grossi rapidement et ont été gérées à la va-comme-je-te-pousse. Elles ont tout intérêt à établir une structure salariale claire, à établir les principes sur lesquels se fondent les règles du jeu.» Cela permet aussi de corriger les anomalies, si une personne est payée plus que les autres, souligne-t-elle. Sans réduire sa paie, il est possible de lui proposer un plan de développement des compétences et la prévenir qu’elle n’aura pas d’augmentation tant que les autres ne l’auront pas rejointe sur son échelon.

Préparer le terrain

De plus, vaut mieux éviter d’aller trop vite – ou trop loin. Par exemple, si publier les échelles salariales à même ses offres d’emplois est une bonne idée pour les candidats, il faut préparer le terrain avant, avertit Mélissa Pilon. «Si une personne apprend sur les médias sociaux qu’elle est payée au minimum de l’échelle alors qu’elle pensait se situer en haut, elle risque d’être démotivée. Avant d’ouvrir à l’externe, il faut faire ses devoirs à l’interne, sinon cela peut créer des vagues et des frustrations.» Bref, les échelles salariales sont souvent teintées de gris, et il faut pouvoir l’expliquer et le faire comprendre.

Même si c’est exigeant, se montrer plus transparent apporte plusieurs bénéfices. Le choix d’établir des balises claires augmente la confiance des troupes et force les organisations à se tenir à jour, fait valoir Mélissa Pilon. «Cela permet aussi de se positionner comme un leader dans le marché.» Cela minimise aussi les risques de mauvaises perceptions et de rumeurs. «Mais surtout, plus les entreprises vont se montrer ouvertes sur ces questions, plus les écarts vont s’effacer et les iniquités, disparaître», ajoute-t-elle. Le jeu en vaut donc la chandelle, croit Catherine Lamontagne. D’ailleurs, la présidente d’OROKOM ne reviendrait pas en arrière.