Salaires, décisions stratégiques, données sur la performance : de plus en plus d’employés veulent être au courant de ce qui se passe chez leur employeur, même dans les coulisses. Mais entre partager l’information au compte-gouttes et tout dire, il y a un juste milieu à atteindre.

Ce n’est pas d’hier que les employés recherchent de la transparence. Un modèle poussé à l’extrême dans les années 1990 par Ray Dalio, fondateur de Bridgewater Associates, le plus important gestionnaire de fonds spéculatifs au monde. Dans son best-seller, Les principes du succès, il explique que dans son entreprise, tous les employés ont accès aux documents internes, des états financiers aux résumés des rencontres des dirigeants, et ont voix au chapitre dans les décisions de l’organisation.

Or, ces principes de «transparence et de vérité radicales» ont plutôt contribué à faire régner un climat de terreur au sein Bridgewater Associates, a montré une enquête menée auprès de centaines d’employés. Plutôt que de stimuler l’émulation, la créativité et la confiance, la transparence a plutôt engendré une culture toxique, rapporte le journaliste Rob Copeland dans le livre Le roi de la finance .

C’est aussi l’une des dérives que voit Gaëtan Namouric, fondateur et président de Perrier Jablonski et chargé de cours à HEC Montréal. Appliquée sans nuances, la culture de la transparence devient plutôt une culture… de la surveillance. Cela enferme les employés dans une sorte de prison où l’exhibition est obligatoire, souligne-t-il, reprenant les mots de la philosophe et autrice Julia de Funès.

«Cette surveillance, c’est l’abolition de l’autonomie et de la spontanéité des employés et au final, du bon sens. Trop d’injonctions contradictoires – par exemple demander l’authenticité, mais aussi le respect des règles – mènent à un magma d’informations floues et à la perte de sens. On forme ainsi de bons exécutants, qu’on infantilise en leur retirant leur jugement», illustre-t-il.

Cap sur la franchise

Ces exemples montrent qu’il faut réfléchir aux limites de cette transparence, pour créer un réel climat de confiance dans une organisation. C’est pourquoi certains chercheurs estiment qu’il faut plutôt opter pour la franchise, où la divulgation d’informations est un choix volontaire et où le droit à l’intimité est respecté. Pour sa part, Pierre Lainey, maître d'enseignement sénior au Département de management de HEC Montréal, aime bien parler de «transparence sélective».

«Le piège, c’est que certains gestionnaires vont avoir tendance à tout dire parce que, pour eux, c’est une démonstration de proximité avec leur équipe, de confiance», note-t-il. Au contraire : dévoiler des informations qui ne sont pas utiles pour la personne a plutôt pour effet d’alimenter sa méfiance, observe-t-il, parce qu’elle ne comprend pas pourquoi on lui communique cela.

De plus, certaines informations – les raisons d’un congédiement ou le fait de jongler avec l’idée de supprimer des postes par exemple – ne doivent tout simplement pas circuler, pour ne pas nuire à l’organisation ou à ses employés. Toutefois, s’il est normal de garder certaines informations pour soi, il faut être en mesure d’expliquer les raisons de son silence.

En somme, tout dire n’est pas la voie à suivre. Les études démontrent même que diffuser trop d’informations peut créer «de la confusion et de la dissension, parce que chaque personne va interpréter les choses à sa façon», souligne Pierre Lainey. En effet, devant cette surabondance d’informations, chaque employé doit effectuer lui-même le tri et en tirer ses propres conclusions.

Il faut donc revenir aux bases, estime celui qui enseigne entre autres la communication organisationnelle. «Quand on parle de transparence, qui communique l’information? Il faut déjà que la personne ait un capital de crédibilité, si on veut que cela soit perçu positivement. Est-ce que les informations sont concises et pertinentes pour le travail que font les gens? Le message, clair? Ensuite, comment diffuser le tout? Par exemple, est-ce une bonne idée de le faire devant une salle remplie? Le moment est aussi important.» Pour favoriser la rétroaction et le dialogue, Pierre Lainey suggère d’ailleurs de passer par les «leaders d’opinion», ces personnes qui ont de l’influence dans l’entreprise.

Bref, il faut cesser de penser que tout le monde doit tout savoir, tout le temps, insiste Gaëtan Namouric. «C’est un peu comme si on avait oublié de revenir à la base et de se demander qui doit savoir quoi, en fonction de son niveau hiérarchique.» Encore une fois, tout est question d’équilibre.