L’heure de la retraite a sonné pour les baby-boomers : ceux d’entre eux qui possèdent une entreprise chercheront très probablement à la transférer dans les années à venir. Cette procédure ne peut toutefois réussir sans préparation, surtout lorsqu’elle s’effectue dans le cercle familial. Le point avec Maurice Mongrain, président-directeur général de l’Association de planification fiscale et financière (APFF).

Au total, plus de 75% des propriétaires de PME comptent passer leur société à un repreneur dans les 10 ans, selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). Ce transfert de richesses est sans précédent, pour un montant évalué à 2 milliards de dollars en actifs commerciaux.

Mais le succès n’est jamais garanti en matière de transfert d’entreprise. Il fait même figure d’exception : au cours des cinq dernières années, seul le tiers des opérations entreprises en ce sens ont réussi au Québec d’après le Guide de référence sur le transfert d’entreprise, réalisé par la Chaire IG Gestion de patrimoine en planification financière de l’Université Laval. Et ce, que ces opérations aient été effectuées vers un proche, un employé ou un acheteur externe.

Transfert en famille, un défi

Principal point d'achoppement? Le facteur humain, selon la majorité des entrepreneurs (65%). Une donnée particulièrement sensible lorsque le plan de succession s’établit dans le cadre familial.

Ce cas de figure peut, par exemple, favoriser le transfert au détriment de la formation et de l'expérience du repreneur, souligne Maurice Mongrain. «Si l’enfant qui reprend l’entreprise a déjà eu des cours universitaires dans le domaine des affaires, c’est une chose, mais ce n'est pas toujours le cas.»

Il s’agit également pour le vendeur de ne pas créer de conflits s’il a plusieurs enfants, car certains pourraient être frustrés de ne pas bénéficier du transfert, poursuit l’avocat de formation. «Il faut veiller à les compenser pour cette opération, en prévoyant pour eux un don ou un héritage plus élevé.»

Autres obstacles potentiels : les employés qui voient d’un mauvais œil de recevoir des ordres d’un jeune patron manquant d’expérience, ou encore la difficulté pour le parent de ne pas mettre son nez dans les décisions de son successeur. «Ce n’est pas simple, c’est un défi. Mais ça se réussit», affirme Maurice Mongrain.

Maurice Mongrain

Maurice Mongrain, président-directeur général de l'APFF.

Savoir planifier et s’entourer

Pour le PDG, le succès passe nécessairement par la préparation du transfert, «quelques années, au moins», et par l’accompagnement des vendeurs comme des acheteurs par des professionnels qualifiés. 

En premier lieu, il s’agit pour les deux parties d’effectuer un bilan. Financier et de compétences pour l’acheteur; des avoirs et besoins financiers de retraite pour le vendeur.

Maurice Mongrain souligne que l’appel à un planificateur financier est précieux à cette étape, particulièrement pour le vendeur. «Il aide le parent à établir les montants dont il va avoir besoin annuellement pour maintenir son train de vie après la vente de l’entreprise ainsi que le type de placements qu'il pourra faire pour s’assurer un revenu raisonnable. Il peut aussi lui suggérer de prendre des assurances.»

Dans un second temps, le cédant doit établir la valeur de son entreprise le plus justement possible. «Si elle est trop chère, l’enfant qui la reprend est pénalisé et peut avoir de la misère à assurer la survie de l’entreprise. Mais si l’on ne vend pas assez cher, les frères et sœurs peuvent être envieux.» Selon le président, le recours à un comptable est la condition minimale pour parvenir à déterminer un prix de vente honnête.

Le repreneur aussi doit évaluer la profitabilité de la transaction, car il doit s’assurer de dégager suffisamment de profits pour vivre correctement, rembourser la banque et éventuellement le parent qui aurait pu l’aider à réaliser l’achat. «Tous ces paramètres plaident pour élaborer différents scénarios financiers avec les comptables.»

En fin de compte, la clé du succès repose, aux yeux du PDG, sur l’équilibre à trouver entre le besoin du vendeur d’assurer sa sécurité financière et celui de favoriser les chances de réussite du repreneur, car leurs intérêts peuvent diverger. «Par exemple, sur la question de savoir si le vendeur devrait procéder à une vente d’actifs ou d’actions : la vente d’actions va être intéressante pour lui, parce qu’elle favorise l’exemption sur le gain en capital, mais l’acheteur peut être avantagé par la vente d’actifs qu’il pourra amortir fiscalement.»

Les fiscalistes, indispensables

Les éléments de fiscalité sont sans conteste le fil rouge reliant toutes les étapes de la planification du transfert d’une entreprise. Aussi, Maurice Mongrain préconise l’accompagnement des deux parties par des experts de ce domaine tout au long de l’opération.

Qu’il représente le vendeur ou l’acheteur, le rôle du fiscaliste est de s’assurer que la transaction se déroule, en toute légalité, le plus possible à l’abri de l'impôt. À condition que le client se qualifie. «Il faut notamment s’assurer que le transfert d’entreprise se fasse sans application de TPS et de TVQ. Si le vendeur est admissible à l’exemption de capital, ça fait également une différence sur le prix qu’il va exiger. Quant à l’enfant, il faut qu’il s’assure de ne pas payer de taxes à l’achat et d’avoir une structure pour minimiser les impôts payables.»

Outre le planificateur, le comptable et le fiscaliste, beaucoup d’autres professionnels peuvent contribuer à la réussite d’un transfert d’entreprise incluant avocats, notaires, experts en évaluation d’entreprise, courtiers ou encore psychologues. Ces derniers peuvent notamment aider un parent à déterminer son repreneur et à lâcher prise sur sa compagnie.

Des ressources pour les professionnels

Par ailleurs, des ressources existent pour aider les professionnels susceptibles d'être impliqués dans un transfert d’entreprise, notamment les membres de l’APFF, rappelle son PDG. «Nous avons un congrès annuel, une dizaine de colloques par an et des articles publiés. Tout est capté, disponible en ligne et des informations pertinentes sont accessibles dans les banques de données.»

Maurice Mongrain loue, en conclusion, le rôle du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), un organisme public qui fait le lien entre vendeurs et acheteurs potentiels par le biais d’une banque de données. «Cette structure est là pour créer des occasions d’affaires, car les vendeurs n’ont pas toujours d’enfants et lorsqu’ils en ont, ces derniers ne sont pas toujours intéressés par le rachat.»