Article publié dans l'édition printemps 2019 de Gestion

La transition énergétique que nous pressent d'amorcer les scientifiques les plus crédibles du monde entier n'est pas la première de l'histoire de l'humanité. Mais celle-ci est d'une toute autre nature que les précédentes. Examen de cet immense défi collectif.

L’expression « transition énergétique » a été largement popularisée ces dernières années. Pourtant, il n’y a pas de façon objective communément acceptée de définir cette transition ni d’en mesurer l’ampleur. Dans le monde des affaires, elle est souvent présentée comme un choix absolu entre l’environnement ou l’économie. Or, il s’agit là d’un faux débat.

L’humanité n’en est pas à sa première transition énergétique. Les transitions précédentes ont été motivées par l’accès à des sources d’énergie plus performantes. Un saut remarquable s’est produit lorsque nous sommes passés de la biomasse (principalement le bois), dont le rendement est faible, aux combustibles fossiles (le charbon d’abord, le pétrole ensuite), dont le rendement est élevé, comme source principale d’énergie.


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transitions energetiquesL’ère des hydrocarbures (charbon, pétrole et gaz naturel) a accéléré la transformation de quantités sans cesse croissantes de ressources en biens et a favorisé un essor économique à l’échelle de la planète, en plus d’améliorer substantiellement les conditions de vie de collectivités entières. Les hydrocarbures ont ainsi contribué à la fois à structurer nos économies modernes et à façonner nos attentes en matière de croissance économique. Toutefois, depuis le milieu des années 1990, on remarque que la croissance du PIB québécois a été plus rapide que celle de la consommation d’énergie et que l’intensité énergétique1 de l’économie a également décru, signe que nous faisons tout de même quelques progrès (voir graphique). Or, afin de respecter l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la Politique énergétique 2030 du gouvernement du Québec2 (cet objectif équivalant à une baisse des émissions globales de 18 % sous le niveau de 1990), il faudra, au cours des 11 prochaines années, plus que doubler la baisse des émissions de GES provenant de la consommation d’énergie que le Québec est parvenu à réaliser depuis 1990, soit au cours des 28 dernières années.

Mais en ce qui a trait à la transition énergétique actuelle, qu’est-ce qui la rend unique par rapport aux précédentes ?

Des conséquences imprévisibles : les GES

La combustion d’hydrocarbures a des conséquences qui n’étaient pas connues au début de la première révolution industrielle : l’émission de GES responsables de la hausse des températures planétaires et du dérèglement climatique. Cette crise est le principal déclencheur de la transition énergétique actuelle. Si les transitions énergétiques du passé ont coïncidé avec la découverte de sources d’énergie plus performantes qui se sont ajoutées aux sources d’énergie déjà disponibles, la transition énergétique actuelle n’obéit pas à cette logique. En effet, elle a essentiellement pour but d’éviter une catastrophe écologique dont les répercussions à grande échelle (sociales, économiques, politiques, humanitaires, etc.) sont difficiles à évaluer. Pour cela, il nous faudra d’abord réduire notre consommation totale d’énergie partout dans le monde. Ensuite, nous devrons compenser les GES ou réduire au minimum ce qui subsistera de notre consommation d’hydrocarbures en ayant recours à des sources d’énergie qui émettent moins de GES (solaire, éolien ou biocarburants, par exemple), toutefois plus coûteuses dans certains cas et dont le rendement énergétique est plus faible que celui du pétrole.

Cette transition est donc radicalement différente de toutes les précédentes.croissance economique moins dependante

Économie circulaire : conjuguer économie et écologie

Si les sources d’énergie structurent nos économies et si nous devons passer des hydrocarbures à de nouvelles sources d’énergie dont les émissions de GES sont plus faibles, la question que nous devons nous poser n’est pas de savoir si les nouvelles énergies peuvent résoudre la crise climatique sans répercussions sur l’économie actuelle, qui repose largement sur le pétrole. Cette optique oppose économie et environnement : il est donc difficile d’imaginer que la transition se fera sans résistance. Pour éviter de devoir choisir entre l’un ou l’autre, il s’agit plutôt de déterminer ceci : quels genres de modèles économiques et de modèles d’affaires peuvent s’accorder aux caractéristiques des énergies renouvelables, dont les rendements et la performance sont souvent moins élevés ? C’est ce nouveau point de départ qui permettra de définir à la fois l’économie de demain et les solutions nécessaires pour réussir cette transition d’une économie linéaire à une économie circulaire. À partir de cette perspective, la priorité devra être accordée à la réduction des pertes énergétiques ainsi qu’aux gains d’efficacité et d’optimisation des ressources utilisées pour produire, transformer et livrer les biens et services dans nos économies, car la disponibilité et les prix des nouvelles énergies seront différentes des hydrocarbures. Et l’inaction pourrait s’avérer coûteuse.transition actuelle

À titre d’exemple, l’organisme indé- pendant Acadia Center estimait dans une étude récente3 que si le gouverne- ment du Québec consacrait 1,5 milliard de dollars à des programmes d’efficacité énergétique au cours des 15 prochaines années, la province pourrait voir son PIB croître de 118 milliards, tandis que plus de 62 300 nouveaux emplois seraient créés chaque année. Les émissions de GES diminueraient de 15 mégatonnes par an (ce qui équivaut à 17 % des émissions du Québec en 2014). À l’heure actuelle, le financement des mesures d’efficacité énergétique au Québec, selon le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, demeure sous la barre du 1 % des dépenses annuelles en énergie au Québec (la moyenne nord-américaine à cet égard se chiffre à 3 %). Bref, si nous décidons en toute inconscience de ne pas mettre en œuvre un ambitieux programme d’efficacité énergétique chez nous, nous renoncerons ni plus ni moins à la création d’une énorme valeur économique.

L’énergie au cœur des décisions d’affaires

La transition énergétique est une occasion sans précédent d’améliorer le rendement de notre économie. Quant aux hydrocarbures, ils doivent servir, d’ici 15 ans, de passerelle pour mettre en place les infrastructures d’une économie plus productive, moins énergivore et fondée sur des sources d’énergie renouvelables. Cela sera-t-il facile à réaliser ? Non, car nous irons à l’encontre de nos habitudes de consommation et de la tendance historique des transitions énergétiques précédentes.

Cependant, le fait de définir la transition énergétique actuelle autour d’objectifs de productivité et de circularité économiques va inévitablement placer l’énergie au cœur de toutes les décisions d’affaires. Et les entreprises qui deviendront les leaders de demain seront celles qui parviendront à optimiser la consommation d’énergie et des autres ressources dans toutes leurs activités.

Le cri d’alarme lancé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport d’octobre 2018 était catégorique : un virage radical de notre consommation d’énergie est nécessaire si nous voulons éviter la catastrophe4. La bonne nouvelle, c’est que nous disposons des moyens de nos ambitions : l’humanité n’a jamais eu autant de richesse et de surplus énergétiques à sa disposition tout au long de son histoire. Il ne reste plus qu’à mettre à profit notre imagination afin de construire une économie différente de celle que nous connaissons depuis si longtemps. 


Notes

1- L’intensité énergétique correspond aux unités d’énergie consommées par unité de valeur économique produite (PIB).

2- Gouvernement du Québec, Politique énergétique 2030 – L’énergie des Québécois, source de croissance, 2016, 64 pages.

3- Acadia Center, « L’efficacité énergétique, moteur de la croissance économique au Canada – Cadre de modélisation macroéconomique et d’évaluation de l’incidence sur les recettes fiscales », rapport préparé pour Ressources naturelles Canada, mars 2014, 86 pages.

4- Intergovernmental Panel on Climate Changes (IPCC – GIEC), Global Warming of 1.5 °C – Summary for Policymakers, octobre 2018, 33 pages.