Article publié dans l'édition Automne 2014 de Gestion

Partout sur la planète, le secteur de la santé fait face à de grands défis.

Nous sommes témoins de changements majeurs dans le profil démographique des clientèles et dans les attentes des patients. Par ailleurs, des percées médicales et technologiques soulèvent de grands espoirs, tout en posant des défis liés à l’accès et à l’équité.

Pour répondre aux nouveaux enjeux et aux occasions qui se présentent, dans un contexte budgétaire toujours plus difficile, les gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux s’attellent à la tâche afin d’optimiser et de repenser leurs organisations. Malheureusement, les améliorations apportées au système et les réponses qui sont données à ces enjeux ne satisfont pas toujours aux attentes de résultats que les contribuables et la société sont en droit d’espérer.

Pourtant, le réseau de la santé et des services sociaux regorge d’exemples et de leçons auxquels il vaut la peine de s’arrêter pour s’en inspirer et transformer le système. Plusieurs organisations se sont appliquées à revoir avec succès l’organisation de leurs processus cliniques et administratifs.

On recense aussi des organisations qui ont excellé à déployer des technologies ou des pratiques pour soutenir leurs services. Les gestionnaires de la santé et des services sociaux sont nombreux à instaurer de nouvelles pratiques de gestion et à guider leur établissement vers un changement de culture plus propice à l’efficacité et à l’efficience des services offerts.

Cependant, la pénétration de ces idées reste souvent superficielle, faute d’un soutien adéquat à la mise en valeur de ces accomplissements ou encore faute d’une réflexion suffisante sur les conditions à réunir pour disséminer ces bonnes pratiques dans tout le réseau. C’est souvent en ce sens que l’accompagnement de chercheurs, dans le parcours d’une transformation, apporte quelque chose de plus pour dégager les apprentissages à tirer des expériences vécues.

On entend parfois que « si l’on n’est pas d’accord avec la réponse, il faut alors poser la question de façon différente ». Cette boutade invite à se rendre compte du fait que c’est souvent la question qui déclenche le processus réflexif et qu’une bonne question peut permettre de fournir un éclairage différent ou un angle d’attaque novateur quant à un enjeu et amener une solution toute nouvelle.

Ce numéro thématique regorge de ces bonnes questions qui permettent d’aborder d’une façon créative les maux de la santé pour découvrir des pistes de solution. Nous avons retenu 12 contributions qui posent des questions selon des perspectives originales et qui témoignent du parcours d’organisations qui se sont réinventées. Nous avons regroupé ces articles en trois blocs de contributions.

Le premier bloc porte sur un thème qui est cher au Pôle santé, soit la migration vers une gestion en mode transversal. Le deuxième bloc concerne des enjeux relatifs aux ressources humaines et à l’accompagnement des cadres dans les défis de la transformation. Finalement, le troisième bloc a trait à la transformation des organisations qui adoptent un virage Lean.

Adopter une vision transversale et repenser l’organisation autour de ses clients

Nous proposons, dans le bloc portant sur la gestion transversale, un florilège d’articles qui s’inscrivent dans cette mouvance. Tout d’abord, un article de fond d’Ariane-Hélène Fortin et Alain Rondeau aide à comprendre la gestion en mode réseau. On découvre, au fil de l’article, que la gestion en réseau est possiblement la réponse attendue aux défis de la santé au XXIe siècle, mais qu’elle demande par ailleurs la présence de conditions pour assurer son implantation et sa pérennité.

Dans ce contexte de mise en place des réseaux, le champ des possibles est multiplié si on le couple au levier que procurent les technologies de l’information. Julien Meyer, Guy Paré, Marie-Claude Trudel et Bernard Têtu nous présentent l’expérience de l’implantation d’un des plus importants réseaux de télépathologie du monde.

L’article décrit l’ensemble des enjeux que les équipes concernées ont dû relever pour l’établissement de ce réseau dans l’est du Québec.

L’intérêt d’une gestion en mode réseau réside aussi dans le fait qu’elle invite les établissements à partager des données, à se comparer et, éventuellement, à déterminer les meilleures pratiques dans différents processus. L’article de Martin Beaulieu et Hugues Boisvert se penche sur l’analyse comparative comme levier de transformation de différents processus pour dégager des pratiques exemplaires. Les auteurs illustrent leur propos au moyen d’une étude importante qui a été réalisée conjointement avec le Pôle santé sur la gestion de la paie dans les établissements du Québec.

Toujours à partir du même projet sur la gestion de la paie, Josée Busilacchi et Alain Rondeau poussent l’analyse au-delà de la comparaison factuelle de la performance en examinant les obstacles à la gestion par processus au sein de la production de la paie.

Ils font ressortir les problèmes qui rendent ce processus, pourtant si commun, souvent inefficient dans plusieurs établissements. Ils concluent leur article en énonçant des principes de base visant à assurer une gestion par processus efficace et performante.

Le bloc portant sur la gestion transversale comprend un dernier article exposant une analyse longitudinale de l’évolution d’un des processus de réseau les plus anciens : la logistique hospitalière. Condamnée à collaborer pour assurer la circulation des patients, des médicaments et des fournitures entre les différents partenaires de la chaîne logistique, les établissements de santé ont appris progressivement à fonctionner en réseau. Martin Beaulieu, Jacques Roy, Sylvain Landry, Martin Michaud et Clément Roy tracent un portrait des origines de cette gestion transversale. Ils indiquent l’endroit où nous en sommes et offrent des  perspectives pour l’avenir de la logistique hospitalière.

Transformer les organisations de santé : Les individus d’abord

Dans le deuxième bloc portant sur les enjeux touchant aux ressources humaines, nous soumettons à votre réflexion trois articles. Le premier article, préparé par Émilie Gibeau, Ann Langley, Jean-Louis Denis, Marie-Pascale Pomey et Nicolas van Schendel, nous introduit à l’univers des médecins-gestionnaires. Les auteurs présentent les enjeux de la cogestion et des défis relevés par les médecins qui ont décidé de partager leurs responsabilités de gestion avec des cogestionnaires clinico-administratifs.

Pour leur part, Caroline Parent et Céline Bareil offrent un regard sur les équipes internes dédiées à l’accompagnement des changements organisationnels. Elles illustrent de façon pragmatique différentes pratiques de management pour développer et pérenniser ces équipes se consacrant au changement organisationnel.

Finalement, nous vous proposons un article sur le rôle des directions des ressources humaines dans l’accompagnement des cadres au cours d’une transformation organisationnelle. Dans un contexte où des approches de gestion renouvelées fertilisent régulièrement le réseau de la santé, le poids du changement est souvent colossal pour les cadres qui sont en première ligne de ces transformations.

Marie Côté, Jean-François Harvey et Amélie Picard explorent les leviers que la direction des ressources humaines peut activer pour transformer la vision des équipes de direction et habiliter les cadres à opérationnaliser le changement culturel souhaité.

L’approche Lean : une transformation culturelle en profondeur

Le dernier bloc jette un éclairage sur une des transformations culturelles majeures qui redéfinissent actuellement le réseau de la santé : l’approche Lean. Bien que les initiatives et les projets soient nombreux dans cette mouvance, les quatre articles qui forment ce bloc placent l’éclairage davantage sur la transformation culturelle qu’entraîne l’introduction du Lean dans une organisation de santé et de services sociaux.

Tout d’abord, nous exposons deux cas d’organisations phares dans la communauté des établissements de santé et de services sociaux qui ont adopté la culture Lean. Le premier cas, à savoir le parcours du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, est présenté par Sylvain Landry, Sylvain Chaussé et Yvon Paris.

On y relate les débuts de cette aventure au sein de l’établissement estrien, en commençant par la phase de projet et en terminant par la phase où une véritable transformation culturelle s’est installée. On y relève aussi les perspectives d’avenir et les défis à venir pour cette organisation pionnière au Québec en matière de déploiement du Lean.

Le deuxième cas, traité par Cyril Foropron et Sylvain Landry, dresse le portrait du déploiement du Lean à l’Hôpital Saint-Boniface, au Manitoba. L’article examine les défis qui ont été relevés et les grandes leçons à tirer de l’aventure d’un des établissements canadiens les plus avancés dans le déploiement d’une culture Lean. Les auteurs de ce cas mettent en lumière les apprentissages importants qui pourront servir à d’autres établissements qui entreprennent des parcours similaires. Ils soulignent en particulier l’importance d’exercer un leadership transformationnel.

Dans la foulée de ces deux exemples probants, je pro- pose, en collaboration avec Denis Lagacé, le dévoilement d’un outil pour l’appréciation de la maturité du Lean dans les organisations de santé. Cet outil d’évaluation des différents déterminants et traceurs de l’implantation de la culture Lean et des résultats qu’elle doit apporter est le fruit d’une recherche longitudinale d’envergure menée auprès d’un ensemble d’établissements de santé qui ont adopté une démarche de déploiement du Lean.

Nous avons déterminé et validé une série de dimensions pour évaluer sous tous les angles l’épanouissement d’une culture Lean en matière de santé. Nous suggérons une grille d’appréciation modale utile aux directions d’établissements qui souhaitent orienter et hiérarchiser leurs actions dans le déploiement du Lean.

En dernier lieu, un des aspects importants que nous avons soulevés dans notre appréciation de la maturité porte sur la gouvernance de la démarche Lean et des différents projets et initiatives menés dans cette trajectoire. Sylvain Landry et Michèle Beaudoin nous entraînent dans l’exploration des modèles de gouvernance du Lean recensés dans le domaine de la santé et des services sociaux, d’ici et d’ailleurs. Ils constatent justement que les organisations les plus mûres ont établi, au fil du temps, des modèles de gouvernance qui soutiennent non seulement les projets, mais aussi la transformation culturelle dans son ensemble.

Reconnaître les bons coups et dégager les leçons à retenir

Le portrait d’ensemble tracé par ces 12 contributions mises en valeur dans ce numéro thématique amène une réflexion de fond sur les mutations que les réseaux de la santé et des services sociaux connaissent en ce moment. Le contexte actuel laisse également penser que les transformations futures seront à tout le moins aussi importantes pour les établissements de santé du Québec et d’ailleurs.

Le Pôle santé de HEC Montréal a souvent eu le privilège d’être un témoin de ces « bons coups » et d’accompagner plusieurs organisations dans leur parcours de transformation. Les cadres et les professionnels de la santé sont cependant les artisans de ces changements. Notre admiration à titre de chercheurs, d’accompagnateurs et de formateurs est immense envers l’ensemble de ces hommes et de ces femmes dévoués.

Nous sommes heureux de rendre hommage aux réalisations d’envergure au sein des établissements concernés dans les différents projets de recherche soutenant la préparation de ce numéro thématique. Nous souhaitons aussi associer tous ces gestionnaires à la cocréation de connaissances que leur contribution a rendue possible.

De même, nous croyons que les angles d’attaque sélectionnés par les auteurs apportent souvent un éclairage nouveau aux enjeux de la gestion du réseau. Comme je le mentionnais d’emblée, c’est souvent une question adéquate qui permet de trouver la bonne solution. Nous adressons nos plus sincères remerciements aux auteurs qui ont agi comme des phares pour guider notre réflexion sur des points d’ancrage des plus stimulants à l’égard de problèmes récurrents.

Les évidences empiriques accumulées au fil des projets de recherche menés donnent aussi du poids aux conclusions suggérées et engagent les autres établissements à s’inspirer de ces données probantes. Nous espérons que la lecture de ces articles vous accompagnera dans une réflexion sur l’évolution des maux de la santé et des remèdes à y apporter. Nous souhaitons que cette réflexion stimule le transfert des apprentissages et soutienne un essaimage des meilleures pratiques et des leçons apprises dans tous les établissements de santé et de services sociaux du Québec et d’ailleurs.

Bonne lecture !