Article publié dans l'édition Automne 2019 de Gestion

L’industrie 4.0, sujet de l’heure dans le monde universitaire et industriel, fait miroiter des gains importants de productivité et d’efficacité pour les organisations. Toutefois, cette transition technologique demeure un processus évolutif que les PME manufacturières ont très inégalement intégré pour le moment.

Concrètement, le concept de « révolution industrielle 4.0 » renvoie aux nouvelles technologies numériques comme l’Internet des objets, l’intelligence artificielle, l’infonuagique et les mégadonnées, qui ont des répercussions sur les entreprises et sur les organisations en général, tout particulièrement en ce qui a trait au développement de la robotique, de l’apprentissage automatique et de l’usine intelligente.


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Nos plus récents travaux1 permettent de mieux comprendre les motivations des gestionnaires de PME manufacturières québécoises à embrasser ce virage technologique, les défis qui les attendent et les divers stades de développement qui caractérisent ce processus de transition technologique.

L’usine intelligente, symbole parfait du passage au numérique

Le concept d’usine intelligente propose une nouvelle architecture manufacturière, symbole de modernité pour bon nombre d’entreprises. En créant de nouveaux écosystèmes numériques, les entreprises dites 4.0 sont aujourd’hui en mesure d’améliorer et d’assouplir leurs méthodes et leurs procédés de production en les reliant à l’aide de systèmes d’information. Grâce à des dispositifs numériques, les infrastructures disposées en réseaux génèrent des données et facilitent l’intégration d’objets physiques, de machines intelligentes et de personnes.

Les entreprises manufacturières qui amorcent leur transition vers le numérique doivent avant tout se doter de machines intelligentes, autonomes et aptes à échanger de l’information ainsi qu’à prendre des décisions. De façon générale, ces entreprises doivent mettre en place des systèmes cyberphysiques (SCP) qui confèrent aux objets la capacité de communiquer avec leur environnement, ce qui leur permet de contrôler, de surveiller et d’ajuster les processus grâce à des algorithmes tout en guidant les utilisateurs pour que les mécanismes de production s’adaptent en temps réel aux objectifs et à la demande. Et grâce à l’Internet des objets, qui permet aux appareils de générer et d’échanger des données sans intervention humaine, les univers physique et virtuel cohabitent maintenant.

Quand un réseau d’informations s’appuie sur des données en temps réel, les décisions sont prises presque instantanément, ce qui offre aux entreprises la possibilité d’améliorer leurs procédés, leurs produits et leurs services. Plusieurs études2 prospectives démontrent que le passage au 4.0 s’accompagne d’avantages financiers considérables et d’importants gains de productivité et d’efficacité pour les organisations.

La transition vers le 4.0 : constats

Le virage technologique des PME comporte son lot de défis et doit satisfaire à des réalités organisationnelles multiples. Six constats se dégagent de nos observations sur le terrain, plus particulièrement en ce qui concerne les éléments suivants :

  • Les motivations des gestionnaires de PME à entreprendre un virage technologique ;
  • Les processus de changement caractéristiques de ce virage ;
  • Les facteurs clés de succès.

Les motivations des gestionnaires de PME

Optimiser et pérenniser

Si une PME manufacturière entreprend un virage technologique, c’est avant tout pour optimiser ses processus de production et pour assurer sa pérennité. Dans l’industrie manufacturière, où l’amélioration continuelle des capacités productives est névralgique, la transition vers le numérique est un passage obligé afin de pouvoir faire face à la concurrence.

Se prémunir contre la rareté de la main-d’œuvre

La pénurie de main-d’œuvre au Québec et les problèmes de recrutement dans certaines catégories de personnel motivent également les gestionnaires d’entreprise à se tourner vers la robotisation et vers l’autonomisation comme planches de salut potentielles.

Les caractéristiques des processus de changement

Prévoir ou réagir

Deux options s’offrent aux PME : être proactives, c’est-à-dire adopter une stratégie autonome d’innovation et anticiper l’implantation de nouvelles technologies numériques, ou alors se contenter de réagir aux circonstances et de réaliser leur virage technologique par simple mimétisme organisationnel, qui consiste à adapter une approche à celle de certains grands clients, fournisseurs ou concurrents. Dans la plupart des PME que nous avons observées, la deuxième option a été retenue.

Structurer et ordonner

La transition vers l’industrie 4.0 peut emprunter divers chemins, mais sur le plan technologique, elle semble s’articuler autour d’étapes structurantes (voir l’encadré ci-dessus). Peu de PME québécoises semblent engagées dans un processus de transition 4.0 et celles qui ont mis en service un véritable système intelligent constituent des cas d’exception.

À preuve, une récente étude menée dans l’industrie aéronautique au Québec montre que plus de 80 % des entreprises sondées n’ont pas encore pris ce virage numérique3. La conversion au 4.0 est un processus évolutif, certes, mais elle doit devenir un objectif fondamental pour les PME d’ici : il en va de l’avenir du secteur manufacturier québécois.

Les facteurs clés de succès

S’appuyer sur une culture technologique

Il ne fait aucun doute que pour une PME, le fait de posséder un actif technologique s’avère un facteur de succès décisif et influe sur sa capacité à franchir plus rapidement et plus efficacement les divers stades de développement de la révolution manufacturière 4.0. S’il existe déjà une culture de la technologie dans une entreprise et si celle-ci peut compter sur du personnel capable de s’adapter aux changements technologiques, les chances de succès de la transition n’en seront que plus élevées.

Plus une PME progresse dans sa transition numérique 4.0, plus les compétences et le profil de sa main-d’œuvre évoluent5 et plus il est important pour elle d’arrimer la technologie et les ressources humaines. En effet, les employés doivent apprendre à composer avec un environnement de travail en pleine mutation, qui exige d’eux la maîtrise de nouvelles connaissances et de nouveaux savoir-faire.

Exercer un leadership proactif

Enfin, une transition numérique réussie signifie que les gestionnaires assument dorénavant un triple rôle. Ils doivent ainsi : 1- comprendre et composer avec la réalité des données massives et des aspects techniques des systèmes intelligents ; 2- ne pas se laisser asservir par les seules considérations technico-productives de ces systèmes ; 3- consacrer temps et énergie au développement des compétences de leur personnel et l’accompagner dans les changements successifs qui surviennent.


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Ajoutons que pour faire de sa transition un succès, toute entreprise doit compter sur sa haute direction, qui doit relever ce qui constitue un grand défi pour la plupart des PME : donner une direction stratégique à cette transition, de même que rassembler et déployer les ressources humaines, financières et technologiques essentielles à sa réussite.

En conclusion, soulignons qu’au cours des dernières années, de nombreuses entreprises ont augmenté leurs investissements pour assurer leur conversion numérique 4.0. Les acteurs gouvernementaux ont également entrepris d’adapter les politiques publiques en conséquence6, ce qui démontre que la transition numérique au Québec, condition essentielle à la prospérité des entreprises de toute taille, est l’affaire de tous.


Notes

1 La transition numérique des organisations est un phénomène récent qui suscite de grandes préoccupations mais qui, paradoxalement, n’a fait l’objet que de rares études sur le terrain. Dans le but de pallier ce manque, nous travaillons actuellement à un projet de recherche qui a pour but d’analyser le processus de transformation 4.0 et ses conséquences pour les PME québécoises du secteur manufacturier. À cet égard, les auteurs tiennent à remercier la Fondation CRHA pour l’appui financier accordé à cette recherche.

2 Voir notamment : Kohler, D., et Weisz, J.-D., Industrie 4.0 – Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, Paris, La Documentation française, 2016, 175 pages ; Boston Consulting Group, « Industry 4.0 – The Future of Productivity and Growth in Manufacturing Industries » (document en ligne), avril 2015.

3 Comité sectoriel de main-d’œuvre en aérospatiale au Québec (CAMAQ), « Recensement des emplois au 1er janvier 2016 et prévisions du nombre d’emplois au 1er janvier 2017 et au 1er janvier 2018 », Montréal, 2017, 33 pages.

4 La cobotique, aussi appelée « robotique collaborative », désigne à la fois le domaine de la collaboration hommerobot et l’interaction entre un opérateur humain et un système robotisé.

5 Afin de soutenir les PME québécoises qui se lancent dans un projet de transition numérique, plusieurs partenariats avec des établissements d’enseignement et d’autres organismes sectoriels ont été conclus au cours des dernières années dans le but de disposer de la main-d’œuvre nécessaire pour composer avec les nouvelles exigences de l’environnement de travail techno-numérique.