Article publié dans l'édition hiver 2017 de Gestion

Moins souvent abordé en gestion, le thème de la justice revêt pourtant une importance capitale dans les organisations. Les employés y sont particulièrement sensibles, et l’injustice peut avoir de véritables conséquences sur leur santé ou leur performance. Quels sont les grands éléments qui vous permettront de passer de juste patron… à un patron juste ?

La justice est un thème complexe qui mène bien souvent à des débats enflammés. Si les philosophes, les psychologues et les sociologues ont tenté de déterminer ce qui est juste, aucun groupe ne peut prétendre, à notre époque, avoir le monopole de la compréhension de la justice. Cela est d’autant plus complexe que la notion de justice est aussi affaire de perception.

Le monde du travail n’échappe pas aux enjeux de justice. Lorsqu’on y pense, une multitude de situations organisationnelles amènent à poser la question de ce qui est juste : l’allocation du plus grand bureau, la répartition de l’horaire de travail entre les employés, le partage de la rémunération, l’uniformité dans les sanctions disciplinaires, etc. Si la justice est beaucoup moins connue et moins abordée que d’autres thèmes accrocheurs dans le monde de la gestion, les chercheurs la reconnaissent depuis plusieurs décennies comme un élément incontournable de toute philosophie de gestion. Ses effets sur l’engagement organisationnel, la santé physique et psychologique, le roulement de personnel et la performance sont d’ailleurs démontrés dans de nombreux travaux scientifiques. Une équipe où règne l’injustice connaîtra inévitablement un climat de méfiance et des comportements contre-productifs.

Notre expérience en organisation démontre également que les gens sont extrêmement sensibles à la notion de justice. Ils la considèrent au-delà de ce qu’elle peut apporter en matière de gains personnels ; elle est synonyme d’inclusion dans le groupe. Une recherche récente en neurosciences souligne que le caractère juste d’une récompense financière stimule les zones du cerveau associées au plaisir, et ce, au-delà de l’effet de la récompense en soi1. Certains neuroscientifiques croient en outre avoir découvert une zone du cerveau qui agirait comme détecteur d’injustice !

Comment réagissent les employés qui estiment être traités injustement ? Ils seront portés à limiter leur contribution ou à quitter l’organisation pour rétablir l’équilibre. Par ailleurs, le simple fait de voir un collègue subir une injustice peut être suffisant pour démobiliser l’employé qui pensera être la prochaine victime. Ainsi, les injustices perçues par les employés entraînent des dommages de toutes sortes, y compris des dommages collatéraux !

La justice devrait être envisagée comme une condition de base à l’émergence d’une entreprise saine et compétitive. Au-delà des questions de performance, elle renvoie avant tout à notre humanité !

Les trois dimensions de la justice organisationnelle

Quels sont les éléments qui permettent à un gestionnaire d’être considéré comme juste ? La littérature scientifique scinde généralement la justiceorganisationnelle en trois grandes dimensions : distributive, procédurale et interactionnelle.

Justice distributive

  • La cible: L’équité dans la distribution des ressources.

  • La question centrale posée implicitement par les employés: À quel point les récompenses que je reçois reflètent-elles ma contribution dans l’entreprise ?

  • Les bonnes pratiques du leader:

    1. Établir clairement les objectifs et les exigences de performance.

    2. Évaluer correctement les contributions des employés et tenir compte des diverses facettes de la performance.

    3. Viser la cohérence dans l’attribution des récompenses.

Justice procédurale

  • La cible: La justice dans les procédures et les processus mobilisés pour décider de la distribution des ressources.

  • La question centrale posée implicitement par les employés: Le processus décisionnel qui mène aux récompenses est-il juste ?

  • Les bonnes pratiques du leader:

    1. Uniformité : assurer une stabilité dans le temps et d’un individu à l’autre.

    2. Absence de biais : maintenir la neutralité et l’objectivité.

    3. Qualité de l’information : baser ses décisions sur de l’information validée, authentique et adéquate.

    4. Écoute : tenir compte de l’opinion des personnes concernées par les décisions.

    5. Éthique : baser les procédures sur des standards moraux et éthiques.

    6. Possibilité de révision : offrir la possibilité d’en appeler de nos décisions.

Justice interactionnelle

  • La cible: La manière dont l’individu est traité sur le plan humain lors de la mise en œuvre des procédures.

  • La question centrale posée implicitement par les employés: Dans le cadre de l’application des procédures organisationnelles, suis-je bien traité sur le plan humain par mes supérieurs ?

  • Les bonnes pratiques du leader:

    1. Honnêteté : être franc dans ses communications et éviter la manipulation, la tromperie ou le mensonge.

    2. Justification : fournir des explications sincères et des renseignements adéquats concernant nos décisions.

    3. Respect : traiter les individus avec respect et dignité.

    4. Civilité : éviter les remarques inappropriées.


Inspiré des travaux suivants : Justice distributive : Adams, J. S., « Inequity in social exchange », dans L. Berkowitz (dir.), Advances in Experimental Psychology, New York, Academic Press, 1965, p. 267-299. ■ Justice procédurale :Leventhal, G. S., « What should be done with equity theory ? New approaches to the study of fairness in social relationships », dans K. G. Gergen et R. H. Willis (dir.), Social Exchange – Advances in Theory and Research, New York, Springer-Verlag, 1980, p. 167-218. ■ Justice interactionnelle : Bies, R. J., et Moag, J. S., « Interactional justice : communication criteria of fairness », dans R. J. Lewicki, B. H. Sheppard et M. H. Bazerman (dir.), Research on Negotiation in Organizations, Greenwich (Connecticut), JAI Press, 1986, p. 43-55.

Note

1. Tabibnia, G., et Lieberman, M. D., « Fairness and cooperation are rewarding – Evidence from social cognitive neuroscience », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 1118, n° 1, novembre 2007, p. 90-101.