Article publié en juillet 2020

La proximité qu’arrive à créer un télétravailleur avec son équipe influence l’expérience vécue dans l’organisation et même ses résultats. Mais quelles sont les pratiques managériales à mettre en œuvre pour permettre un meilleur partage du leadership au sein d’une équipe dispersée géographiquement?

Le télétravail est de plus en plus populaire auprès des salariés. Il a même gagné ses lettres de noblesse en se révélant comme une solution inespérée à la situation de confinement vécue un peu partout dans le monde au printemps 2020.

Avant la pandémie, un nombre grandissant d’organisations publiques et privées avait déjà adopté le télétravail, bien que son développement, tant au Québec qu’en France, ait été plus lent que ce que prédisaient les experts. En Europe, la France est par exemple moins avancée que le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou le Luxembourg. L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, une organisation française vouée à l’amélioration de l’organisation du travail et des relations professionnelles, estimait que 79 % des salariés travaillaient à domicile en 2014. De ce chiffre, les deux tiers effectuaient leurs tâches en dehors du cadre réglementaire, et 8 %, en tiers-lieu.

Les avantages du télétravail sont nombreux. Pourtant, on se heurte encore à une panoplie de difficultés managériales : culture du présentéisme, manque d’accompagnement des gestionnaires, manque de formation, éclatement des collectifs de travail, risque d’isolement, etc. Ces difficultés permettent cependant de mettre en lumière la complexité de la mise en œuvre de telles pratiques et l’importance d’établir une structure concrète autour du télétravail. 

Travailler en équipe dispersée : un défi à surmonter

Dans une équipe dispersée idéale, les collaborateurs savent travailler de manière synchronisée, innovent dans le travail collaboratif, communiquent efficacement par une maîtrise élevée et différenciée des nouvelles technologies et « font équipe » virtuellement. Le télétravail répond à certains besoins ou certaines demandes des travailleurs : réduction du temps de transport, conciliation vie professionnelle et vie personnelle, meilleure concentration sur des dossiers spécifiques, etc. Mais ce mode de travail est aussi censé répondre aux exigences de performance de plus en plus élevées des organisations contemporaines. Il s’agit donc d’une nouvelle philosophie d’entreprise plus « collaborative » qui vise, par la mise en place d’une structure conciliante, à favoriser l’engagement de chacun des employés.

Le télétravail ne peut cependant se résumer à un outil visant à augmenter la qualité de vie au travail, car il demande des changements sociologiques importants pour les organisations. Il participe, sous l’impulsion de la numérisation, à construire une organisation virtuelle fondée sur une coopération temporaire et agile, sur l’abolition des distances et sur l’autonomie des salariés appelés à travailler en réseau.  Le gestionnaire est alors un joueur clé du travail à distance et devient le e-leader de son équipe. Il doit chercher à maintenir et à développer le sentiment de proximité au sein de l’équipe dispersée et à anticiper les risques, notamment l’isolement des membres de l’équipe. Il doit aussi réfléchir au sens et au contenu du travail effectué par les employés, en reconnaissant ce qu’ils font et en les soutenant dans leurs activités. Le gestionnaire doit finalement assurer le confort physique des travailleurs (aménagement du poste de travail) ainsi que leur confort psychologique (prévention des risques psychosociaux). Partenaire des télétravailleurs, il joue un rôle de facilitateur, en les aidant à trouver les solutions plutôt qu’en donnant des injonctions. Les deux mots clés à retenir pour gérer une équipe dispersée : communiquer et favoriser l’identité partagée, c’est-à-dire le sentiment de tous faire partie d’une même équipe.

Le rôle du e-leader

Pour assurer l’efficacité et la qualité des relations dans une équipe dispersée, le e-leader peut adopter plusieurs pratiques :

  • Incarner l’e-management pour donner envie aux membres de l’équipe d’agir en miroir, en se positionnant au centre plutôt qu’au sommet. Collaborer et créer les conditions de la motivation et de l’implication en considérant l’équipier comme un alter ego plutôt qu’en usant d’autorité.
  • Gérer par la confiance et non par le contrôle. Partager la responsabilité et les risques pour atteindre les objectifs de travail. Être souple dans l’aménagement du temps (intégrer la conciliation vie professionnelle et vie personnelle, et anticiper les risques de débordement du travail sur la sphère de la vie privée).
  • Coconstruire les règles de la compétence collective. S’assurer que les objectifs de travail soient compris et partagés. Utiliser les erreurs comme des leviers de l’apprentissage collégial de l’organisation virtuelle et se concerter pour prendre des décisions porteuses de sens pour l’équipe.
  • Communiquer en utilisant les outils de manière adéquate. Les échanges informels peuvent transiter par une plateforme de communication collaborative comme Slack. Pour faire le point sur l’activité de travail de chaque employé, le gestionnaire peut privilégier les appels téléphoniques ou les vidéoconférences. Pour ne pas surcharger les boîtes courriel, il peut être adéquat d’utiliser un espace de partage de fichiers. Bref, il s’agit de transmettre l’enthousiasme et de motiver à distance par l’usage de messages et de symboles adaptés à une logique collégiale, mais aussi de reconnaissance personnalisée.

S’identifier à l’équipe : la clé du succès

Le management et le leadership dans les équipes dispersées sont de facto « partagés ». Outre l’appropriation des outils de travail et de communication à distance, « faire équipe dispersée » implique de codévelopper (développer l’empathie à distance, faire confiance à l’intégrité et aux compétences des équipiers, etc.) et de coconstruire de nouvelles routines organisationnelles (organiser la coordination, les séances de debriefing sur le travail réel à distance, etc.).

L’identité partagée à distance dépend fortement du modèle managérial établi en présentiel, soulignant la dynamique d’identification collective. Faute d’un management approprié, la communication peut en venir à occulter le rôle de l’intersubjectivité, ou encore, une distance peut s’installer au sein de l’équipe. Trois risques de « déproximité » sont alors détectés : 1) une diminution du nombre de sollicitations en configuration dispersée; 2) un sentiment d’appauvrissement du contenu des échanges et des relations interpersonnelles; 3) la mésinterprétation des échanges distants. Le gestionnaire doit alors poser des actions : trouver l’équilibre entre les espaces-temps présentiels et virtuels pour la collaboration (programmer des réunions de travail en présentiel), mais aussi, pour favoriser la convivialité (partager un dîner ou une pause-café un jour dans la semaine, au bureau ou en vidéoconférence).

Cet équilibre entre les espaces-temps présentiels et virtuels permet de réduire le risque d’éclatement du collectif en configuration distante, par le développement et l’entretien d’un terrain d’entente commun jouant un rôle de ciment au sein d’une équipe. Cette unification favorise le partage de caractéristiques ou d’expériences signifiantes entre les équipiers. Ce terrain d’entente engendre des attributions positives lorsque des données réelles sont manquantes et quand les attitudes et les comportements envers l’autre ne sont pas visibles. Cela permet également de conforter le lien psychologique et, donc, le sentiment de proximité.

 

 

Références

Ruiller, C., Dumas, M., et Chédotel, F., « Comment maintenir le sentiment de proximité à distance? Le cas des équipes dispersées par le télétravail », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, vol. 3, no 27, 2017, p. 3-28.

Ruiller, C., Van Der Heijden, B., Chedotel, F., et Dumas, M., « “You have got a friend” – The value of perceived proximity for teleworking success in dispersed teams », Team Performance Management: An International Journal, vol. 25, no 1/2, 2019, p. 2-29.