Les femmes et les hommes ne vivent pas le télétravail de la même manière depuis le début de la pandémie. Le brouillage entre l’espace et le temps du travail et du non-travail ainsi quune augmentation de la charge familiale affecterait plus les femmes.

La pandémie a fait bondir le recours au télétravail. Avant la pandémie, environ 10 à 15 % des Québécois travaillaient de leur domicile, selon les chercheuses Diane-Gabrielle Tremblay et Geneviève Demers1. Au début de la crise sanitaire en mars et avril 2020, ce taux a grimpé à près de 50 %, d’après l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), avant de redescendre à 40 % en mai2.

«La plus grande différence vient toutefois du fait qu’auparavant, le télétravail représentait souvent un choix, par exemple comme option de conciliation travail/famille, alors que présentement, il est imposé, à temps plein», note Yasmina Drissi, directrice adjointe Employabilité au Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT).

Des femmes surchargées

Les adeptes du télétravail en soulignent souvent deux avantages : la réduction du temps de transport et la conciliation travail/famille. «Plus les travailleuses doivent consacrer d’heures à leur vie familiale et plus elles apprécient, en temps normal, la possibilité d’effectuer du télétravail», remarque Tania Saba, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.

Cela pourrait expliquer les résultats d’une vaste enquête d’opinion à laquelle a participé la professeure. «Celle-ci montrait que les femmes souhaitaient tout autant que les hommes continuer à faire du télétravail, même une fois la pandémie résorbée», résume-t-elle.

La pandémie a toutefois rappelé que les femmes et les hommes ne sont pas tout à fait égaux devant les tâches familiales et ménagères. «Avant la crise, les femmes y consacraient environ trois heures et demie par jour, contre environ deux pour les hommes, précise Yasmina Drissi. Or, depuis la pandémie, on constate qu’elles se voient encore plus accaparées par ces tâches, notamment en raison du télétravail, des consignes sanitaires et de la présence accrue des enfants à la maison.»

D’autant plus que les travailleuses auraient moins souvent accès à un espace privé consacré au travail dans le domicile que leurs comparses masculins. Or, s’affairer sur le coin de la table de cuisine au milieu de la marmaille, c’est loin d’être optimal. L’effet du télétravail change d’ailleurs beaucoup en fonction de la nature du domicile. Les travailleuses ne vivent pas du tout la même situation dans une grande maison ou dans un trois et demi partagé avec le conjoint et un ou des enfants.

Yasmina Drissi s’inquiète aussi des risques d’isolement des femmes, notamment celles qui subissent de la violence familiale. «Aller au travail donne accès à un réseau social et ouvre des possibilités de se confier ou de demander de l’aide qui disparaissent lorsque l’on se retrouve confiné au domicile», déplore-t-elle.

En observant des sondages réalisés à l’intérieur de certaines entreprises, Anne Bourhis, professeure titulaire au Département de gestion de ressources humaines de HEC Montréal, constate que les femmes restent plus nombreuses que les hommes à exprimer de la fatigue émotionnelle en lien avec le télétravail.

Bâtir les conditions gagnantes

Selon elle, tant les travailleuses que les gestionnaires peuvent poser des gestes concrets pour atténuer les impacts plus négatifs du télétravail, notamment chez les femmes. «Lorsque c’est possible, les femmes doivent s’installer dans une pièce ou à tout le moins un espace spécifiquement réservé au travail et disposer d’un équipement ergonomique et informatique approprié», conseille Anne Bourhis. Elle précise que l’on a vu beaucoup d’employeurs s’activer assez tôt dans la pandémie pour payer de tels outils à leurs salariés. Certains n’ont pas hésité à leur envoyer du mobilier de bureau ou de l’équipement numérique directement à la maison.

Le brouillage du temps de travail et des temps sociaux constitue par ailleurs un risque inhérent au recours massif au télétravail. Le gouvernement français l’a d’ailleurs explicitement reconnu en intégrant dès 2016 un «droit à la déconnexion». Anne Bourhis croit que les gestionnaires devraient s’assurer que les travailleurs bénéficient de moments où ils ne sont pas tenus de répondre à leurs courriels ou messages textes, et surtout, le faire savoir très clairement. Elle invite toutefois à faire preuve de flexibilité. Certains employés pourraient par exemple espérer avoir ce temps libre entre 16 h et 19 h afin de s’occuper des enfants, alors que d’autres préféreront d’autres périodes.

La professeure considère d’ailleurs que les gestionnaires peuvent eux-mêmes poser des gestes symboliques pour donner des signaux clairs. S’ils prennent une demi-journée de repos pour des raisons familiales ou personnelles, ils devraient l’indiquer dans leur message d’absence. Ils peuvent aussi créer un modèle de réponse automatique indiquant que les employés ne sont pas tenus de répondre à un courriel reçu après 18 h.

Un gestionnaire qui travaille en dehors des heures normales et écrit à ses employés peut par ailleurs programmer les courriels pour qu’ils soient acheminés le lendemain matin. «L’idéal consiste à établir une politique claire sur ce sujet, à l’exprimer explicitement et à éviter les messages contradictoires, prévient Anne Bourhis. Les salariés doivent non seulement sentir qu’ils ont la latitude de se déconnecter, mais que l’entreprise l’encourage.»

De son côté, Yasmina Drissi souhaite que le gouvernement québécois mène une étude afin d’obtenir des données plus concrètes sur l’impact du télétravail sur les femmes. Elle croit également que l’État devra rapidement revoir la Loi sur la santé et la sécurité au travail et la Loi sur les normes du travail. «Le gouvernement affirme que ces lois s’appliquent au télétravail, mais elles n’y sont pas bien adaptées», s’alarme-t-elle.

Le télétravail peut apporter des bénéfices intéressants pour les femmes, mais ses effets dépendent énormément des conditions physiques et psychologiques dans lesquelles il s’exerce. Les travailleuses, les gestionnaires et les gouvernements ont tous du travail à accomplir pour faciliter un virage qui s’est pris beaucoup plus rapidement que prévu. «Nous vivons une situation inédite, alors nous devons essayer de trouver des solutions pour nous adapter en acceptant de parfois commettre des erreurs», juge Anne Bourhis.


Notes

1 Tremblay, D.-G. et Demers, G. (2020). Le télétravail. Enjeux et défis. Guide d’information et d’implantation. TÉLUQ.

2 Institut national de santé publique du Québec. (2020, 8 juillet). COVID-19 - Pandémie, emploi et télétravail.