En matière de télétravail, les entreprises canadiennes traînent de la patte. Les études continuent pourtant de mettre en lumière tous les avantages du travail à distance. Qu’est-ce qui explique ce retard?

Selon l’entreprise américaine de conseil et de recherche Gartner, à peine plus de 12 % des Canadiens effectuent du télétravail. Ce chiffre vous semble faible? Pas étonnant, puisque cette donnée date de 2005. Mais, déjà à l’époque, le Canada faisait piètre figure quand on le comparait à la Finlande ou aux États-Unis, qui comptaient respectivement plus de 32 % et de 27 % de télétravailleurs.

Ces données ont évolué depuis les 15 dernières années. En 2011, la firme internationale de sondage Ipsos évaluait pour sa part que 17 % des employés canadiens effectuaient du télétravail au moins une fois par semaine. Ce pourcentage semble donc être sur une courbe ascendante depuis. « Mais il faut se méfier des chiffres quand il est question de télétravail », rappelle Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration de l’Université TÉLUQ, qui se spécialise en gestion des ressources humaines, en économie et en sociologie du travail.

Les pourcentages varient considérablement d’une étude à l’autre, selon la définition de télétravailleur qui est privilégiée. Celle-ci peut en effet inclure, ou non, les travailleurs occasionnels, à temps partiel, les employés qui fréquentent les cafés, les espaces de travail partagé (coworking) ou les télécentres (un bureau satellite de l’entreprise situé en banlieue). Et c’est sans compter les travailleurs autonomes, qui sont parfois mis dans le même panier que les salariés.

Des pays qui se démarquent

Dans le cadre de ses études sur le télétravail, ici et ailleurs, Diane-Gabrielle Tremblay a relevé certaines tendances internationales. Sans surprise, les pays d’Europe du Nord, comme la Suède, la Norvège, le Danemark et la Finlande, sont plus avancés en la matière. À l’inverse, les pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne, l’Italie et la France, sont considérés comme « plus retardataires ». Quant aux pays anglo-saxons, tels que la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Australie, ils se rapprochent davantage des pays nordiques.

Et où se positionne le Canada dans tout ça? « Au milieu, répond Diane-Gabrielle Tremblay. Ici, le télétravail est moins fréquent et automatique que dans les communautés anglo-saxonnes, mais plus développé que dans l’Europe latine. »


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La résistance des gestionnaires

Diminution de la circulation et des embouteillages dans les grands centres (et par le fait même réduction des émissions de CO2), baisse du taux d’absentéisme et des retards, meilleures productivité et qualité du travail, diminution des frais liés à l’immobilier : malgré tous les impacts positifs du télétravail, tant pour les employés que pour les employeurs, les organisations canadiennes restent frileuses à l’idée de proposer cette option à leurs salariés.

Que craignent les gestionnaires? « Leur plus grande crainte concerne la performance des employés qui travaillent à distance », affirme Jean-François Bertholet, chargé de cours au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal et consultant en développement organisationnel. L’épineuse question de la supervision des télétravailleurs subsiste. La confiance est donc au cœur du problème. 

Les employeurs craignent aussi une diminution de la loyauté de leurs employés, une baisse du sentiment d’appartenance à l’égard de l’organisation et un moins grand esprit d’équipe.

Cette résistance repose sur des préjugés, croit Diane-Gabrielle Tremblay. « Les employeurs ont peur que les employés en profitent pour faire des tâches ménagères. Mais, au fond, quelle importance que l’employé fasse du lavage quand, à la fin de la journée, il est plus productif et offre une meilleure qualité de travail comme le démontrent les études? »

« Les gestionnaires devraient se concentrer sur l’évaluation de la performance de l’employé plutôt que de rechercher constamment sa supervision immédiate », affirme Me Marianne Plamondon. Avocate spécialisée en droit de l’emploi et du travail et associée chez Langlois avocats, elle ajoute qu’un changement majeur dans la culture organisationnelle s’impose.


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L’inaction des décideurs

Le manque de leadership gouvernemental constitue un autre facteur qui explique le retard du Canada par rapport à d’autres pays en matière de télétravail, selon Me Plamondon. « Avec la circulation et les embouteillages, les déplacements au Québec sont devenus un enjeu de société. Malheureusement, il n’y a pas de structure gouvernementale qui incite au télétravail en ce moment », déplore-t-elle. Aux États-Unis, par exemple, une agence fédérale pour le déploiement du télétravail dans l’administration a été créée en 2010, tandis qu’en France, le gouvernement Macron a émis en 2017 une ordonnance sur le télétravail.

Lentement mais sûrement

Les experts interrogés s’entendent sur un point : les gestionnaires ont tout intérêt à considérer le télétravail dès maintenant. « Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, tel qu’on le connaît présentement, le télétravail est une façon d’attirer des employés et de s’assurer leur loyauté », dit Diane-Gabrielle Tremblay. Jean-François Bertholet abonde dans le même sens : « On se trouve en ce moment dans un marché d’employés, ce qui signifie que c’est eux qui dictent les conditions de travail. »

Me Plamondon, quant à elle, voit un double avantage pour les entreprises. « Le télétravail permet aux organisations de mieux se positionner face à la concurrence, puis de recruter les meilleurs talents dans un bassin de candidats plus large. »

La technologie au service du télétravail

Chose certaine, grâce aux téléphones intelligents et aux ordinateurs portables, le télétravail n’a jamais été aussi accessible. Joignables partout et en tout temps, les employés peuvent travailler de la maison, mais également dans un café ou un espace de travail partagé.

« Il y a clairement une tendance à la délocalisation du travail », confirme Diane-Gabrielle Tremblay. Selon elle, le modèle qui semble se développer à l’heure actuelle dans les organisations canadiennes est celui du télétravail pour les employés qui le souhaitent, tout en conservant des espaces sur le lieu de travail pour les réunions et les travaux d’équipe.

« Il y a une multitude de façons de travailler, affirme Jean-François Bertholet. Mais le grand défi reste la capacité d’attention et de concentration. Avec le télétravail, il revient à chaque employé de trouver l’endroit qui lui permet de mieux performer. Et ce n’est pas nécessairement au bureau ni à la maison. »