L’urgence avec laquelle le télétravail s’est imposé durant la crise sanitaire a pu déstabiliser plus d’un gestionnaire. Devant la perte de repères qui a pu les ébranler, il importe de clarifier les objectifs et de passer du contrôle à l’évaluation des résultats.

Télétravail : qui est un bon candidat?

Alors que les chercheurs s’y intéressent depuis déjà un bon moment, observant ses bénéfices réels et établissant des recommandations pour sa mise en place réussie, le télétravail laissait bien des gestionnaires perplexes, réticents à le favoriser. «Mais le test par le réel est le meilleur pouvoir de conviction», se réjouit Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration à l’Université TÉLUQ. Selon elle, les conditions de la crise sanitaire ne sont pas idéales. Pourtant, l’avantage du contexte actuel, c’est qu’il a forcé le télétravail à grande échelle, démontrant qu’il fonctionne et que la productivité est maintenue. Mais si la majorité des employés apprécient la souplesse et les avantages du travail de la maison, celui-ci ne serait pas pour tout le monde.

C’est en effet ce qu’explique Ariane Ollier-Malaterre, professeure à l’École des sciences de la gestion du Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM : «Les recherches le démontrent, le télétravail est mieux adapté à certaines personnalités. Il faut d’abord une grande autonomie. Ceux qui ont énormément besoin des interactions entre collègues pour renouveler leur énergie seront défavorisés en ne venant pas au bureau. Ensuite, le télétravail exige un certain niveau de compétences. Un nouvel employé fraîchement diplômé aura davantage besoin d’être orienté et soutenu; ce n’est certes pas le moment de débuter en télétravail.» Évidemment, le poste et les tâches doivent s’y prêter : plus il y a d’interdépendance dans une équipe ou avec la clientèle, plus il est nécessaire d’interagir avec des humains, moins le télétravail est adapté. Autant de critères à évaluer pour le gestionnaire et l’employé avant de songer au télétravail.

De la «réunionite» à la «Zoomite»

En temps normal, le télétravail promet des gains de productivité, assure Ariane Ollier-Malaterre, surtout pour certains types de tâches qui exigent de la réflexion et de la concentration. «Lorsqu’on travaille de chez soi, en plus d’éviter la fatigue du temps de transport, on peut aspirer au calme et se consacrer pleinement à ses tâches. Mais pour cela, il ne faut pas être continuellement interrompu!» La chercheuse évoque la multiplication des réunions virtuelles, par des gestionnaires anxieux qui redoublent de contrôle ou à cause de mauvaises habitudes de communication. «Oui, on a découvert Zoom! Mais il n’est pas systématiquement nécessaire. Les appels ou les courriels sont parfois plus appropriés. En outre, la conférence visuelle a un aspect intrusif. On se trompe de croire que Zoom est forcément plus riche», ajoute la professeure, qui conseille d’en doser l’usage et de réduire le temps de réunions afin de favoriser la productivité. Le surplus de réunions, en plus de causer une fatigue certaine, est un piège réel, puisqu’il risque d’augmenter le stress ressenti par les employés qui se sentent surveillés.

La productivité : pas une question d’heures, mais de résultats

En fait, c’est toute la posture du gestionnaire qui redouble d’importance en contexte de télétravail. Si cela est vrai au bureau, il devient essentiel d’établir des objectifs clairs et d’évaluer la qualité du travail accompli. «La gestion par résultats, je crois que c’est la clé d’un bon fonctionnement. Et c’est un important changement de paradigme qui s’amorce dans notre société», soutient Sophie Lemieux, consultante en management et formatrice à l’École des dirigeants de HEC.

Évaluer les objectifs atteints, au lieu de se fier au nombre d’heures, est autrement plus profitable, mais difficile à implanter, parce que c’est plus exigeant pour les gestionnaires, qui doivent prendre le temps de réfléchir et de définir clairement les tâches et les résultats attendus. «Lorsqu’on le comprend, on réalise qu’un horaire flexible permet de profiter de l’énergie de chacun, au moment où il est le plus efficace. Nous n’avons pas tous le même rythme de productivité. C’est pourtant de cette manière qu’on génère une performance intéressante. L’employé en ressent une satisfaction décuplée, l’employeur obtient de meilleurs résultats», fait valoir la consultante. Reste le piège de l’avancement de carrière : en effet, dans la majorité des entreprises, les télétravailleurs se voient pénalisés dans leurs ambitions, parce qu’on ne les voit pas au bureau. «Loin des yeux, loin du cœur», dit l’adage. Il importe donc de défendre les télétravailleurs lorsqu’il s’agit de promotions et d’avancement de carrière.

«Mais surtout, rappelons-nous que toute la pression du bon fonctionnement du télétravail ne peut pas être mise entièrement sur les épaules des gestionnaires! Toute l’équipe doit faire montre de bonne volonté et de bienveillance», conclut Sophie Lemieux.