Jusqu’alors marginal, le télétravail s’est imposé dans l’urgence de la crise sanitaire. Est-ce que le télétravailleur y trouve son compte? Pour les chercheurs qui s’y intéressent, il importe de recadrer certains piliers essentiels à ce mode de travail.

Distorsion de l’expérience

L’une des premières choses que les spécialistes du télétravail tiennent à préciser quant à son implantation subite est la mise en lumière du contexte.  «Des recherches existent depuis longtemps sur le télétravail. Et les recommandations pour qu’il fonctionne bien sont à l’opposé de ce que l’on vit en ce moment», s’exclame d’entrée de jeu Ariane Ollier-Malaterre, professeure à l’École des sciences de la gestion du Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM. Comme elle l’explique, l’idéal est le mode hybride, alternant travail à la maison et passage au bureau, qui facilite le lien avec l’équipe. Mais pour la plupart des employés qui l’expérimentent depuis déjà près d’un an – dans des circonstances loin d’être idéales, puisqu’il n’a pas été réfléchi, choisi et adéquatement préparé –, la réalité est biaisée. «Normalement, on devrait prendre le temps d’aménager un endroit propice chez soi, alors qu’en ce moment, à temps plein et avec les membres de la famille présents, l’espace et la tranquillité peuvent être sujets de négociation», souligne la professeure. Elle ajoute que dans ce contexte difficile du confinement se cachent, entre autres, des inégalités de genre : «Dans une étude en France, seulement 25 % des femmes en télétravail ont accès à un espace isolé, contre 41 % des hommes.»

Sophie Lemieux, Adm.A. C.M.C., consultante en management, chargée de cours au Département de management et formatrice à l’École des dirigeants à HEC Montréal, convient elle aussi que les défis actuels du télétravail sont particuliers, risquant d’ébranler la confiance des uns et des autres. «De mars à octobre, nous avons fonctionné en mode survie! Et les irritants du présentiel se sont amplifiés devant notre écran. Mais ce que je vois, en ce moment, c’est une réflexion quant à la manière de trouver une qualité de vie.»

Parce que la machine à café a disparu

En ces temps de privation sociale, où l’écran devient une piètre bouée de sauvetage, un 5 à 7 virtuel n’apporte peut-être pas la satisfaction recherchée! «Ce qui manque, ce sont les discussions autour de la machine à café ou l’arrêt de cinq minutes devant le bureau d’un collègue», soutient Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration à l’Université TÉLUQ. Pour pallier les échanges informels et spontanés, qui permettent par ailleurs de répondre rapidement à des questionnements de toutes sortes sans devoir prendre rendez-vous sur Zoom, la spécialiste recommande de diversifier les équipes. «L’idée, c’est de mélanger les gens. Il faut sortir de son équipe, pour créer de nouvelles rencontres et voir les choses sous un autre angle. On peut ainsi élargir certaines réunions avec quelques membres de deux ou trois équipes pour travailler sur différents projets.»

Aussi, pour développer des relations virtuelles plus satisfaisantes, Sophie Lemieux propose de prévoir un moment informel d’échanges avant une rencontre. «Tout comme on arrive en avance à la salle de réunion, on ouvre le Zoom une dizaine de minutes avant l’heure prévue.» Mais surtout, suggère la consultante, une discussion d’équipe ouverte permettra de trouver des solutions afin de renouveler nos pratiques, de développer d’autres réflexes et de les mettre à jour, car c’est un processus évolutif. Il est également intéressant d’explorer les plateformes en ligne, du type Gather.town, plus ludiques et moins statiques que les plateformes utilisées pour les réunions habituelles.

Communication, bienveillance et confiance

Autre défi du télétravail : la gestion des communications. Certains gestionnaires, plus anxieux, en multipliant les courriels, les appels et les rencontres virtuelles, risquent de générer de la méfiance et du stress chez leurs employés qui, ainsi débordés, seront moins productifs. «La confiance est un des leviers de motivation les plus forts. Et le micromanagement, très intrusif, est dévastateur», souligne Ariane Ollier-Malaterre. «Le gestionnaire aura plutôt intérêt à poser un cadre clair et à laisser travailler ses employés!» Alors qu’il a été démontré que le télétravail, dans de bonnes conditions, augmente la productivité, la chercheuse croit qu’il est illusoire, en temps de crise sanitaire, de penser que le rendement ne sera pas affecté. «Les gens font comme ils peuvent, et la seule manière de maintenir la confiance et la loyauté, c’est de le reconnaître, d’ajuster nos attentes, de faire preuve de compassion et d’instaurer un climat de sécurité psychologique.»