L'adoption d'un système intégré de gestion de la performance (SIGP) par un établissement du réseau de la santé nécessite un changement profond de la culture, entraînant dans son sillage l'ensemble des parties prenantes de l'organisation. Qu'arrive-t-il cependant quand la pandémie vient tout chambouler ? Un retour rapide à une approche purement ascendante est-il possible ?

Le système de gestion permet de piloter une organisation vers l’atteinte des objectifs fixés, et ce, dans une philosophie d’amélioration continue. Il consolide une approche ascendante, dite bottom up, permettant au personnel de résoudre lui-même les problèmes. Il encourage, par un échange structuré, un alignement entre le niveau stratégique, le niveau tactique et le niveau opérationnel. Ce processus est soutenu par une circulation d’information dans une logique de cascade et d’escalade à partir des différents outils du système intégré de gestion de la performance, qui peuvent être considérés comme des mécanismes formels de collaboration par l’importance accordée aux communications régulières entre les parties prenantes.

Une culture organisationnelle mise à l’épreuve

Depuis plusieurs années, l’Hôpital Montfort1, un hôpital universitaire francophone en Ontario, et le CHU de Québec–Université Laval ont investi beaucoup d’énergie pour développer une nouvelle culture organisationnelle basée sur les prémisses du SIGP : le travail d’équipe, la participation de l'ensemble du personnel à l’identification et à la résolution de problèmes favorisant l’excellence opérationnelle, l’accent mis sur l’expérience des patients et la communication ouverte et honnête avec les employés.

La culture organisationnelle se définit par les croyances partagées, les valeurs ainsi que les attitudes. Les dirigeants ont un rôle essentiel à porter pour parvenir à insuffler une nouvelle culture à une organisation. L’expérience démontre que cette transformation est une démarche longue et exigeante, qui peut se dérouler sur plusieurs années. Dans le contexte des deux organisations citées précédemment, on constate justement que la culture organisationnelle basée sur le SIGP a été mise à rude épreuve.

La pandémie de la COVID-19 est venue ébranler les fondements mêmes du système intégré de gestion de la performance par un retour en force d’une gestion plus traditionnelle de type descendante. Ce constat est confirmé par certains auteurs à l’effet que le recours à un leadership plus directif lors de situations de crises est souvent approprié2. « La crise a amené une approche descendante (top down) intégrale », relate Daniel La Roche, directeur de la qualité, de l’évaluation, de l’éthique et des affaires institutionnelles au CHU de Québec-Université Laval. Il y avait une urgence d’instaurer de nouvelles politiques ou de nouvelles procédures pour répondre aux impératifs sanitaires prescrits par la gestion de la COVID-19.

Lors de récents échanges, les représentants des deux organisations ont fait part d’une réflexion nécessaire pour un retour aux fondements du système intégré de gestion de la performance pendant la période de rétablissement, et ce, en préparation à la deuxième vague de la pandémie. Le retour à une culture de gestion collaborative est une préoccupation commune aux deux établissements, favorisant ainsi une gestion ascendante (bottom up). Mais quels ont été les moyens mis de l’avant par ces deux établissements pour déjouer les effets d’une approche top down et éviter une perte de sens chez les employés ? Quels en sont les éléments clés ?

Le gemba comme antidote à une gestion descendante

Certes, l’équipe de direction doit reconnaître l’importance d’utiliser les différents outils du système intégré de gestion de la performance mis à leur disposition. Mais les deux organisations sont aussi d’avis qu’il y a une urgence de retourner le plus tôt possible vers le modèle ascendant, puisqu’il y a un risque évident d’affaiblir les liens entre la haute direction et les différentes parties prenantes de l’organisation, incluant les médecins qui peuvent réagir défavorablement à une approche descendante de la haute direction, affirme Daniel La Roche. « Si on arrête trop longtemps, il sera difficile de repartir le système de gestion. Il y a une urgence d’agir », mentionne Lise Vaillancourt, directrice, efficience organisationnelle et Lean Sensei à l’Hôpital Montfort.

Le retour vers une approche ascendante n’est pas linéaire et interpelle l’ensemble des employés et des médecins. Les parties prenantes doivent être impliquées dans cette phase de rétablissement, étape menant à un retour à la normale où l’approche ascendante est préconisée. Selon Lise Vaillancourt, la résilience des équipes dans cette nouvelle phase de la gestion de la pandémie passe avant tout par la présence des cadres et des dirigeants sur le gemba3. Même son de cloche pour le CHU de Québec–Université Laval, où les conduites des différents gestionnaires doivent être cohérentes avec les principes du système intégré de gestion de la performance. « Allez voir, demandez pourquoi, montrez du respect », affirme Daniel La Roche sans ambages. Lise Vaillancourt renchérit : « Les gestes sont plus importants que les mots. » Les deux établissements multiplient les efforts auprès des équipes pour un retour vers l’ouverture aux suggestions, le partage des préoccupations et des espoirs, etc.

Il est intéressant de souligner l’expérience de l’Hôpital Montfort, où le gemba est bien ancré dans la routine organisationnelle. Dès le début de la gestion de la pandémie, les gestionnaires ont poursuivi les tournées sur le gemba auprès des équipes, tout en respectant les mesures d’hygiène comme le lavage des mains et le port du masque de procédure. Or, la pandémie a exigé des ajustements quant à la standardisation des questions utilisées. Ainsi, l’Hôpital Montfort a structuré et adapté sa démarche gemba auprès des employés afin de rebâtir la confiance. Actuellement, le gemba met l’accent sur le « comment ça va? » plutôt que sur un processus qui présente certains défis opérationnels. À titre d’exemple, le gestionnaire pose dorénavant la question suivante à son employé lors de sa rencontre hebdomadaire : « Est-ce que tu prends soin de toi? Nomme-moi une chose que tu as faite pour ton bien-être ou celui des autres cette semaine. »

L’importance de la maîtrise des fondements du SIGP

 Il va sans dire que le leadership de la haute direction et les tournées sur le gemba sont des éléments reconnus par les deux établissements, ce qui facilite un retour aux pratiques collaboratives soutenues par le SIGP. Néanmoins, il semble également que le fait que les équipes d’amélioration continue aient poursuivi le soutien des équipes de soins soit un gage de succès dans un retour « à la normale » et un processus d’amélioration continue des soins et des services, comme le mentionnent Daniel La Roche et Lise Vaillancourt. Leur expertise reconnue et leurs connaissances des fondements du système de gestion soutiennent différentes initiatives organisationnelles d’accompagnement des équipes de première ligne.

Les 4 clés d’un retour vers le futur

  • Réaffirmer le leadership de la haute direction dans l’appui au retour rapide des fondements du système intégré de gestion de la performance.
  • Maintenir les bonnes pratiques, comme les tournées sur le gemba.
  • Soutenir la présence des gestionnaires auprès des équipes.
  • Compter sur les équipes qualité/performance en place pour leur expertise dans la gestion des processus, de standardisation notamment.

Notes

1 Nous remercions Lise Vaillancourt, directrice, efficience organisationnelle et Lean Sensei à l’Hôpital Montfort, Daniel La Roche, directeur de la qualité, de l’évaluation, de l’éthique et des affaires institutionnelles au CHU de Québec–Université Laval, et Adrien Vézo, adjoint à la planification et l’amélioration continue également au CHU de Québec–Université Laval.

2 Voir à ce sujet: D'Innocenzo, L., Mathieu, J. E., et Kukenberger, M. R., « A meta-analysis of different forms of shared leadership-team performance relations », Journal of Management, vol. 42, no 7, 2016, p. 1964-1991.

3 Terme japonais qui désigne l’endroit dans une organisation où la valeur ajoutée est créée, où le service est rendu au client, où le produit est trans­formé, etc. Le cadre ou le dirigeant peut faire une tournée sur le gemba ou gen­chi genbutsu. Il se rend alors sur le terrain ou sur les lieux de produc­tion du bien ou du service pour observer les activités qui s’y déroulent, aider et soutenir les employés, reconnaître le travail de tout un chacun et faire du coaching. Voir Landry, S., et Beaulieu, M., Lean, kata et système de gestion, 2e édition, Éditions JFD, 2021.