Article publié dans l'édition Été 2017 de Gestion

Les suivis : ça vous dit quelque chose ? Il y a longtemps que je voulais écrire à ce sujet. C’est un sujet pas très glamour en soi mais très ancré dans le quotidien des entrepreneurs et des gestionnaires.

Géraldine Martin / Crédits : Isabelle Salmon@Numéro7

Géraldine Martin / Crédits : Isabelle Salmon@Numér

Comme nombre d’entre vous, j’assiste à un minimum d’environ deux ou trois activités par semaine, au cours desquelles je rencontre toujours des gens formidables. Ce sont des gens avec lesquels j’échange des cartes professionnelles et la promesse de se revoir, de se transmettre une information ou encore d’élaborer de nouveaux projets. Enchantée et stimulée par ces belles rencontres, je rentre au bureau avec ma pile de promesses. Or, une fois de retour au travail, les réunions s’enchaînent, et puis, ô surprise, il fait déjà sombre dehors. Vite : il faut rentrer à la maison avant l’heure du dodo des enfants. Je quitte mon bureau sur les chapeaux de roues, je jette un regard inquiet sur « ma pile de promesses » et je me déculpabilise en me disant que ça ira à demain.

Le lendemain, la journée repart de plus belle avec une foule de rencontres au cours desquels je rencontre encore plein de gens formidables avec qui j’échange des cartes professionnelles. Je retourne au bureau et j’ajoute à ma pile de promesses une autre pile de promesses. Bien décidée à réaliser mes suivis, je m’installe pour répondre à tout ce beau monde. Pas de chance : une urgence vient d’atterrir sur mon bureau ! Je repousse ma pile de promesses en me disant ceci : « Si je fais un suivi d’ici 48 heures, ce sera encore acceptable. » Le lendemain arrive et je vous laisse deviner la suite… C’était il n’y a pas si longtemps.

Un supplice mental pour le gestionnaire

Réaliser ses suivis, tant à l’externe qu’à l’interne, est à mon sens une des tâches les plus difficiles à accomplir en gestion. C’est une sorte de supplice mental, puisque tout gestionnaire doit sans cesse subir des interruptions dans l’accomplissement de ses tâches. Selon le professeur Henry Mintzberg¹, sommité internationale dans le domaine de la gestion, la moitié des nombreuses activités d’un cadre supérieur durent, tenez-vous bien, moins de neuf minutes, car on l’interrompt systématiquement lorsqu’il travaille. L’enjeu ? Si on ne fait pas de suivi, soit on rate une occasion, soit on perd de sa crédibilité, soit les deux à la fois. Alors, comment faire ?


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Pour gérer les suivis, il est crucial d’avoir une discipline de fer dans la gestion de son agenda pour consacrer un minimum de temps à cette tâche. Avez-vous remarqué qu’on réserve du temps pour nos réunions, nos lunchs, nos séances de remue-méninges et nos vacances… mais jamais vraiment pour la gestion de nos suivis ? Mon conseil : ancrez ce temps dans votre agenda, non pas une fois par-ci, une fois par-là, mais tous les jours.

Réserver un « espace-temps »

Dans leur livre intitulé Réinventer le travail², Jason Fried et David Heinemeier Hansson, fondateurs de l’entreprise Web américaine Basecamp, appellent ces espaces-temps des « plages de solitude » pendant lesquelles la concentration doit être à son maximum. Pendant cette période, « il faut vaincre la dépendance à la communication […] : on ferme tout, on se tait et on travaille ».

Inutile de réserver une demi-journée pour les suivis : ça ne fonctionnera jamais, il y aura toujours une urgence. Trouvez un « espace-temps », aussi court que 30 minutes, pendant lequel vous réaliserez vos suivis… et seulement vos suivis. Pour le reste, déléguez selon les besoins. Au passage, déléguer prend un certain temps, ce qu’il faut aussi prévoir. Je suis toujours interloquée lorsque j’entends des gestionnaires affirmer : « Délègue, tu verras, ce sera plus facile ! » Oui, merci du conseil, mais pour déléguer, il faut prendre un minimum de temps pour parler à la personne désignée, faire un appel ou encore écrire le courriel magique qui permettra justement de déléguer une tâche précise.

Autre conseil : mettez les choses bien au clair en ce qui concerne votre mode de fonctionnement avec vos employés, vos patrons, vos clients et vos partenaires. Prenons l’exemple d’un dirigeant qui gère son « espace-temps » en toute transparence. Dans la signature de son courriel, après son nom, il indique ceci : « Veuillez prendre note que je gère mes courriels entre 8 h et 10 h. » Voilà qui a le mérite d’être clair !

D’autres messages d’absence de dirigeants peuvent être tout aussi éloquents. « Je suis en vacances et serai de retour le… Si vous m’écrivez au cours de cette période, sachez que tous les courriels reçus ne seront pas lus et seront effacés. » Ces dirigeants mettent des limites à leur capacité de répondre immédiatement à tout le monde.

Faire le tri

Enfin, faites le tri de vos suivis. Accordez la priorité aux suivis les plus importants pour vous. Ceci me conduit à vous mettre en garde contre ce que j’appelais plus tôt « les promesses ». Lorsque vous vous avancez sur quelque chose, assurez-vous d’être en mesure de livrer ce que vous proposez. Dire non dans ce contexte peut être une meilleure réponse que de s’avancer avec un oui fragile. Il n’y a peut-être pas de contrat à la clé dans votre promesse, mais votre réputation sera toujours en jeu.

Bien que je n’aie pas trouvé la recette parfaite et que, comme tout le monde, je laisse filer des occasions, j’utilise aujourd’hui le plus possible la méthode des « 30 minutes de concentration par jour » pour gérer mes suivis. Et je fais constamment le tri. Ainsi, un suivi qui était au sommet de la liste une journée peut se retrouver déclassé par un autre l’après-midi même. 

Interminables, les listes ?

Et si, en parfait petit gestionnaire, vous faites des listes de choses à réaliser, faites-en de courtes. Sachez que les listes interminables ne sont jamais terminées. Qui plus est, « les listes sans fin engendrent de la culpabilité. Plus la liste de ce qui est en suspens est longue, plus vous vous en voulez. Vient le moment où vous arrêtez carrément de la regarder parce qu’elle vous met trop mal à l’aise. Ensuite, vous stressez, et le tout se conclut par un énorme gâchis », rappellent MM. Fried et Heinemeier Hansson.

Pour éviter la culpabilité et le gâchis, gérez vos priorités et agissez sans tarder. L’important, c’est de prendre des décisions, sinon vous n’avancerez jamais. Comme l’a dit, au 19e siècle, le dramaturge français Henry Becque, « la décision est souvent l’art d’être cruel à temps ».


Notes

1. Mintzberg, H., Gérer dans l’action, Montréal, Éditions Transcontinental, 2014, 255 p.

2. Fried. J., et Heinemeier Hansson, D., Réinventer le travail, Montréal, Éditions Transcontinental, 2010, 230 p.