Lorsque la routine s’installe, on peut ressentir de l’ennui au travail, un passage à vide qui demeure habituellement temporaire. Mais s’il perdure, c’est le signe que quelque chose ne tourne pas rond…

En tant qu’employé, on peut être amené à traverser des cycles d’ennui suivis par des périodes de stimulation. Jusqu’ici, rien que de plus normal.

En revanche, si l’on s’ennuie ferme au travail à un point tel que notre productivité, notre sentiment d’appartenance et même notre santé globale en pâtissent, dans ce cas, il faut s’interroger davantage sur les sources de ce malaise. On aurait d’ailleurs tort de le négliger, car il peut même conduire à l’épuisement professionnel.

Sous-sollicitation et manque de stimulations

L’ennui est souvent mal perçu en milieu de travail, et pour certains gestionnaires, il est parfois synonyme de paresse ou de fainéantise. «Alors que l’on associe souvent – à tort – l’épuisement à quelqu’un qui travaille dur et qui est très dédié à sa tâche, inversement, la personne qui avoue s’ennuyer au travail est plutôt vue comme un individu démobilisé, démotivé et ne voulant pas réellement faire d’efforts», constate Jennifer Gabriele, associée, développement des leaders et des équipes chez Humance.

Qui plus est, lorsqu’on s’ennuie, on se retrouve souvent plongé dans un cercle vicieux : on tente de se distraire en surfant sur le Web, en effectuant des achats en ligne, ou en planifiant notre prochain voyage durant les heures de bureau. Résultat : on est de moins en moins performant et on se désengage encore davantage du travail.

Quelles sont les causes les plus fréquentes de l’ennui? Mouna Knani, CRHA, professeure agrégé au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal, le définit comme une sous-charge à la fois sur le plan qualitatif et quantitatif. «Il se caractérise par une sous-sollicitation du travailleur, par exemple s’il est confiné dans des tâches répétitives. Manquer de défis, ne pas avoir de possibilité d’avancement professionnel génèrent également de l’ennui, une sorte de tourbillon de vacuité, un brouillard qui bouche l’horizon», explique-t-elle.

Série – Les maux du travail

Un ressenti très personnel

Parce que l’ennui se mesure différemment selon les individus, il peut aussi tout simplement découler d’un mauvais casting. «Dans ce cas, la mauvaise personne est assise sur la mauvaise chaise. Il serait dès lors possible de régler le problème en lui confiant un poste différent», note Annie Boilard, présidente du Réseau Annie RH. Elle précise qu’un autre employé n’aurait peut-être pas vécu cette situation de la même façon s’il s’agit de quelqu’un qui préfère accomplir des tâches moins stressantes et exigeantes.

Les jeunes générations ont-elles tendance à s’ennuyer davantage? Une chose est sûre, elles ont besoin de défis, de partage d’expertise et d’échange, remarque Jennifer Gabriele. «Sans vouloir généraliser, les générations Y et Z recherchent habituellement des environnements de travail plus stimulants, collaboratifs, où elles pourront relever des défis, développer des projets, suivre de la formation ou encore se développer dans leur carrière», renchérit Mouna Knani.

Elle fait toutefois une nuance importante et souligne que l’ennui n’est pas une situation créée délibérément par l’employeur; il tient plutôt à la nature de la tâche ou à l’environnement de travail. Lorsque l’ennui est imposé, dans ce cas, on parlera plutôt de bore-out, une façon d’ostraciser l’employé, de le «tabletter», pour le pousser à démissionner.

Combattre l’ennui

Que faire si l’on s’ennuie au travail? Tout d’abord commencer à se poser des questions pour déterminer les causes possibles de celui-ci. Idéalement, si l’entreprise offre un espace psychologique sûr, on devrait s’en ouvrir à son gestionnaire de proximité, qui peut alors donner un coup de main à la recherche de solutions. «En proposant de nouveaux défis par exemple, des tâches qui permettront de développer des compétences ou en intégrant l’employé dans une équipe au lieu de le laisser seul», mentionne Mouna Knani. Lui confier la supervision de stagiaires ou lui fournir de l’encadrement par le biais d’un mentor sont d’autres voies à explorer.

La perte de sens est aussi une autre cause fréquente de l’ennui au travail, et le gestionnaire aurait tout intérêt à ne pas négliger cet aspect. «Il devrait rappeler à l’employé quel est le fondement de son travail. Par exemple, parce qu’il entre des factures dans le système comptable, grâce à lui, employés et fournisseurs sont payés», illustre Annie Boilard. Dans certains cas, l’entreprise pourrait aussi envisager d’automatiser des tâches répétitives, éliminant du même coup les sources d’ennui.

Pour sa part, Jacques Forest, psychologue et CRHA, professeur titulaire au Département d’organisation et ressources humaines à l’ESG UQAM, soulève que l’ennui est causé par une insatisfaction des besoins psychologiques établis par la théorie de l’autodétermination (autonomie, compétence et appartenance sociale). «Pour le faire disparaître, on doit être activement engagé et ne pas attendre que les réponses proviennent de l’extérieur. En ce sens, on doit faire preuve de proactivité, se trouver des défis et des sources de stimulation», recommande-t-il.

Mouna Knani, elle, parle «d’agentivité». «Il faut être un agent actif, ce qui nécessite de chercher soi-même des solutions, d’explorer d’autres avenues, de sortir de sa zone de confort», conseille-t-elle. Autrement dit, on se garde de sombrer dans la passivité, on se retrousse les manches et on passe à l’action!