La pandémie a durement frappé les femmes entrepreneures et les entrepreneurs issus de l’immigration et de certaines communautés culturelles. Pour assurer une relance inclusive, il faudra des mesures adaptées à leurs besoins spécifiques.

Coumba Ngom est propriétaire depuis 2008 du Gîte du Plateau Mont-Royal, une auberge de jeunesse et familiale montréalaise. La crise sanitaire a mis un coup d’arrêt brutal à ses opérations. En effet, contrairement aux autres établissements d’hébergement, les auberges de jeunesse ont dû fermer à Montréal.

Loin de rester chez elle à se tourner les pouces, Coumba Ngom a pris en septembre la suite de Déborah Cherenfant comme présidente du conseil d’administration de Compagnie F, un organisme de soutien à l’entrepreneuriat féminin.

«J’ai rapidement constaté que je n’étais pas seule dans mon cas et que la pandémie avait frappé durement les femmes entrepreneures, souvent en raison de la petite taille de leur entreprise et des secteurs dans lesquels elles se concentrent comme l’hébergement, la restauration, le commerce de détail et les services», confie-t-elle.

Un sondage de Femmessor1 — réalisé en avril auprès de 1 080 entreprises à propriété féminine — a démontré que les entrepreneures des domaines de l’hébergement, de la restauration et des services à la personne se retrouvent en situation «de pure survie». Plus d’une entrepreneure sur cinq craint pour l’avenir de sa société.

Les firmes détenues par des groupes minoritaires comme les Autochtones, les minorités visibles et ethniques, les immigrants et les personnes vivant avec un handicap ont aussi souffert davantage de la crise, révèle une enquête menée par Alias entrepreneur.e2.

«Nous avons constaté que 62 % des entreprises de ces sous-groupes sont en prédémarrage ou en démarrage», explique Luis Felipe Cisneros Martinez, directeur de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal. «Cela les fragilise et complique leur accès à divers programmes d’aide en raison de critères d’éligibilité basés sur la masse salariale ou sur les revenus des années précédentes.» 

Après le sauvetage, la relance

Appuyer les entrepreneurs sera crucial dans la relance, puisqu’ils agissent à la fois en tant que créateurs d’emplois et comme générateurs d’innovations. Dans un récent entretien avec Robert Dutton, professeur associé à HEC Montréal, la ministre du Développement économique et des Langues officielles du Canada, Mélanie Joly, a affirmé que son gouvernement a tissé un «filet social» pour les sociétés depuis le début de la crise.

«Nous avons notamment mis sur pied des subventions salariales, des aides aux coûts fixes et des pardons de prêts», énumère-t-elle. Elle précise que son gouvernement a constamment ajusté ces mesures démarrées dans l’urgence, afin d’éviter que des entreprises ne passent entre les mailles du filet. Un nouveau programme axé sur le capital patient devrait bientôt être annoncé, selon elle. Les gouvernements provincial et municipal ont eux aussi soutenu les entreprises ces derniers mois.

Après avoir protégé ces entreprises, comment assurer leur croissance pendant la relance? Mélanie Joly se dit bien consciente que la crise sanitaire a davantage affecté certains secteurs et certains types d’entrepreneurs. «Les femmes, par exemple, ont plus souffert de la pandémie, déplore-t-elle. Or, si leur contribution à l’économie diminue, cela plombera notre capacité de croissance.»

Les charges familiales accrues pendant la pandémie et un accès plus difficile au financement auraient particulièrement nui aux femmes entrepreneures. Deux obstacles présents depuis longtemps, que la crise a exacerbés. Pour créer des chances égales entre les hommes et les femmes, la ministre estime impératif d’améliorer l’accès des femmes aux capitaux et les programmes sociaux qui les soutiennent. 

Des obstacles administratifs

Mélanie Joly souligne aussi que les femmes ont tendance à se lancer en affaires plus tard que les hommes, une caractéristique qu’elles partagent avec les entrepreneurs issus de l’immigration. Les limites d’âge à 35 ans que l’on retrouve dans plusieurs programmes d’aide à l’entrepreneuriat nuisent donc particulièrement à ces deux groupes et mériteraient d’être revues.

Par ailleurs, les entrepreneurs issus de l’immigration qui ne détiennent pas la nationalité ou la résidence permanente ne peuvent tirer profit des mesures d’aide à l’entrepreneuriat. «C’est notamment le cas des étudiants internationaux, dont le visa ne donne pas accès à ces soutiens», illustre Luis Felipe Cisneros Martinez. Il propose la création d’un visa «d’étudiant-entrepreneur» pour surmonter cet obstacle. Le gouvernement pourrait même identifier certains incubateurs et accélérateurs chargés de parrainer ces étudiants, ce qui faciliterait le contrôle de cette mesure, estime-t-il.

La ministre Joly précise que le gouvernement fédéral essaie de développer des corridors d’immigration pour accélérer l’obtention de la résidence permanente des étudiants internationaux.

D’autres mesures s’imposent toutefois et peuvent concerner des membres de minorités culturelles qui habitent le Québec depuis plusieurs générations. «Certaines communautés sont davantage victimes de racisme et vivent des enjeux sur le plan de l’accès aux capitaux, notamment les communautés noires», rappelle-t-elle. En septembre, le gouvernement fédéral a annoncé la création du Programme pour l’entrepreneuriat des communautés noires, un investissement de 210 millions de dollars assumé par l’État et des institutions financières.

Développer les compétences

Tania Saba, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et coautrice du rapport sur le sondage de Femmessor, souligne le grand besoin de formation chez certains entrepreneurs, entre autres les femmes qui dirigent des entreprises en prédémarrage ou démarrage ou de très petite taille. Selon Statistique Canada, 94 % des entreprises détenues par des femmes comptent moins de 20 employés. Ces besoins seraient criants du côté du financement et du virage numérique.

L’étude de Femmessor montre que bien que la moitié des entrepreneures questionnées recherchent du financement, seulement 20 % comptaient se prévaloir des mesures gouvernementales. Elles peineraient à s’y retrouver parmi tous les programmes ou encore à s’y qualifier.

«Les femmes ont besoin de formation et de soutien pour savoir à qui s’adresser pour obtenir du financement et comment développer leur argumentaire, résume Tania Saba. Leur entreprise est souvent très petite et elles manquent de ressources pour les appuyer dans ces démarches.»

Femmessor a récemment reçu une subvention qui l’aidera à offrir aux entrepreneures des services-conseils au sujet du virage numérique (vente en ligne, marketing numérique, développement des affaires, etc.).

Les organismes d’accompagnement joueront d’ailleurs un rôle crucial dans la relance des entrepreneurs. «Nos formations servent aussi à renforcer la confiance et à briser l’isolement des entrepreneures, affirme Coumba Ngom. L’espoir de la réussite, c’est important, c’est ce qui agit comme moteur de leur projet.»


Notes

1 Femmessor. (2020, mai). Regard sur l’entrepreneuriat féminin en période de Covid-19.

2 Saba, T., Cisneros, L.-F., Cachat-Rosset, G. et Registre, J.-F. R. (2020, octobre). L’entrepreneuriat face à la Covid-19 : Résultats d’une enquête menée par Alias entrepreneur.e.