Dans une entreprise familiale, transmettre le flambeau à la génération suivante s’accompagne de nombreux défis, autant sur le plan personnel que professionnel. Tour d’horizon et conseils.

«Le relayeur est souvent le grand oublié du repreneuriat. On souligne à grands traits le succès des repreneurs, mais si le passage d’une génération à une autre se passe bien, c’est parce que quelqu’un a préparé le terrain en amont, remarque Catherine S Beaucage, directrice transfert et rayonnement à Familles en affaires – HEC Montréal. Cette personne a mis en place les bonnes pratiques, identifié sa relève, soutenu son développement et assuré les bases pour une transition fluide.»

La transition est justement une étape délicate qui nécessite un accompagnement, surtout lorsque le repreneuriat se fait au sein de la famille. Les étapes de transmission diffèrent alors de celles d’un repreneuriat externe. C’est d’ailleurs pour cette raison que Catherine S Beaucage préfère utiliser le terme relayeur plutôt que cédant. «Cela reflète davantage une vision de continuité de l’entreprise, un processus fluide qui s’inscrit dans la durée», explique-t-elle.

Au-delà du transfert lui-même, cette transition implique une période de gestion multigénérationnelle, ajoute-t-elle. «Durant cette cohabitation, il est essentiel de clarifier comment le repreneur trouvera sa place au sein de l’organisation, tout en définissant la manière dont le relayeur transmettra certains éléments à la relève, notamment en ce qui concerne les rôles et les responsabilités. C’est l’un des grands défis de cette étape.»

Ne pas négliger l’aspect humain

Parallèlement, il est nécessaire de faire évoluer les rôles de chacun. Pour le relayeur, qui a dirigé – voire fondé – l’entreprise, cela signifie aussi de devoir surmonter plusieurs deuils. À ce sujet, la Chaire sur la relève et sur l’entreprise familiale de HEC Montréal cible six types de profils, indique Catherine S Beaucage, chacun réagissant différemment à la transition. Certains, se sentant indispensables, s’impliqueront dans le processus, mais risqueront alors de le rendre interminable. D’autres auront du mal à détacher les yeux de la gestion de l’organisation et voudront ajouter leur grain de sel partout. D’autres encore choisiront de se réinventer en dehors de l’entreprise ou veilleront à ce que le changement se déroule harmonieusement et dans le respect des valeurs de chacun.

«En fin de compte, il s’agit d’aider le relayeur à faire confiance à la relève, afin qu’elle puisse s’affirmer, développer ses compétences, disposer des outils nécessaires pour réussir et se sentir légitime, explique la spécialiste. L’objectif est d’adopter une posture de coach, de mentor bienveillant, pour accompagner cette transition.»

Se préparer adéquatement

 «L’essentiel, c’est que le relayeur et le repreneur partagent une vision commune de l'évolution de leur rôle tout au long de la transition, poursuit-elle. Les problèmes surgissent souvent lorsqu’on n’a pas pris le temps d’avoir ces discussions en amont. Et il est tout à fait possible de devoir ajuster le tir en cours de route, ce qui est normal. Faire preuve d’agilité face à ces changements fait partie des bonnes pratiques.»

Pour rester sur la même longueur d’onde, il est donc crucial de maintenir les canaux de communication ouverts. «Je conseille toujours de privilégier une communication abondante. Ce n’est pas parce que c’est notre enfant que nous devinons forcément ce qu’il pense.» L’experte mentionne également l’importance de créer un conseil de famille permettant de formaliser les discussions sur l’avenir de l’entreprise et sur toute la période de gestion multigénérationnelle qui précède la transition. «C’est important de créer des espaces pour que non seulement les repreneurs, mais aussi les relayeurs puissent partager leurs aspirations.»

C’est dans cette perspective que Familles en affaires a lancé, au printemps 2024, le programme Bâtir ensemble où repreneurs et relayeurs sont invités à préparer conjointement ce passage, souligne Catherine S Beaucage. «Cet accompagnement permet justement d’apprendre à travailler dans un contexte de cohabitation multigénérationnelle afin d’assurer un transfert fluide et harmonieux.» L’objectif est donc d’établir un plan contenant différents éléments comme la durée de la transition, l’évolution des rôles de chacun, les défis qu’apportera ce changement et les actions à prendre pour y faire face.

Plusieurs familles ont aussi recours à de l’accompagnement de la part de psychologues, de coachs ou de mentors pour mener à bien ce passage, précise-t-elle. Une aide qui, peu importe la forme qu’elle prend, est d’autant plus précieuse que le nombre de transferts non aboutis est plus élevé dans les entreprises familiales que dans les autres (22,4% comparativement à 16,2%)1.

«Ce n’est pas parce que nous sommes de la même famille que cette cohabitation est simple pour autant. Il faut travailler sur cette relation d’affaires familiale et c’est ce que le programme Bâtir ensemble permet d’amorcer», conclut Catherine S Beaucage.


Note

1 - La Sphère, 2022.