Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

La gestion des ressources humaines en entreprise consiste plus que jamais à mettre en œuvre une intelligence d’affaires reposant sur une vision, sur une stratégie et sur une équipe d’analytique bien informée1. Au début de la pandémie de COVID-19, la Banque Nationale du Canada (BNC) a mis au point et déployé une stratégie originale afin de favoriser la résilience des équipes. Retour sur cette expérience.

Pour la majorité des secteurs économiques au Québec, la crise sanitaire a eu des répercussions humaines et financières, tant sur les activités courantes et sur l’exploitation que sur la clientèle et sur les employés. Lorsque le premier confinement a été décrété, en mars 2020, certains employés de la BNC ont continué à se rendre sur leur lieu de travail pour servir les clients, mais la majorité d’entre eux se sont retrouvés en télétravail à temps plein. En plus d’entraîner son lot d’incertitudes, cette nouvelle réalité a contraint les gestionnaires et les employés à s’adapter rapidement, même si le télétravail faisait partie des pratiques adoptées depuis plusieurs années. Les priorités ont dû être revues très rapidement et il a fallu ajuster certains processus d’affaires essentiels afin de continuer à conseiller et à soutenir les clients, eux-mêmes éprouvés par cette crise sans précédent.

«Au cours de la dernière année, le monde entier a traversé une période extrêmement difficile. Dès le début de la pandémie, notre priorité a été le bien-être de nos employés, de nos clients et de nos communautés», a justement déclaré Louis Vachon, président et chef de la direction de la BNC, lors de la divulgation des résultats de l’année financière 2020. «Nous avons pris toutes nos décisions à la lumière de notre mission, c’est-à-dire prioriser l’humain avant toute chose», a-t-il poursuivi. Conséquemment, l’absentéisme n’a pas augmenté et la mobilisation du personnel a atteint un sommet inégalé.

Ces résultats ont amené l’équipe d’analytique expérience employé (EE) de la BNC à se demander ce qui pouvait expliquer ce phénomène dans un contexte turbulent et incertain. C’est ainsi qu’un projet visant à découvrir et à consolider les leviers de résilience des équipes a été lancé. En plus d’aider les employés à composer avec la pandémie, ce projet avait pour but de déterminer des moyens de faire face collectivement aux perturbations actuelles et futures tout en trouvant de nouvelles façons de faire en vue du retour au travail des employés, selon une formule hybride (télétravail et travail sur place), après la crise.

Sur quelles données doit-on s’appuyer?

Afin de cerner les facteurs de résilience, l’équipe d’analytique EE a mis en œuvre une stratégie de sondage afin de savoir où et quand il fallait intervenir de la manière la plus judicieuse qui soit. Les employés ont été sondés d’abord hebdomadairement puis mensuellement à propos de leur bien-être. Plus précisément, ce court sondage a porté sur la perception des employés quant à leur niveau de stress, à leur moral et au soutien de leur gestionnaire. Ils ont notamment répondu à la question suivante: «Que pouvons-nous faire de plus pour vous soutenir pendant cette période de grands bouleversements?» Parallèlement à cette approche quantitative, des groupes de discussion ont permis de rencontrer une centaine d’employés et de gestionnaires.

Ce sondage avait pour objectif principal de définir les efforts à déployer auprès des équipes qui avaient les besoins les plus criants et de relever les défis les plus importants: repérer les succursales où du matériel de protection sanitaire était requis, dépister les équipes dont le bien-être était à risque afin de leur offrir un accompagnement en intervention RH plus soutenu, concevoir des solutions appropriées pour accroître le bien-être des employés pendant la pandémie, etc. Ainsi, les réponses au sondage ont fait l’objet d’analyses du langage naturel et de techniques d’extraction des connaissances2 pour comprendre en continu les besoins et les préoccupations des employés afin d’ajuster les politiques et les mesures d’accompagnement des équipes de la BNC.

Les données de ce sondage sur le bien-être ont ensuite été croisées avec celles d’un sondage de mobilisation réalisé quelques mois avant le début de la pandémie. Cette phase du projet a permis de circonscrire quatre piliers culturels distinctifs qui favorisent la résilience des équipes et qui génèrent une contribution supérieure aux attentes pour la BNC. Voici les quatre piliers de la résilience que nous avons établis: la communication, l’innovation, le pouvoir d’agir et le leadership cohérent avec les valeurs de l’entreprise (voir le schéma).

Piliers

Ces quatre piliers différenciateurs de la résilience des équipes sont des ancrages culturels cruciaux pour l’institution financière. Ainsi, malgré la crise sanitaire et le passage soudain au télétravail à temps plein, le projet de l’équipe d’analytique EE a permis de consolider ces piliers, ce qui a favorisé un degré élevé de productivité, de bien-être et de mobilisation chez le personnel grâce aux interventions effectuées. La définition de ces différenciateurs a aussi permis de confirmer le profil de leadership de la BNC, la résilience des équipes devenant un facteur de succès de plus en plus important pour l’organisation.

Quelques constats sur les effets du télétravail

Prenant acte du fait que le télétravail procure des avantages et répond aux besoins des employés, le secteur EE de la BNC a aussi exploré la question des apprentissages inhérents au travail à distance à temps plein auprès des personnes touchées par cette mesure. L’objectif? Repérer et pérenniser certaines pratiques qui guideront la mise en application d’une nouvelle formule en matière de présence au travail.

L’équipe d’analytique EE a interrogé le personnel de la BNC quant à ses préférences par rapport au maintien éventuel du travail à distance à plus long terme. Un échantillon pancanadien de plus de 10 000 employés a permis d’établir que la majorité des répondants souhaite retourner au sein de l’entreprise trois jours par semaine lorsque la crise sanitaire sera complètement terminée. La volonté du personnel de revenir partiellement sur les lieux de travail s’explique avant tout par l’importance des relations sociales. En effet, 55% des répondants ont indiqué vouloir revenir au travail pour avoir ou pour rétablir des contacts sociaux, alors que 43% des personnes interrogées ont dit souhaiter reprendre le travail en personne avec leur équipe de travail. À ce sujet, un répondant sur quatre a aussi souligné la nécessité d’être sur les lieux de travail afin de faciliter et d’optimiser l’intégration des nouveaux employés.

Ces résultats démontrent que la présence effective sur les lieux de travail d’une organisation répond à des besoins en matière de rapports sociaux que les interactions virtuelles caractéristiques du quotidien des travailleurs depuis l’apparition de la pandémie ne peuvent pas combler entièrement. En contrepartie, des avantages du télétravail ont également été recensés grâce à ce projet. Les employés de la BNC ont par exemple indiqué qu’ils recevaient un soutien précieux de la part de leurs gestionnaires, qu’ils jouissaient d’une plus grande flexibilité dans leur travail et qu’ils avaient davantage tendance à faire preuve d’audace pour lancer plus rapidement certains projets selon une formule agile. Par ailleurs, pour certains employés en contact direct avec la clientèle de la BNC, le temps accaparé par les déplacements quotidiens a été remplacé par un accroissement du temps consacré à servir et à conseiller les clients pendant la crise sanitaire.

Le retour au travail après la pandémie

La deuxième phase de ce projet a mis en lumière la nécessité de poursuivre la transformation culturelle de la BNC afin de favoriser un retour au travail adapté au contexte de l’après-pandémie. Elle a permis de bien définir les piliers culturels de la résilience présentés précédemment, sur lesquels il sera possible de s’appuyer pour amortir le choc du passage à une formule hybride. En effet, l’expérience de la pandémie a montré que les équipes et les employés peuvent être satisfaits et productifs en télétravail s’ils ont les ressources nécessaires.

D’une part, il sera nécessaire, à l’avenir, de continuer à exercer un leadership authentique malgré l’environnement et les contacts virtuels. Pour y parvenir, les gestionnaires et l’institution devront créer de nouveaux rituels, instaurer un climat de confiance et susciter un sentiment d’appartenance même s’il est possible que les membres des équipes n’aient que des contacts virtuels sur une base régulière. Pour permettre l’émergence d’un leadership axé sur la confiance, sur le soutien et sur la collaboration, il faudra continuer à outiller les gestionnaires afin d’encourager la prise de décisions basées sur les données probantes et de promouvoir un style de gestion orienté vers l’atteinte de résultats tangibles plutôt que de se cantonner dans la microgestion des équipes au quotidien.

D’autre part, il sera primordial de revoir la conception symbolique de l’environnement de travail. Ce projet d’analytique RH pointe vers une transformation profonde des croyances sous-jacentes à la présence effective des employés sur les lieux de travail de la BNC. En effet, ils ne se présenteront plus au travail tous les jours dans le seul but de chercher à atteindre des résultats: ils le feront pour le plaisir et la richesse de l’expérience humaine et pour le rôle crucial que jouent les relations sociales et le sentiment d’appartenance dans l’expérience employé.

Ce qu’il faut retenir

Bien qu’exigeante au début, la mise en œuvre d’une stratégie judicieuse en matière d’analytique RH permet de prendre des décisions et d’intervenir en fonction de données pertinentes propres à l’organisation. Cette stratégie a permis à la BNC d’agir rapidement comme une organisation apprenante même en contexte de crise. En travaillant avec les divers secteurs d’affaires de la BNC, l’équipe d’analytique EE a contribué à mieux comprendre les enjeux critiques liés au bien-être et à la performance des équipes durant la pandémie de COVID-19 et à agir en conséquence. Une telle expertise fait ressortir l’importance que revêt la direction des ressources humaines comme partenaire stratégique capable de mettre en valeur une culture organisationnelle distinctive.


Notes

1. Voir entre autres Oswald, F. L., Behrend, T. S., Putka, D. J., et Sinar, E., «Big data in industrial-organizational psychology and human resource management: forward progress for organizational research and practice», Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, vol. 7, janvier 2020, p. 505-533, ainsi que Ulrich, D. et Dulebohn, J. H., «Are we there yet? What’s next for HR?», Human Resource Management Review, vol. 25, n° 2, juin 2015, p. 188-204.

2. L’extraction de connaissances (text mining en anglais) consiste à analyser le langage écrit et parlé en ayant recours à des techniques informatiques.