Soigner le syndrome du survivant
2025-03-18

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2025-03-26
Soigner le syndrome du survivant
Ressources humaines , Communication

L’impact d’une vague de licenciements peut provoquer chez ceux qui restent un «syndrome du survivant», à travers lequel se mêlent culpabilité, insécurité et ressentiment. Comment y remédier?
La sécurité compte beaucoup dans la relation entre les employés et leur organisation. «Les salariés qui demeurent après un licenciement sentent qu’ils ne contrôlent pas leur destinée et leur milieu de travail, ce qui affecte forcément leur engagement», avance Kevin J. Johnson, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal.
Cela peut se traduire par plusieurs symptômes. Certains employés peuvent être à fleur de peau et exprimer plus souvent des émotions négatives. La multiplication de petits commentaires cyniques représente un signe indéniable que quelque chose ne tourne pas rond. «À l’inverse, les travailleurs peuvent aussi se cloîtrer dans le silence et devenir moins authentiques», ajoute le professeur.
Un coup de massue
Les conséquences les plus négatives découlent de la gestion des licenciements. La direction d’une entreprise garde souvent la perspective d’un tel événement secret jusqu’au moment de l’annonce, pour des raisons stratégiques. «Ça fait l’effet d’une bombe pour les travailleurs qui n’ont rien vu venir, souligne Marie-Julie Côté, consultante en ressources humaines de la firme Grands Talents. Forcément, ils craindront d’être les prochains. La confiance envers l’organisation diminue.»
Révéler longtemps à l’avance que l’on procédera à des mises à pied ne constitue pas la panacée non plus, puisque cela génère de l’insécurité. Marie-Julie Côté conseille plutôt la transparence auprès des employés quant aux défis vécus par l’entreprise. Si l’on sait que les ventes baissent, que l’accès à certains marchés se complique ou que la haute direction envisage une réorientation, on peut se préparer mentalement à la possibilité de mauvaises nouvelles.
«On doit aussi communiquer avec ceux qui restent, précise-t-elle. Ils doivent comprendre pourquoi ils ont été gardés, comment leur rôle pourrait changer, quelles occasions ils auront dans l’entreprise. Ils doivent retrouver des points de repère.»
Pas de jovialisme
C’est bien souvent un gestionnaire intermédiaire qui doit relancer la relation entre les équipes et l’entreprise. Or, lui-même peut ressentir des craintes et des doutes ou remettre en question les décisions de ses patrons, qu’il doit pourtant représenter.
Selon Me Alexandre Rousseau, chargé de cours au Département de management de HEC Montréal et consultant en affaires, la pire réaction consiste à reprendre le slogan pandémique : tout va bien aller. «Le gestionnaire ne peut pas juste être le “cheerleader” de l’organisation, explique-t-il. Il risque de se couper des travailleurs, qui ressentent des émotions plus négatives et qui ne se retrouveront pas dans son discours.»
Il conseille de ne pas minimiser les conséquences négatives de ce qui s’est produit et d’accepter une période de transition plus difficile. «Il doit surtout laisser aux employés des espaces pour qu’ils puissent s’exprimer, afin de rester en phase avec eux», ajoute-t-il.
Sa tâche sera plus ou moins facile selon la manière dont les congédiements ont été gérés. Pendant la pandémie, le PDG d’Airbnb, Brian Chesky, avait écrit une lettre claire aux employés lors du licenciement d’un quart de sa main-d’œuvre. Il avait bien expliqué le processus de sélection des travailleurs mis à pied et leur avait offert des avantages, notamment un an de couverture médicale. À l’inverse, quand Elon Musk a acheté Twitter, il a renvoyé les gens avec un courriel impersonnel, après avoir bloqué les cartes d’accès de tous les salariés et avoir fermé temporairement les bureaux.
Pilule amère
Pour bien faire passer la pilule, encore faut-il qu’elle ne soit pas empoisonnée. Jacques Forest, professeur au Département d’organisation et ressources humaines d’ESG UQAM, ne se gêne pas pour dire qu’il trouve la question du syndrome du survivant indécente. Selon lui, on devrait effectuer un pas de recul et examiner si les licenciements sont justifiés. «On invoque souvent le manque d’argent pour défendre des mises à pied, alors que les hauts dirigeants conservent leurs salaires mirobolants; pourquoi les employés qui restent devraient-ils accepter cela?» demande-t-il.
Il invite plutôt à changer la logique de l’entreprise. Il donne l’exemple de Ben & Jerry’s, qui avait plafonné l’écart entre les plus hauts et les plus bas salaires. Au-delà du salaire, les travailleurs d’une entreprise qui engrange d’énormes profits et dont les actions pointent au firmament peineront forcément à comprendre pourquoi ils ont perdu leurs collègues dans des vagues de licenciement massives et successives. «Si on veut que les employés se sentent bien, on doit les traiter de manière juste, conclut Jacques Forest. C’est ça qui augmente l’engagement.»
Ressources humaines , Communication