A-t-on besoin de prendre des vacances et du repos pour être créatif? La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît.

Chez Altrum Reconnaissance, une entreprise spécialisée en solutions de reconnaissance au travail, des créatifs sont à l’œuvre pour concevoir des trophées. «Il faut donner de l’espace à la créativité pour lui permettre de se déployer. Pour la stimuler, cela prend bien plus que des vacances, il faut aussi que cela s’inscrive dans les pratiques organisationnelles», témoigne Julie Lajoie, CRHA, directrice talent et culture et directrice principale.

C’est pourquoi la compagnie a notamment mis sur pied des cercles d’innovation, des groupes d’une dizaine de personnes se concentrant sur un thème donné. Pendant ces sessions, elles peuvent avoir recours à différentes techniques comme la visualisation et la méditation. On les incite aussi à regarder autour d’eux et à puiser l’inspiration dans d’autres domaines que le leur, les arts par exemple.

Réservoirs à bissociation

Gaëtan Namouric, stratège, fondateur de l’agence Perrier Jablonski et chargé de cours à HEC Montréal, est d’avis que si prendre des vacances peut être favorable à la créativité, il ne s’agit pas tant d’arrêter de penser que de penser autrement. «Il y a plusieurs étapes clés dans le processus créatif. Parmi elles, on retrouve celle de l’incubation lente, qui est primordiale et que l’on doit à tout prix protéger», explique-t-il. Pourquoi? Parce qu’elle permet d’entamer une sorte de partie de ping-pong entre conscient et inconscient durant laquelle les idées peuvent germer.

«Notre cerveau est habitué à trouver des solutions rapides aux problèmes, il fonctionne par déduction. Mais pour être créatif, il faut véritablement entrer dans un processus bissociatif. Or, c’est l’incubation lente qui permet cette bissociation. La bissociation est un processus créatif qui consiste à combiner deux idées, deux solutions ou deux univers qui semblent a priori étrangers, afin d'en créer un troisième, inédit», ajoute-t-il. Un peu comme si l’on faisait cuire longuement et à petit feu un plat sur le rond arrière de la cuisinière, et à faire autre chose pendant que cela mijote. Pour sa part, Gaëtan Namouric se rend au spa Bota Bota deux fois par semaine. C’est en barbotant dans l’eau des bains extérieurs qu’il se ressource et nourrit sa créativité.

Mais ce n’est pas tout, car il recommande aussi de cultiver ses passions, peu importe lesquelles – musique, cinéma, vélo, hockey, escalade, etc. –, parce qu’elles sont de véritables «réservoirs à bissociation». Einstein en aurait d’ailleurs entretenu trois dans sa vie : la voile, la marche et le violon. Quant à Gaëtan Namouric, il se dit littéralement obsédé par l’histoire des sciences, la philosophie et le fonctionnement de l’esprit et de la pensée. Il a écrit de nombreux textes reliés à ces thèmes, dont certains publiés dans la revue Gestion, par exemple La nuit des Olympica : l’étrange naissance de la rationalité, ainsi qu’Einstein, VP innovation. «Pour être créatif, on doit nécessairement s’intéresser à d’autres problèmes ou à d’autres disciplines que les nôtres. On finit toujours par faire des parallèles surprenants», affirme-t-il.

Trouver l’inspiration dans ses passions

Laurent Simon, professeur titulaire au Département d’entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal, souligne que la créativité passe par la capacité de faire des associations. «C’est la diversité des expériences qui permet de fournir des réponses nouvelles à des problèmes complexes. Il est important de savoir changer de regard et de perspective, sinon, on apporte toujours les mêmes réponses. Lorsqu’on veut innover, il faut lever les yeux et regarder ailleurs que dans notre propre industrie. On doit être en mesure de sortir de ses vieilles ornières», précise-t-il. Si l’on œuvre dans le domaine de la culture par exemple, cela peut donc être une bonne idée de s’intéresser aux sciences, et inversement, les scientifiques pourraient trouver une source d’inspiration dans les arts.

Est-il nécessaire d’arrêter et de prendre des pauses pour nourrir sa créativité? «Il ne s’agit pas de rien faire, mais plutôt de faire autre chose, de stimuler notre cerveau autrement. D’ailleurs, les grands créatifs sont généralement des gens qui travaillent énormément, et sur différents projets en parallèle. Ils ont aussi une grande curiosité intellectuelle», explique-t-il.

Tout comme Gaëtan Namouric, il estime que le ressourcement passe par le fait de nourrir ses passions. «J’ai eu l’occasion de travailler avec le fameux chimiste Jean-Marie Lehn. Il adore la musique, le piano en particulier, et il a déjà mentionné que ça l’a amené à se questionner autrement sur son domaine de recherche», illustre-t-il. Jean-Marie Lehn a reçu le prix Nobel de chimie en 1987, prix grâce auquel il s’est d’ailleurs offert un piano à queue!