Mettre au rancart les cotes annuelles de performance des employés, une bonne idée? Tour d’horizon des expériences tentées et des études récentes sur le sujet.

L’abandon des évaluations annuelles des employés est vu depuis quelques années comme une façon de faire novatrice pour contrer les nombreuses insatisfactions des travailleurs à l’égard des pratiques traditionnelles d’évaluation de la performance1.

Bien des employés ont l’impression que ces évaluations sont injustes et subjectives. La recherche montre en effet que les gestionnaires sont souvent mal à l’aise à l’idée d’attribuer de mauvaises cotes aux employés sous-performants2. Une enquête récente révèle également que plus du tiers des employés pleurent tellement ils sont bouleversés par leur évaluation3. Considérant qu’ils sont nombreux à vivre plutôt mal ce moment de fin d’année, il n’est pas surprenant que l’envoi aux oubliettes de cette pratique suscite l’engouement.

Du côté des organisations, celles-ci ont l’impression d’investir beaucoup de ressources dans la mise en place du processus d’évaluation de leurs employés, alors que les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous. À titre d’exemple, la firme Deloitte a calculé que son processus d’évaluation pour l’ensemble de ses employés à travers le monde représente plus de deux millions d’heures de travail annuellement4.

C’est principalement pour ces raisons que plusieurs entreprises, notamment du secteur de la technologie et de la consultation, ont adopté une position ferme contre les cotes de performance. Mais est-ce la bonne chose à faire?

Série Performance

Deux cas à succès

Il y a un peu plus de cinq ans, Adobe a décidé d’éliminer complètement les évaluations annuelles ainsi que les cotes de performance de ses employés pour les remplacer par des pratiques de rétroaction en continu. Les gestionnaires doivent désormais rencontrer, au moins une fois par mois, chacun de leurs employés pour discuter de performance, écouter leurs besoins, aligner les priorités et cibler les zones d’amélioration et de développement. L’objectif : soutenir les employés dans leur performance tout au long de l’année5,6.

De son côté, la firme de consultation Deloitte a adopté une approche avec des rencontres trimestrielles de performance tout en maintenant une certaine forme d’évaluation. Plutôt que de mesurer des critères traditionnels de performance sous la forme de comportements et de résultats, l’organisation a élaboré des questions portant sur l’utilité du processus (attribution des bonis, contribution à l’équipe, gestion de la sous-performance et identification des employés à haut potentiel). Ainsi, les gestionnaires doivent répondre aux quatre énoncés ci-dessous en guise d’évaluation trimestrielle7 :

1) Compte tenu de ce que je sais de la performance de cette personne, et si c’était mon argent, je lui attribuerais le boni le plus élevé possible.

2) Compte tenu de ce que je sais de la performance de cette personne, je voudrais toujours qu’elle fasse partie de mon équipe.

3) Cette personne court un risque de faible performance.

4) Cette personne est prête pour une promotion aujourd’hui.

Cette nouvelle approche a permis à la firme Deloitte de diminuer la démobilisation des employés et d’augmenter leur investissement dans le travail8.

Malgré le fait que très peu de données empiriques solides témoignaient de l’efficacité de ces nouvelles façons de faire, plusieurs entreprises ont suivi la vague de ces cas à succès. Certaines d’entre elles s’y sont toutefois cassé les dents…

Des expériences pas toujours concluantes

Les premiers résultats de recherche mettent en lumière certaines problématiques concernant l’abandon des évaluations. En effet, les organisations qui ont adopté cette pratique ont observé en moyenne une baisse de 10 % de la performance de leurs employés9. La qualité des conversations entre les gestionnaires et les employés s’est également dégradée10. Ceci n’est pas étranger au fait que, sans système formel d’évaluation, il est beaucoup plus difficile pour les gestionnaires et l’organisation de distinguer les individus qui brillent et qui méritent des récompenses, de ceux qui sont à risque de sous-performance et qui ont besoin de soutien11.

L’expérience s’est donc avérée peu concluante, voire négative, pour une majorité d’organisations qui ont tenté d’abandonner les évaluations et les cotes de performance.

Les avantages et les inconvénients des cotes de performance

 Si les évaluations représentent donc un mal nécessaire, comment améliorer la perception des employés et des gestionnaires face à ce processus? Il faut d’abord revenir sur les principaux avantages et inconvénients de cette pratique.

Les avantages

Les inconvénients

Les cotes de performance aident à mieux justifier les décisions prises de façon équitable par les ressources humaines (rémunération, promotion, rétrogradation, etc.). Les cotes de performance demeurent faussées par des facteurs affectifs ou politiques.
Elles sont considérées comme étant plus justes que l’absence de cotes. Elles requièrent des ressources humaines et temporelles importantes.
Elles permettent de mieux cibler les forces et les faiblesses des employés. Elles représentent une source de stress pour plusieurs employés.
Elles signalent aux employés qu’ils doivent maintenir ou ajuster leur performance. Elles représentent une source d’inconfort pour plusieurs gestionnaires.

Sources : Adler et al., 2016; Giamos, 2020

Afin de maximiser l’efficacité du processus d’évaluation, les organisations doivent, dans un premier temps, diminuer les irritants et miser sur la rétroaction. C’est d’ailleurs un élément fort qui ressort des cas d’Adobe et de Deloitte, qui mettent l’accent sur la rétroaction continue et le coaching des employés pour les aider à se surpasser. Une étude récente démontre que, même en situation de sous-performance, les cotes d’évaluation accompagnées de rétroaction constructive en continu augmentent significativement la performance des employés12. Cette forme de rétroaction apporte des informations importantes aux travailleurs sur leur niveau de performance et sur leur positionnement par rapport aux autres. Sans cette combinaison de pratiques, la performance risque de se dégrader.

Que l’on décide d’abandonner ou de maintenir un système formel d’évaluation dans l’organisation, l’exercice d’une rétroaction régulière entre le gestionnaire et les employés demeure incontournable. Et la qualité de cette démarche dépend en bonne partie de la façon dont s’y prennent les gestionnaires. C’est pourquoi les organisations doivent les outiller et les convaincre de l’importance de développer des compétences relationnelles et communicationnelles; la performance de leur équipe en dépend.


Notes

1 Doucet et al., 2020; Murphy, 2019

2 Doucet et al., 2020

3 Adobe, 2017

4 Buckingham et Goodall, 2015

5 Bhatnagar et Bhagyalakshmi, 2016

6 Doucet et al., 2020

7 Buckingham et Goodall, 2015

8 Idem

9 Corporate Executive Board, 2016

10 Idem

11 Adler et al., 2016

12 Giamos, 2020


Références

Adler, S., Campion, M., Colquitt, A., Grubb, A., Murphy, K., Ollander-Krane, R. et Pulakos, E. D. (2016). Getting rid of performance ratings: Genius or folly? A debate. Industrial and Organizational Psychology, 9(2), 219-252.

Adobe. (2017). Performance reviews get a failing grade. https://www.slideshare.net/adobe/full-study-performance-reviews-get-a-failing-grade

Bhatnagar, M. et Bhagylakshmi, K. (2016). Tectonic shift in talent retention : The Adobe way. Harvard Business Review. No. 416-0018-1. Amity Research Centers.

Brecher, D., Eerenstein, J., Farley, C. et Good, T. (2016). Is performance management performing? Accenture.

Buckingham, M. et Goodall, A. (2015). Reinventing performance management. Harvard Business Review93(4), 40-50.

Corporate Executive Board. (2016). The impact of eliminating performance management. Gartner.

Doucet, O., Giamos, D. et Lapalme, M. È. (2019). Peut-on gérer la performance et le bien-être des employés? Une revue de littérature et quelques propositions de recherche sur les pratiques innovantes en gestion de la performance. Ad machina : l’avenir de l’humain au travail, (3), 165-176.

Giamos, D. (2020). Impacts of Performance Ratings and Continuous Feedback on Employee Performance and Reactions [mémoire de maîtrise]. HEC Montréal. https://biblos.hec.ca/biblio/memoires/m2020a629178.pdf

Murphy, K. R. (2019). Performance evaluation will not die, but it should. Human Resource Management Journal30(1), 13-31.