«Sans supervision étroite, les employés travailleront bien moins!» Cette affirmation d’un cadre d’entreprise renvoie à un discours partagé par de nombreux gestionnaires. Pourtant, rien n’est moins sûr.

Cette croyance tenace a largement contribué au fait qu’au cours des dernières années, même si la technologie permettait le déploiement du travail à distance, le Canada est demeuré l’un des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) où le télétravail s’est le moins répandu.

Un coup de sonde, mené en juin 2020 par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), a révélé que seulement 45 % des organisations avaient une politique qui encadrait le télétravail. Sans outil de référence, il est normal que de nombreux gestionnaires soient réticents à permettre à plus long terme cette pratique.

Le contexte de la pandémie est cependant venu changer la donne : le télétravail s’est avéré un des moyens par excellence pour endiguer la propagation du virus. La situation a révélé ce que bien des chercheurs avaient documenté au cours des 20 dernières années : il est possible de faire confiance à ses télétravailleurs! Évidemment, pour les organisations, cela n’atténue pas l’importance de préciser les nombreux cadres et frontières de cette nouvelle réalité. Cependant, certains pièges doivent à tout prix être évités.

Série Performance

Piège no 1 : maintenir les mêmes structures de contrôle du travail

Le succès à moyen ou à long terme du déploiement du télétravail passe assurément par une remise en question de pratiques plus traditionnelles de gestion, dont le contrôle des comportements et de la présence au travail1. En effet, ces éléments sont beaucoup plus difficiles à mesurer en contexte de télétravail et, pour un nombre grandissant d’emplois, ils sont de moins en moins reliés à l’atteinte des résultats. Dans cette perspective, il faut plutôt responsabiliser les employés et s’orienter vers une gestion par résultats.

En établissant, de concert avec chacun des membres de son équipe, des attentes de performance spécifiques, mesurables, alignées, réalistes et fixées dans le temps (SMART) et, surtout, en réalisant des suivis plus fréquents de la progression des objectifs, les gestionnaires verront leurs employés mieux performer.

Ils auront également avantage à orienter leur style de gestion sur une approche plus participative. À distance, il faut miser sur la communication sous toutes ses formes. Les employés se mobiliseront davantage s’ils se sentent consultés, entendus et considérés, ou encore s’ils se voient accorder davantage d’autonomie et de responsabilités2.

Piège no 2 : mieux surveiller grâce à la technologie

 Les gestionnaires tentés de substituer le contrôle en présence à un contrôle technologique de la performance doivent être prudents. Plusieurs études ont démontré que les travailleurs apprécient l’autonomie que procure le télétravail et ont une perception négative des technologies qui permettent aux employeurs de les surveiller3.

Un exemple probant est la récente polémique et les fortes critiques engendrées par le nouvel outil de suivi de la productivité d’Office 365. Ce dernier peut traquer toutes les activités des employés sur ses différentes plateformes, allant de la fréquence d’accès aux courriels, en passant par la participation aux réunions et aux délais d’inactivité sur l’ordinateur4.

Bien qu’une approche basée sur la confiance et la responsabilisation constitue la voie à suivre dans un contexte à distance, la tentation des gestionnaires d’utiliser de tels outils peut être grande. Si c’est le cas, les mots d’ordre sont la parcimonie et la transparence! Ces éléments peuvent représenter des critères d’évaluation de performance, mais ils ne doivent pas être les seuls. Enfin, l’organisation doit faire preuve de transparence : elle doit informer de façon claire ses employés des informations qu’elle retire de ses outils et de l’utilisation qu’elle entend en faire.

Piège no 3 : ne pas entretenir le sentiment d’appartenance

Au-delà de l’éloignement physique, le télétravail peut engendrer une forme de distance psychologique. Certains employés, particulièrement ceux qui 

télétravaillent à temps plein, ressentiront dans la durée une certaine démotivation et un sentiment d’isolement social et professionnel5. C’est pourquoi la capacité des gestionnaires à entretenir un sentiment d’appartenance à l’équipe et à l’organisation ressort comme un facteur déterminant de la mobilisation et de la performance individuelle et collective dans un contexte de travail à distance.

Plusieurs possibilités peuvent ici être considérées :

  • Maintenir les échanges en face à face par la tenue de rencontres virtuelles régulières avec des ordres du jour bien structurés et adaptés au contexte de ces réunions à distance.
  • Planifier régulièrement des activités de reconnaissance individuelle et collective moins formelles.
  • Mettre en place des mécanismes de soutien selon les besoins des individus. Par exemple, un système de compagnonnage pour de nouvelles recrues et des canaux de communication et de soutien, comme dans Teams, pour les besoins de groupe.

La distance a une incidence sur la façon de gérer et d’évaluer la performance au travail. Elle force ainsi les organisations à revoir le cadre de travail et à remettre en question certaines pratiques de gestion qui ne répondent plus aux exigences de cette nouvelle réalité.

Rappelons que le télétravail permet un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle en réduisant de façon significative la perte de temps liée au transport. Il augmente aussi la qualité de vie d’une grande majorité de travailleurs.

En adaptant les pratiques de gestion pour clarifier la performance attendue, en développant l’autonomie et la confiance des employés et en se souciant de pallier la distance par des activités régulières de communication, de soutien et d’affiliation sociale, la performance de la majorité des télétravailleurs se maintiendra ou s’améliorera. Il restera bien entendu quelques exceptions à cette approche qui nécessiteront un suivi plus serré de la part des gestionnaires. Cependant, n’est-ce pas là l’essence même de la gestion globale d’une équipe?

Télétravail : des cadres qui restent à préciser

Plusieurs éléments doivent être mis en place afin que la pratique du télétravail soit bien encadrée. Par exemple :

  • Créer ou réinventer des politiques et des procédures.
  • Développer une capacité technologique pour servir les employés.
  • Assurer la sécurité, l’intégrité et la confidentialité des données.
  • Organiser de nouveaux rapports de communication et de collaboration.
  • Préciser le cadre législatif autour du télétravail.


Notes

1 Tremblay et Demers, 2020

2 Doucet et Tremblay, 2019

3 Taskin et Tremblay, 2010

4 Radio-Canada, 2020

5 Brunelle, 2009; Tremblay et Demers, 2020


Références

Brunelle, E. (2009). E-Leadership - L’art de gérer les distances psychologiques. Gestion, 34(2), 10-20.

Doucet, O. et Tremblay, M. (2019). Chapitre 11 : Mobiliser les employés. Dans A. Bourhis et D. Chênevert (dir.), À vos marques, prêts, gérez (2e éd., p. 305-329). ERPI.

Radio-Canada. (2020, 27 novembre). Microsoft est critiquée pour un nouvel outil qui traque la productivité du personnel. Radio-Canada Techno. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1753049/microsoft-critique-outil-traque-productivite-personnel

Tremblay, D.-G. et Demers, G. (2020). Le télétravail : Enjeux et défis — Guide d’information et d’implantation. https://teletravail.teluq.ca/teluqDownload.php?file=2020/09/Teletravail_document_base.pdf

Taskin, L. et Tremblay, D.-G. (2010). Comment gérer les télétravailleurs? Gestion, 35(1), 88-96.