Ensemble, nous avons affronté la pandémie de COVID-19, les incertitudes, les confinements, les adaptations multiples... C’est de cette même manière, dans un effort collectif, que les employés, les gestionnaires et les organisations doivent répondre à l’épuisement.

De l’avis de Mouna Knani, professeure au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal, il semble que lorsqu’il s’agit d’épuisement, «c’est souvent l’employé qui porte la responsabilité la plus lourde ». « On exige qu’il soit performant, qu’il prenne soin de lui-même, qu’il résiste au stress», remarque-t-elle. Alors qu’on parle souvent du fameux lâcher-prise, on a plutôt tendance à tenir prise, pour éviter d’être considéré comme un lâcheur et de vivre un sentiment d’échec. «Pourtant, le lâcher-prise est un acte de volonté; c’est une décision qui demande du courage et une force de caractère. C’est un muscle psychologique; il faut l’entraîner!»

Quant au reste, l’entreprise joue un rôle primordial sur la route de l’épuisement : protéger les employés est une responsabilité partagée. «Il doit y avoir un engagement ferme à tous les niveaux organisationnels. C’est malheureux que l’épuisement professionnel ne soit pas encore reconnu comme une maladie liée au travail, comme c’est le cas dans d’autres pays, notamment en France», se désole Mouna Knani. Aborder plus ouvertement le sujet et cesser de stigmatiser la santé psychologique favoriseraient la prévention de l’épuisement.

Tout le monde serait gagnant, encore plus dans un contexte pandémique qui a amplifié les facteurs de stress, doublant les risques de détresse, comme le mentionne la spécialiste. «Le projet de recherche Burnout, de l’Institut de cardiologie de Montréal, a démontré que plus de la moitié des professionnels de la santé ont vécu un épuisement depuis le début de la pandémie. C’est énorme!»

Un appel au dialogue et à la solidarité

Devant un phénomène de cette ampleur, les experts insistent sur l’importance de ne pas laisser la personne seule devant l’impasse. L’effort ne saurait être qu’individuel. Jacinthe Ouellet, psychologue organisationnelle, coach certifiée, formatrice et consultante principale à Humance, parle du triangle de la responsabilité : une organisation qui propose des moyens concrets de prévention et d’action; un patron qui fait montre d’écoute active et qui soutient le bien-être de son équipe; et, finalement, un employé responsable, évidemment, de maintenir un certain équilibre de vie. «Tout ça est nourri par le dialogue et la participation, dit-elle. C’est essentiel de prendre le temps de demander à ses employés, à ses collègues, en toute sincérité : comment ça va? Comment puis-je t’aider? Sur une échelle de 1 à 10, quel est ton niveau d’énergie et de plaisir au travail?»

Dans un même élan, la psychologue parle d’une entreprise humaine où les dirigeants de haut niveau donnent l’exemple, notamment en favorisant les rencontres plus courtes, mais régulières. Ces gestionnaires savent également aider les employés à dire non pour éviter la surcharge. «En complément, on se donne des trucs. J’aime bien le "90-15" : 90 minutes de travail et 15 minutes de pause pour aller prendre l’air.» Une discipline qui en vaut la peine.

Série Épuisement

Un climat de sécurité psychosociale

Dans une étude qu’elle a menée dès le début de la pandémie, Caroline Biron, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, a constaté qu’il y a environ de 20 à 25 % moins de détresse dans les organisations qui accordent une priorité élevée à la santé psychologique. «Un climat de sécurité de santé psychosociale vient entièrement en amont des facteurs de risque, souligne-t-elle. Quand on s’assure que le gestionnaire est soutenu, que les ressources sont disponibles, que sa charge de travail est équilibrée et qu’il a tout ce dont il a besoin pour bien gérer son équipe, alors là, on est dans une logique de prévention.»

C’est que les gestionnaires aussi sont débordés et épuisés! «Dans le contexte actuel, les cadres sont à bout de souffle. Depuis le début de la pandémie, on leur demande sans cesse de changer leurs priorités; ils portent plusieurs projets sans en voir l’aboutissement; ils vivent de l’isolement également. Ils ressentent beaucoup d’insatisfaction, de frustration et d’impuissance ainsi qu’un sentiment d’incompétence», remarque Jacinthe Ouellet. Ici aussi, la responsabilité partagée est tout indiquée : il n’est pas interdit d’offrir son soutien à son chef!

Par ailleurs, près de deux ans de pandémie ont amené plusieurs personnes à réfléchir à la finalité de leur travail. «Il y a eu une remise en question généralisée quant à l’utilité de son travail», note Estelle Morin, psychologue, professeure au Département de management de HEC Montréal et professeure associée à la Chaire Sens et Travail de l’Institut catholique d'arts et métiers (ICAM) de Lille. «Savoir que son travail sert, qu’il ajoute une valeur à la communauté, que la mission de son entreprise est en harmonie avec ce désir d’être utile : tout cela crée du sens, base même de la résilience, cette formidable capacité d’adaptation.»