Séparer le bon grain de l’ivraie
2020-07-08
French
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2023-10-02
Séparer le bon grain de l’ivraie
Alors que bien des entreprises perdent pied en temps de crise, pour Christopher Worley, professeur à la Pepperdine Graziadio Business School en Californie, c’est la preuve qu’elles n’étaient pas agiles. Et qu’elles doivent prendre le virage si elles veulent durer.
« Les dirigeants d’entreprises disent toujours que l’agilité est importante, mais la plupart des organisations n’étaient pas préparées à vivre une crise », affirme Christopher Worley, joint par vidéoconférence chez lui, dans les montagnes californiennes.
Comprendre comment les organisations changent, se développent, croissent, sont stratégiques, mettent des routines en place pour s’adapter aux multiples changements amenés par la numérisation et la mondialisation : c’est ce qui a amené Christopher Worley à s’intéresser à l’agilité dans la gestion des organisations il y a plus de 15 ans.
Dans The Agility Factor : Building Adaptable Organizations for Superior Performance, un ouvrage qu’il a coécrit et qui a été publié en 2014, il décrit l’agilité comme la capacité dynamique d’une organisation à apporter des réponses opportunes, efficaces et durables aux changements de son environnement. C’est plus qu’une bonne gestion ou qu’un ensemble d’aptitudes. L’agilité permet aux organisations de s’adapter encore et encore, de façon sensée, pour soutenir une performance au-dessus de la moyenne sur de longues périodes de temps.
Un bon leader est stratégique maintenant et pour demain
Si les organisations sont nombreuses à demander au professeur ce qu’elles peuvent faire pour changer, il soutient que l’essentiel n’est pas de changer, mais de le faire en suivant une stratégie qui prévoit aujourd’hui, mais aussi demain.
« Il n’y a pas un avantage concurrentiel qui est durable, soutient Christopher Worley. Ils sont tous momentanés. Si la stratégie adoptée est de défendre ses avantages concurrentiels, cela signifie que l’organisation ne changera pas. C’est une erreur, parce que la seule chose qu’on sait, c’est que la stratégie qui fonctionne aujourd’hui ne fonctionnera pas demain. »
Pour pouvoir mieux anticiper l’avenir et prendre les bonnes décisions, le professeur conseille aux organisations de surveiller l’évolution de la technologie et de la recherche universitaire, mais aussi, de rester connectées aux clients et aux fournisseurs. « La rétroaction des clients et des fournisseurs est souvent recueillie par les employés du bas de la pyramide de l’organisation, indique le professeur Worley, alors la haute direction doit mettre en place un mécanisme qui fait monter ces informations jusqu’à elle. »
Un bon leader prévoit le pire
Être stratégique, c’est aussi regarder tout ce qui peut arriver et prévoir le pire. « Bill Gates, dans son TED Talk (en 2015, suite à l’épidémie d’Ebola), et la plupart des agences gouvernementales au Canada, aux États-Unis et dans l’Union européenne ont dit qu’une pandémie était possible, rappelle Christopher Worley. Les organisations ne pouvaient pas prévoir la COVID-19 spécifiquement, mais elles devaient prévoir un problème de santé publique majeur. »
Aux yeux du professeur, être préparé au pire est beaucoup plus important que de réagir rapidement si le pire arrive. « Sans préparation, on agira rapidement, parce qu’on n’aura pas d’autre choix, mais on sera inefficace, on gaspillera des ressources, du temps, et les gens sur la première ligne souffriront, explique-t-il. Si on est préparé au pire, on saura quoi faire. »
Le problème, c’est qu’aucune organisation n’aime pas prévoir le pire. « Les organisations sont trop dédiées à leur efficacité, elles ont des coûts à contrôler et penser par exemple qu’un virus peut arriver est souvent vu comme une perte de temps et de ressources, mentionne M. Worley. Mais, pour que les organisations soient vraiment performantes, les leaders doivent permettre un peu d’inefficacité pour être plus efficaces par la suite. Être totalement efficaces ne permet pas d’ajustements qui permettent d’être plus alignés sur la stratégie. »
Ainsi, une organisation agile, donc préparée au pire, performerait mieux à court terme que les autres. Mais pour le professeur, c’est dans la performance à long terme qu’une organisation agile se distingue réellement. « Elles peuvent faire des erreurs sans disparaître », dit-il.
Dans son livre, il donne l’exemple de Nokia… qui a commencé à avoir des problèmes après la publication. L’expert demeure convaincu que Nokia est une organisation agile. « L’entreprise a fait des erreurs coûteuses, elle n’a pas compris la différence entre le marché mondial et américain avec Apple et l’iPhone, mais l’entreprise s’est ajustée et aujourd’hui, elle revient. Nokia n’est pas parfaite, mais parce que c’est une organisation agile, elle a pu récupérer. »
Un bon leader partage les pouvoirs
Plusieurs organisations veulent maintenant devenir plus agiles, mais elles ne savent pas trop comment s’y prendre. « Pour y arriver, elles doivent comprendre où elles sont agiles et où elles ne le sont pas, indique le professeur. C’est le diagnostic. Il est important, parce qu’il détermine où sont les besoins. C’est une étape qui prend du temps, mais ensuite, l’organisation voit clairement ce qu’elle doit changer. »
Une fois que la haute direction a annoncé le changement à faire, elle doit allouer du temps et des ressources aux gens pour aller de l’avant, ainsi que leur donner du pouvoir. C’est le leadership partagé, comme on retrouve chez Netflix par exemple, constate le professeur. « Le leader doit déterminer clairement quelles sont les décisions qui lui reviennent et celles qu’il remet aux mains des différentes équipes, précise-t-il. La barrière doit être claire pour éviter le chaos. »
Les différents défis liés à la gestion de crise, notamment l’implantation du télétravail dans les organisations, ont donné un coup de pouce à l’adoption d’un leadership partagé. « Les entreprises ont bougé rapidement, certaines ont même été surprises de fonctionner plutôt bien en mode virtuel, affirme le professeur. Mais, une fois la crise passée, elles devront regarder ce qu’elles ont appris et s’en servir comme levier. Il y a des éléments que les organisations voudront garder, d’autres pas. Pour devenir agile, il faut avoir l’intention de le faire. Sinon, on oublie tout et on retourne simplement là où on était avant. »