Savez-vous reconnaître le désengagement passif?
2024-10-10
French
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2024-10-04
Savez-vous reconnaître le désengagement passif?
Management , Leadership
Vous estimez avoir développé un sixième sens pour détecter quels sont les employés susceptibles de quitter votre organisation prochainement ou ceux qui demeurent en poste tout en étant profondément désengagés. Mais serait-ce possible que vos angles morts soient beaucoup plus importants que vous ne le croyez? Possédez-vous réellement cette capacité à repérer le désengagement dans vos équipes?
De nombreux articles ont été écrits sur le thème de l’engagement au travail et sur les façons de galvaniser les troupes. Avoir une équipe enthousiaste et engagée est certes le rêve ultime de tout gestionnaire. La littérature scientifique a permis de dresser une liste d’actions et de comportements observables dans les équipes dont le degré d’engagement est élevé. Mais sait-on véritablement ce qui constitue du désengagement? Dans la pratique, nous constatons fréquemment un écart entre la perception positive du gestionnaire et ce qui est vécu sur le terrain.
Cette disparité entre la perception et la réalité s’explique notamment par le fait que les employés adoptent fréquemment des stratégies de gestion des impressions1 afin que leur patron les perçoive positivement! Ces stratégies sont subtiles et particulièrement difficiles à détecter. Combien de personnes éclatent de rire lorsqu’on leur raconte l’histoire de ce salarié qui, lorsque son supérieur quitte le bureau, lui souhaite une bonne soirée en lui laissant entendre qu’il a beaucoup de travail et qu’il ne sait pas à quelle heure il terminera, pour finalement déguerpir dès que la voiture du patron est sortie du stationnement? Les employés démobilisés – et créatifs – peuvent avoir recours à une panoplie de stratégies d’optimisation de ce genre.
Quelques exemples de stratégies de gestion des impressions par les employésLa flatterie - Abdel, un membre de l’équipe marketing, a compris que sa directrice estime particulièrement les employés qui valorisent ses idées et sa vision stratégique. Ainsi, chaque fois qu’elle présente un nouveau projet ou une nouvelle idée en réunion, Abdel s’assure de l’appuyer sans réserve, malgré les doutes qu’il peut avoir. En retour, sa directrice perçoit Abdel comme un allié loyal et fidèle, et lui accorde des avantages, comme des horaires flexibles ou des mandats stimulants. L'autopromotion - Brigitte souhaite que sa gestionnaire la perçoive comme un élément clé de l’équipe. À chaque réunion de projet, elle met en évidence les défis techniques qu’elle a surmontés et ses contributions, bien que certaines de ces réalisations aient été faites en équipe. Brigitte envoie également, de façon systématique, des courriels récapitulant ce qu’elle a accompli durant la semaine. Sa gestionnaire la voit de plus en plus comme un pilier du groupe, alors que ses collègues ont le sentiment qu’elle exagère souvent son apport. L'exagération de la complexité du travail - Carlos travaille dans le domaine de la technologie et veut impressionner son nouveau supérieur. Il présente alors tous les mois un rapport exhaustif de manière à laisser entendre que le projet qu’il mène est extrêmement compliqué et chronophage. Il utilise un jargon technique et fournit des explications détaillées qui rendent le processus plus impressionnant qu’il ne l’est en réalité. Son supérieur commence alors à considérer Carlos comme un expert indispensable. Ses collègues savent cependant que le logiciel utilisé par ce dernier simplifie grandement ses tâches, notamment en générant quasi automatiquement le rapport mensuel. L'optimisation de la présence au bureau - Nathalie aimerait bien obtenir une promotion. Pour que sa gestionnaire sente qu’elle en «donne plus que le client n’en demande», elle arrive très tôt au bureau le matin et ne repart seulement que lorsque tous ses collègues sont partis. Pourtant, quelques membres de l’équipe ont remarqué que les heures supplémentaires de Nathalie étaient souvent consacrées à des tâches personnelles. |
Si ce type de comportement peut amener les gestionnaires à surestimer l’engagement réel des employés, des recherches ont également fait la démonstration que la fréquence des comportements de désengagement est sous-estimée, et ce, même par les chercheurs eux-mêmes. Cela s’explique par le fait que les personnes les plus démobilisées sont moins propices à participer aux enquêtes et aux recherches. Dès lors, leur désintérêt à répondre volontairement aux sondages génère un échantillon non représentatif, faisant en sorte qu’on sous-estime du même coup l’ampleur du phénomène de désengagement2.
Pour ajouter une couche de complexité, il importe de souligner que même certains comportements qui sont en apparence synonymes d’engagement peuvent s’apparenter, en réalité, à une forme de désengagement. Prenons l’exemple de cet employé qui travaille dans votre organisation depuis longtemps et qui recommande régulièrement des candidats pour pourvoir des postes vacants. Merveilleux, n’est-ce pas? Mais si on vous disait que ses efforts de recrutement devraient plutôt être interprétés comme l’ultime preuve de désengagement? Inusitée à première vue, cette hypothèse contre-intuitive est pourtant une réalité qui a été mise en lumière dans une étude3 assez surprenante. Des chercheures ont constaté qu’un nombre élevé d’employés désengagés acceptaient volontairement de recommander des personnes peu motivées et qui seront sous-performantes, et cela, en toute connaissance de cause. Cette propension à nuire à son organisation sera assurément accentuée si une prime de référencement est offerte aux employés agissant «généreusement» à titre d’ambassadeurs!
Se désengager sournoisement
Heureusement, s’il est un mandat difficile que de savoir décoder les signes de désengagement dans vos équipes, tout n’est cependant pas perdu. Pour aiguiser l’efficacité de votre radar, apprenez à bien définir les caractéristiques du désengagement en faisant un inventaire complet des comportements contre-productifs que vous pourriez devoir gérer, qu’ils soient dirigés vers l’organisation ou vers des collègues, et qu’ils soient actifs (saboter, par exemple) ou passifs (notamment par omission d’agir).
Le silence et l’inaction d’un employé peuvent en effet engendrer des méfaits pour votre organisation. C’est le cas de cet employé qui s’excuse hypocritement en disant qu’il aurait vraiment voulu vous aider, mais qu’il n’a vu votre message que le lendemain de l’importante présentation au comité de direction! Les gestionnaires ont assurément plus de difficulté à observer ces comportements passifs, qui sont plus sournois. Or, une recherche récente montre que la plupart des comportements de désengagement seraient de nature passive.
Cette préférence indéniable pour ce type de comportements passifs chez les employés désengagés s’explique par le fait que leurs actions sont justement plus difficiles à détecter, diminuant ainsi pour eux les risques de représailles par la direction et les collègues5. Dans un monde du travail où l’on accorde une place de plus en plus grande à la collaboration en mode virtuel, force est d’admettre que la tâche de repérer ces comportements passifs deviendra un défi de plus en plus exigeant à relever.
Le désengagement au travail coûte extrêmement cher aux organisations. Gallup estime qu’il génère une facture équivalant à 9% du PIB mondial, rien de moins[6]. Puisque les gestionnaires ont tendance à sous-estimer la présence du désengagement dans leurs équipes, ils doivent plus que jamais s’exercer à en déceler les signes avant-coureurs.
Article publié dans l’édition Automne 2024 de Gestion
Notes
1 - Traduction libre du concept d’impression management, tel qu’utilisé en anglais dans le domaine de la gestion.
2 - Greco, L. M., O’Boyle, E. H., et Walter, S. L., «Absence of malice: A meta-analysis of nonresponse bias in counterproductive work behavior research», Journal of Applied Psychology, vol. 100, n° 1, 2015, p. 75-97.
3 - Wieschollek, V., et Dlouhy, K., «Employee referrals as counterproductive work behavior? Employees’ motives for poor referrals and the role of the cultural context», The International Journal of Human Resource Management, vol. 34, 2022, p. 1-24.
4 - Evans, J. B., Slaughter, J. E., et Ganster, M. L., «Sins of commission and omission: The implications of an active-passive categorization of counterproductive work behavior», Journal of Business Ethics, vol. 187, n° 1, 2023, p. 97-117.
5 - Idem.
6 - Gallup, State of the Global Workplace Report, 2024.
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