S’approprier les méthodes agiles comme gestionnaire : SAFe
2024-09-27
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2024-09-27
S’approprier les méthodes agiles comme gestionnaire : SAFe
Cet article est le troisième d’une série destinée aux gestionnaires qui désirent mieux comprendre les méthodes agiles. Fort de sa pratique, notre collaborateur et expert Samuel Tremblay nous explique comment les intégrer efficacement au quotidien. Après le Scrum et le Kanban, voici le SAFe.
Le déploiement d’une méthode agile comme Scrum ou Kanban à l'échelle d'un département dans une grande entreprise laisse souvent de nombreuses questions en suspens : «Que faire du bureau de projet? Quels processus utiliser pour synchroniser diverses équipes interreliées? Comment intégrer la planification à long terme avec le court cycle des sprints?»
C’est pour répondre à ces questions qu’une proposition originale et pragmatique a été formulée en 2012 par l’entreprise Spotify, après que deux de ses employés ont couché sur papier son modèle opérationnel, composé d’équipes Scrum intégrées dans une organisation matricielle aplatie. S’inspirant de ce succès, des méthodes mieux documentées et appuyées par les concepts agiles et Lean ont alors été commercialisées par diverses entreprises. Aujourd’hui, la plus populaire d’entre elles est sans contredit le Scaled Agile Framework (SAFe)1.
Cadencer les équipes de développement grâce aux flux de valeur de l’entreprise
McKinsey, la firme de services-conseils en management, considère la «définition de flux de valeur bout-en-bout» comme la première étape de toute démarche visant à aller vers une entreprise plus agile. Sans surprise, cette définition2 est l’une des premières étapes prescrites par SAFe pour toute implantation de sa méthode. En effet, c’est seulement après que le premier flux de valeur a été identifié qu’une organisation matricielle – ayant comme mandat le développement et l’exploitation de tous les systèmes requis par le flux – pourra être mise en place : ce que SAFe appelle le «train de livraison agile» (Agile Release Train ou ART, en anglais).
Ce train de livraison, composé typiquement d’un groupe de 50 à 120 personnes, est donc nécessairement constitué de plusieurs équipes (trois ou plus) fonctionnant en Scrum ou Kanban. Chaque trimestre, ces équipes auront à planifier les fonctionnalités qu’elles désirent livrer et les récits utilisateurs3 en découlant : c’est le PI Planning, ou la planification de PI (Planification Interval, en anglais). Tous les membres du train de livraison ont alors deux jours complets de planification, animés par un «conducteur de train» (Release Train Engineer ou RTE, en anglais), rôle lui aussi introduit par la méthode SAFe. Ces deux journées doivent permettre aux équipes du train de produire un plan réaliste, lequel liste pour chaque priorité du plan stratégique ce qui peut être réalisé au cours du prochain trimestre.
Choisir l’ampleur du déploiement de la méthode SAFe
Le lancement d’un premier train de livraison comme décrit au paragraphe précédent est ce que SAFe considère comme l’«Essentiel SAFe», c’est-à-dire le déploiement à une échelle minimale de sa méthode. En plus du rôle de conducteur de train, que l’on pourrait de façon très simpliste comparer à un chef de mêlée, l’essentiel SAFe introduit deux autres nouveaux rôles : le chef de produit (ou gestionnaire) et l’architecte de système.
Le chef de produit joue un rôle similaire à celui d’un responsable de produit, à la différence près que son objectif est d’orchestrer l’enchaînement de produits constituant le flux de valeur.
L’architecte de système, quant à lui, a la même relation que le chef de produit vis-à-vis des différentes solutions technologiques requises par le flux de valeur pour fonctionner adéquatement.
Si plusieurs flux de valeurs interreliés peuvent être identifiés, il sera possible de procéder au lancement de nouveaux trains de livraison, ce que SAFe appelle la «Large Solution SAFe». Ici encore, SAFe amène trois nouveaux rôles d’encadrement dont la mission est d’orchestrer les différents trains ainsi lancés. Une version «Portefeuille SAFe» est également possible, permettant d’intégrer ce pan de la gestion de projets avec les concepts agiles et Lean amenés par SAFe. Enfin, la configuration combinant la large solution et le portefeuille SAFe se nomme la «Totale SAFe», puisqu’elle qu’elle déploie l’ensemble des éléments de la méthode. Ces quatre configurations sont comparées dans le tableau ci-dessous :
Configuration retenue |
Personnes touchées |
Nouveaux rôles (au minimum) |
Intègre la gestion de portefeuille? |
Essentiel |
Plus de 50, moins de 120 |
3 |
Non |
Large Solution |
Plus de 120 |
6 |
Non |
Portefeuille |
Plus que 50 |
5 |
Oui |
Totale |
Plus de 120 |
11 |
Oui |
Critiques et louanges d’une méthode habilement commercialisée
À la lecture des précédents paragraphes, on voit bien la complexité et l’aspect prescriptif de SAFe, qui contraste avec des méthodes plus simples et légères comme Scrum et Kanban. C’est l’un des principaux reproches qui lui est fait par les détracteurs de la méthode sur le site Web The SAFe Delusion; un autre étant que SAFe normalise la cohabitation avec les paradigmes traditionnels de la gestion de projets plutôt que de chercher à les transformer. Ajoutons aussi que ses certifications expirent, forçant un renouvellement et une dépense récurrente.
Nonobstant ces critiques, des implantations réussies et très documentées de la méthode existent, comme le démontre une étude réalisée par la firme de services-conseils agile et traitant d’une grande compagnie de télécommunication [6]. Dans ce cas précis, le temps de mise en marché aurait été réduit de douze mois à seulement quatre, ce qui correspond aux 30 à 75% de réduction mentionnés par SAFe sur son site Web. Des scientifiques se sont également penchés sur l’impact d’une implantation de SAFe dans trois organisations différentes et ont pu constater des bénéfices supérieurs aux inconvénients, notamment sur le plan de l’autonomie des équipes de développement logiciel composant le train de livraison.
Notes
1 – Elle est utilisée comme méthode d’agilité à l’échelle par 53% des répondants à l’édition 2023 du sondage «State of Agile».
2 – Flux de valeur : ensemble d’activités à valeur ajoutée qui créent un résultat tangible pour un client. La réalisation d’un produit (bien ou service) peut être considéré comme un flux de valeur. Les différentes équipes ayant à travailler ensemble dans ce flux constituent alors le train de livraison.
3 – Représente une attente d’un utilisateur, un besoin exprimé pour un produit donné.