Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Au Québec, l’entrée en vigueur de la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux (loi 10) a amené son lot de changements. Pour soutenir son implantation, un mode intégré de gestion de la performance centré sur des salles de pilotage est en cours de déploiement. Aperçu du fonctionnement et des résultats d’un système qui peut tout aussi bien servir à l’extérieur du réseau de la santé.

Véritable petite révolution, les salles de pilotage dans le domaine de la gestion de la performance constitueront, pour les 34 établissements du réseau de la santé et des services sociaux du Québec ainsi que pour les différentes directions du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), des mécanismes de coordination concrets, centrés sur la création de valeur pour l’usager, rendant du même coup possible un véritable alignement stratégique et une cohérence organisationnelle dans tout le réseau.


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Destiné à remplacer progressivement le mode de gestion traditionnel en vigueur dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), ce système représente un changement important dans la façon de suivre la performance de l’ensemble de l’organisation. Dans ce sens, les salles de pilotage ne doivent pas être considérées comme de simples outils mais bien comme une pièce maîtresse devant mener à un système intégré de gestion de la performance. À ce titre, elles constituent donc un levier majeur de la transformation organisationnelle.

Leur mise en œuvre est déjà bien entamée. Les établissements du réseau et les directions du ministère ont reçu une formation élaborée par la Chaire IRISS et dispensée en collaboration avec le Pôle santé HEC Montréal.

Trois axes d’alignement

Aussi nommée obeya (grande salle) au Japon ou encore mission control room ou visual room dans le monde anglo-saxon, la salle de pilotage est un lieu – un espace spécialisé ou virtuel – où se rencontrent selon un ordre du jour structuré les membres d’une organisation afin de statuer de façon dynamique sur la performance actuelle afin de l’améliorer.

Cette salle se décline sur trois axes différents : stratégique, tactique et opérationnel. Si on reporte ce modèle de gestion au secteur de la santé et des services sociaux, la salle de pilotage stratégique est la salle du comité de direction, les salles tactiques étant les salles des directeurs. Quant à la salle de pilotage opérationnelle (ou station visuelle), elle est mise en place sur le terrain, dans les unités de soins et de services.

Ces salles fonctionnent selon le principe de cascade et d’escalade de l’information, ce qui permet d’orienter les actions vers les opérations et d’amener les problématiques jusqu’aux niveaux hiérarchiques supérieurs. Le chef d’une salle de pilotage, tous niveaux confondus, est responsable de son intégration et de son bon fonctionnement.

Quatre murs, quatre dimensions

On relève quatre dimensions au sein d’une salle de pilotage, celles-ci correspondant de façon usuelle aux quatre murs de la salle. Cette vision panoramique permet donc à toute l’équipe de saisir les enjeux et l’évolution des projets en un coup d’œil, un mode de gestion visuelle très efficace et mobilisateur.

le vrai nord

Photo: Eric Soulier

Les quatre dimensions d’une salle de pilotage stratégique sont organisées selon le cycle PDCA (« Plan, Do, Check, Act », c’est-à-dire « planifier, déployer, contrôler, agir »).

Mur n° 1 : « planifier ». On y trouve les éléments suivants : vision, mission, valeurs et plan stratégique quinquennal. Ce mur se subdivise en deux sections : le « vrai Nord » et la matrice de cohérence (aussi appelée matrice en X). Le « vrai Nord » est une sorte d’étoile polaire qui indique les grands enjeux stratégiques auxquels tous les membres de l’organisation doivent s’arrimer, par exemple la qualité et la sécurité des soins et services, l’accessibilité et la continuité des soins et services, l’engagement et le mieux-être des employés, l’utilisation efficiente des ressources, etc.

Mur n° 2 : « déployer ». Cette dimension indique quant à elle la liste et l’évolution des projets prioritaires issus des objectifs stratégiques. Il est essentiel de limiter le nombre de ces projets afin de cibler les interventions et de respecter la capacité de l’organisation à entreprendre et à terminer les projets ciblés.

Mur n° 3 : « contrôler ». Celui-ci présente les différents indicateurs de performance de niveau stratégique, un maximum de 20 à 25 indicateurs couvrant les dimensions du « vrai Nord », par exemple les temps d’attente à l’urgence, le pourcentage de services sociaux de première ligne dispensés dans les délais prescrits (mission CLSC - Centres locaux de services communautaires), le pourcentage d’implantation de l’offre de service de détection et d’intervention précoce en dépendance, etc.

Ces indicateurs sont représentés graphiquement pour aider les dirigeants à faire un suivi global de la performance et à en mesurer les impacts.

Mur n° 4 : « agir ». Ce dernier présente la dimension « agir », c’est-à-dire la réponse- action. Ce plan d’action à court terme montre les engagements pris par les participants pour résoudre les diverses problématiques.

La salle de pilotage stratégique

Dans l’ancien Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Laval, à un intervalle de six semaines, les directeurs ont assisté à l’animation de la salle de pilotage stratégique, effectuée par la PDG Caroline Barbir. « Cette méthode nous a aidés à mettre en place des conditions gagnantes. On a pu développer une culture centrée sur la réalisation tangible d’objectifs. De cette façon, tous peuvent s’entendre sur un plan de match collectif », assure-t-elle. La salle de pilotage du nouveau Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval est opérationnelle depuis cet été et les rencontres ont désormais lieu toutes les quatre semaines.


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Geneviève Goudreault, directrice de la qualité, de l’évaluation, de la performance et de l’éthique au CISSS, affirme que la première version de la salle de pilotage conçue au CSSS en 2014 a permis de suivre l’évolution de la performance globale de l’organisation, notamment la durée moyenne des séjours à l’urgence. « Cet indicateur était étroitement suivi dans la salle de pilotage, de même que le projet mis en œuvre par l’établissement visant à l’améliorer. Les résultats ont été positifs puisque, en 12 mois, cette durée a été réduite de deux heures et demie », dit-elle.

Des salles intégrées

Le CISSS des Laurentides couvre un très vaste territoire, ce qui fait en sorte que l’animation de certaines salles de pilotage opérationnelles, tout comme celle de certaines salles tactiques, s’effectue de façon virtuelle. Les équipes sont réunies en conférence téléphonique et peuvent consulter les différents documents sur ordinateur.

« Chaque équipe a une rencontre hebdomadaire et, en 20 minutes, elle a un portrait global de la situation à partir d’indicateurs, incluant les enjeux, les problématiques, les actions à mettre en œuvre, les pistes d’amélioration, etc. », précise Manon Léonard, directrice de la performance, de l’amélioration continue et de la qualité. Résultat : la durée de traitement des évaluations en protection de la jeunesse a été réduite de 24 % et le taux de conformité des plans d’intervention a augmenté de 18 %.

Dans l’industrie manufacturière

L’obeya a d’abord vu le jour dans l’industrie manufacturière, chez Toyota, au Japon. Chez Esterline CMC Électronique à Montréal, cette pratique a été adoptée à la fin de 2014. L’animation de la salle de pilotage stratégique se déroule tous les lundis de 8 h 30 à 10 h 30. Le PDG et les membres des groupes de gestion s’y réunissent, soit une quinzaine de personnes au total. Les rencontres s’effectuent debout ; on déplace des post-it de couleur sur de grands tableaux blancs pour suivre la progression des projets.

François Dorval, vice-président à la qualité et à la navigabilité, se réjouit de l’efficacité de la salle de pilotage. « C’est la force du groupe : on pousse tous dans le même sens, on est tous alignés sur les mêmes priorités. Nous sommes moins réactifs parce qu’on peut agir en amont. Lorsque le gestionnaire détecte une anomalie, il peut régler le problème tout de suite et éviter les pertes », dit-il. M. Dorval souligne que la gestion par indicateurs visuels est très efficace. « Les gestionnaires aux opérations manufacturières sont emballés et voient de véritables améliorations. Au commencement de la démarche, cela ressemble à un acte de foi, mais la méthodologie est éprouvée et ça fonctionne ! »

*Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste